Musiques consolatrices pour les temps de pandémie

Dossier : Arts, lettres et sciencesMagazine N°764 Avril 2021
Par Jean SALMONA (56)

Il faut s’appliquer à se con­sol­er, au lieu de se jeter au mal­heur comme au gouf­fre. Et ceux qui s’y appli­queront de bonne foi seront bien plus vite con­solés qu’ils ne pensent.
Alain, Pro­pos sur le bonheur

Que l’on se con­fine par néces­sité ou par pré­cau­tion, quelle plus belle con­so­la­tion – et plus effi­cace aus­si – que la musique ? Non pour se repli­er sur soi mais pour s’élever et s’ouvrir au monde en faisant fi des con­tin­gences du moment.

Bach par Piotr Anderszewski

Bach par Piotr Anderszewski22 avril 1723. Bach est élu can­tor à con­trecœur par le con­seil munic­i­pal de Leipzig ; le con­seiller Platz note : « Puisque nous n’avons pu obtenir le meilleur (Tele­mann), nous devrons nous con­tenter d’un médiocre. » Deux ans aupar­a­vant, à Köthen, Bach avait élaboré le pre­mier livre du Clavier bien tem­péré, 24 préludes et fugues dans les douze demi-tons de la gamme tem­pérée, en mineur et en majeur, à l’usage de ses étu­di­ants, par­ti­tion restée man­u­scrite et jamais éditée de son vivant. Vingt ans plus tard, Bach com­pose le livre II du Wohltem­perierte Klavier selon le même principe (24 préludes et fugues), moins austère, plus sub­til que le livre I et inspiré du style galant en vogue en Europe, et le fait éditer. Le but est tou­jours péd­a­gogique. Bach ne se doutait sans doute pas que, trois siè­cles plus tard, ces 48 préludes et fugues seraient le graal de tout pianiste.

Piotr Ander­szews­ki, dont les inter­pré­ta­tions de Bach ont mar­qué l’édition musi­cale, a noté que la jux­ta­po­si­tion des préludes et fugues dans l’ordre crois­sant des demi-tons (ut majeur, ut mineur, ut dièse majeur, etc.) cor­re­spondait à un choix pra­tique mais non artis­tique ; il a sélec­tion­né 12 des 24 Préludes et fugues du livre II qu’il joue dans un ordre pure­ment sub­jec­tif, rap­prochant les pièces non par leur tonal­ité mais par leur état d’esprit tel qu’il le perçoit. Il s’ensuit une aven­ture musi­cale délec­table, une véri­ta­ble recréa­tion fidèle à la let­tre et à l’esprit de Bach ; recréa­tion d’autant plus intéres­sante qu’il joue sur un grand piano d’aujourd’hui en faisant par­fois usage de la pédale forte évidem­ment incon­nue de Bach, et avec un touch­er que seuls approchent, dans Bach, Richter, Per­ahia, Beat­rice Rana. Un grand disque.

1 CD WARNER

Prokofiev avec Nicholas Angelich

Prokofiev avec Nicholas AngelichProkofiev, exilé en ‑Occi­dent après 1917 puis retourné en Russie en 1936, fut ensuite déclaré par l’infâme Jdanov « enne­mi du peu­ple ‑sovié­tique » pour « — per­ver­sion for­mal­iste ». Pen­dant les années de guerre, il écrit les « Sonates de guerre » dont la 8e est jouée par Nicholas Angelich sur le disque récent con­sacré à Prokofiev. On con­naît bien Angelich, dont la qual­ité – il est un des tout pre­miers de la scène mon­di­ale – n’a d’égale que sa gen­til­lesse et sa modestie. 

Il a fait le choix dans la musique de Prokofiev de pièces qui s’inscrivent dans la tra­di­tion postro­man­tique et où la finesse du touch­er compte plus que la vigueur de la per­cus­sion. Les 20 Visions fugi­tives, debussystes dans leur esprit, don­nent de Prokofiev une image très dif­férente de celle que véhicu­lent, par exem­ple, les 5 Con­cer­tos pour piano. Enfin, les qua­tre extraits de la suite Roméo et Juli­ette – écrite pour le piano avant d’être orchestrée pour le bal­let – témoignent de l’extraordinaire diver­sité créa­trice de ‑Prokofiev, qui aura réus­si à innover sans cesse tout en restant stricte­ment fidèle aux canons de la musique tonale. 

1 CD ERATO

François Mayer (X 45) et les Dixieland Seniors

Des mul­ti­ples facettes de la per­son­nal­ité de notre cama­rade François May­er, indus­triel et écrivain, celle de jazzman n’est pas la moins extra­or­di­naire. En 1946, il crée avec des cama­rades de pro­mo un ensem­ble –Nou­velle-Orléans. Soix­ante-quinze ans plus tard, François con­tin­ue à ani­mer cet ensem­ble, rebap­tisé Dix­ieland Seniors, dont il tient tou­jours la par­tie de trom­bone et qui a évolué dans sa com­po­si­tion : cor­net, clar­inette, tuba, piano, ban­jo, batterie.

Leur dernier enreg­istrement présente, aux côtés de stan­dards comme Jazz Me Blues, Willie The Weep­er, Roy­al Gar­den Blues, des pépites plus rares comme Pana­ma ou Mar­tinique. La joie de vivre qui se dégage de cette musique est, en cette péri­ode dif­fi­cile, la meilleure des con­so­la­tions. écoutez les Dix­ieland Seniors en atten­dant de pou­voir les enten­dre à nou­veau dans leur fief du Petit Jour­nal Saint-Michel.

1 CD DIXIE 05

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