musique et guerre

La musique et la guerre

Dossier : Arts, lettres et sciencesMagazine N°774 Avril 2022
Par Jean SALMONA (56)

C’est seule­ment après avoir con­nu les fours cré­ma­toires d’Auschwitz, les jun­gles fréné­tique­ment bom­bardées du Viêt­nam, après ce qui s’est passé avec la Hon­grie, Suez, la baie des Cochons, le Black Pow­er, les Gardes rouges, l’encerclement d’Israël par les Arabes, la plaie du mac­carthysme, l’absurde course aux arme­ments – c’est seule­ment après tout cela qu’on peut enfin écouter la musique de Mahler et com­pren­dre qu’elle le présageait.

Leonard Bern­stein, Mahler, His Time Has Come, High Fideli­ty, 1967

On ne peut sépar­er une musique des cir­con­stances dans lesquelles on l’écoute. Ces cir­con­stances peu­vent être per­son­nelles, ou bien touch­er la société à laque­lle on appar­tient, voire le monde entier. Dans une sit­u­a­tion de crise, la fonc­tion de la musique peut être con­so­la­trice, bien sûr. Mais surtout, elle doit nous per­me­t­tre de faire une pause, un retour sur nous-même, et nous aider à sur­mon­ter notre désar­roi et comprendre.

Désem­parés, sidérés par la tragédie ukraini­enne que nous sommes, les qua­tre dis­ques qui suiv­ent con­tribueront, peut-être, à nous assis­ter dans la recherche de la compréhension.


Pergolèse, Stabat MaterPergolèse, Stabat Mater

Per­golèse écrit son Sta­bat Mater en 1736, quelques mois avant sa mort à l’âge de 26 ans. Et cette œuvre va se répan­dre dans toute l’Europe au cours du XVIIIe siè­cle, faisant l’objet de mul­ti­ples arrange­ments, adap­ta­tions, etc. Bach en repren­dra les thèmes dans son motet Tilge, Höch­ster, meine Sün­den, BWV 1083. Ce suc­cès s’explique, sans doute, par cette atmo­sphère trag­ique, soulignée par de fortes dis­so­nances, puis peu à peu apaisée, qui car­ac­térise l’œuvre. Écrite pour deux voix – sopra­no et alto – et petit ensem­ble de cordes, elle se voit adjoin­dre un chœur, la Maîtrise de Radio France, dans l’excellent enreg­istrement qui regroupe Jodie Devos, Adèle Charvet et le Con­cert de la Loge dirigé par Julien Chauvin. 

1 CD ALPHA



Weinberg, Sonates pour violon soloWeinberg, Sonates pour violon solo

On com­mence à décou­vrir Mieczysław Wein­berg et à le recon­naître, enfin, comme l’un des com­pos­i­teurs majeurs du XXe siè­cle, l’égal de Prokofiev et Chostakovitch. Toute son œuvre est mar­quée par le des­tin trag­ique de sa vie. Né à Varso­vie, où sa famille avait fui les pogroms de Bessara­bie, il part en Biélorussie lors de l’invasion alle­mande, puis en Ouzbék­istan où il apprend l’extermination de sa famille. Jeté en prison au début des années 50 lors des purges anti­sémites de Staline, il doit la vie à l’intervention de son ami Chostakovitch. Il mour­ra à Moscou en 1976, dans le dénue­ment. Par­mi ses plus de 500 œuvres fig­urent trois Sonates pour vio­lon seul, que vient d’enregistrer Gidon Kre­mer. Inspirées par les Sonates et Par­ti­tas de Bach pour vio­lon solo, ce sont trois œuvres com­plex­es, rugueuses, très fortes, que l’on ne peut com­par­er qu’à la Sonate de Bartók.

1 CD ECM



Edgar Moreau, TransmissionEdgar Moreau, Transmission

Après la musique de Wein­berg, con­tre­point de la tragédie ukraini­enne, le disque du vio­lon­cel­liste Edgar More­au con­stitue un retour au calme, mais non à l’oubli. Il est con­sacré à la « musique d’inspiration hébraïque ». D’Ernest Bloch, From Jew­ish Life, suite en trois mou­ve­ments – Prière, Sup­plique, Chan­son juive – pour vio­lon­celle et orchestre, musique postro­man­tique aux superbes mélodies, suiv­ie de l’élégiaque et som­bre Sch­e­lo­mo, Rhap­sodie hébraïque, invite à l’introspection. Le Con­cer­to pour vio­lon­celle et orchestre de Korn­gold, lyrique et nova­teur, est issu d’une musique de film. Le célèbre Kol Nidrei, prière de Kip­pour, val­ut au protes­tant Max Bruch d’être inter­dit de con­cert sous le Troisième Reich. Les deux Mélodies hébraïques de Rav­el, Kad­disch et l’Énigme éter­nelle, ter­mi­nent ce disque avec la cita­tion d’une chan­son pop­u­laire en yid­dish : « L’énigme éter­nelle de la vie : on peut inter­roger le monde à ce sujet tant qu’on veut ; la réponse sera tou­jours : Tra la la la. »

1 CD ERATO



Ashkenazy, Bach, Suites anglaises

Com­ment mieux clore ce con­cert qu’avec les trois Suites anglais­es de Bach, mer­veilleuses pièces pro­fanes où cha­cun de nous trou­vera, quelles que soient ses dis­po­si­tions et son désar­roi, des raisons d’espérer.
Vladimir Ashke­nazy, pianiste russe, 85 ans, joue ces suites sans inter­préter, telles qu’elles sont écrites, en col­lant au plus près des inten­tions du com­pos­i­teur dont il dit « à côté de Bach, je ne suis rien ».


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