Magie de la musique tonale occidentale

Magie de la musique tonale occidentale

Dossier : Arts, lettres et sciencesMagazine N°767 Septembre 2021
Par Jean SALMONA (56)

And when the admir­ing cir­cle mark
The pale­ness of thy face,
A half-formed tear, a tran­sient spark
Of melan­choly grace…
Lord Byron, Stan­zas com­posed dur­ing a Thunderstorm

Vous écoutez une œuvre de John Dow­land, de Brahms, de Debussy, de Duke Elling­ton que vous n’avez peut-être jamais enten­due aupar­a­vant ; et vous êtes touché, peut-être ému : ce lan­gage vous par­le, vous êtes en ter­rain familier.

En revanche, écoutez une musique dodé­ca­phonique, ou même une pièce tonale rel­e­vant d’une autre civil­i­sa­tion, par exem­ple un game­lan de Bali, un raga de l’Inde du sud, une musique gnawa du Maroc, vous serez au mieux intéressé, mais l’émotion sera absente, tout comme si vous lisiez un poème écrit dans une langue que vous ne com­prenez pas.

C’est que, depuis tou­jours, votre oreille et votre cerveau ont été for­més à la musique tonale que l’on pra­tique dans le monde occi­den­tal, celle, peut-être, que votre mère vous chan­tait pour vous endormir. Cette musique a même assim­ilé, au fil du temps, d’autres musiques tonales voisines, comme le fla­men­co ou la musique tzi­gane. Mais, quand une œuvre vous trans­porte en état de grâce, c’est bien de la musique de la vieille Europe judéo-chré­ti­enne qu’il s’agit.

Jean Rondeau, Melancholy Grace

Jules Rondeau Melancholy graceSous ce titre, le clavecin­iste Jean Ron­deau nous invite à explor­er avec lui des pièces des XVIe et XVIIe siè­cles, liées pour la plu­part par leur évo­ca­tion d’une chan­son de John Dow­land qui par­cou­rut l’Europe à l’époque, Flow my tears. Ce par­cours, qui nous con­duit de Fres­cobal­di à Sweel­inck en pas­sant par Pic­chi, Storace, Schei­de­mann, Gib­bons, Valente, John Bull, est en réal­ité une ‑illus­tra­tion d’un ambitieux et fasci­nant ‑développe­ment, qui fig­ure sur le livret du disque, sur la théorie musi­cale (tem­péra­ments, chro­ma­tisme…), la fac­ture des ‑instru­ments, les rap­ports à la philoso­phie, la danse, la poésie, le temps… C’est une musique austère et mélan­col­ique, qui mérite la décou­verte et l’approfondissement.

1 CD ERATO

András Schiff – Les deux concertos de Brahms

Andréas SchiffOn con­naît bien le grand pianiste András Schiff, mer­veilleux inter­prète de Bach et Beethoven. Pra­ti­quant depuis l’adolescence les deux con­cer­tos de Brahms, il a eu l’idée de les dépous­siér­er et de les restituer tels que Brahms les a conçus. Tout d’abord, il a choisi un grand Blüth­n­er de 1859, à cordes par­al­lèles et non croisées et au mécan­isme antérieur à l’échappement libre de Stein­way : son cristallin, bass­es mod­érées. Ensuite, il a fait le choix d’un orchestre, l’Orchestra of the Age of Enlight­en­ment d’un effec­tif réduit – une cinquan­taine de musi­ciens – et aux cordes en boy­au, tel que cela se pra­ti­quait à l’époque de Brahms. Le résul­tat est
sai­sis­sant et présente ces deux mon­u­ments du con­cer­to roman­tique comme des pièces proches de la musique de cham­bre. Un très intéres­sant livret accom­pa­gne les deux disques.

2 CD ECM

Deux concertos de Schumann

Schumann ConcertosÀ la dif­férence de son Con­cer­to pour piano, les Con­cer­tos pour vio­lon et pour vio­lon­celle de Schu­mann sont assez peu joués. Le ‑vio­loniste Gilles Col­liard a eu l’idée, sem­blable à celle de Schiff, d’en alléger l’orchestration avec un arrange­ment pour cordes unique­ment et un effec­tif très réduit, une douzaine de musi­ciens de l’Orchestre de cham­bre de Toulouse. Il est lui-même le soliste du Con­cer­to pour vio­lon, tan­dis que l’interprète du Con­cer­to pour vio­lon­celle est Nadège Rochat. Ces deux œuvres appa­rais­sent ain­si comme des pièces proches d’un octuor et font ressor­tir l’instrument soliste sans que celui-ci ait besoin de forcer le son. Et, au prix de cette petite infidél­ité, on redé­cou­vre deux Con­cer­tos empreints de cette ‑mélan­col­ie typ­ique­ment schu­mani­enne, mélan­col­ie dont Vic­tor Hugo a écrit, dans Les Tra­vailleurs de la mer, qu’elle est « le bon­heur d’être triste ».

1 CD KLARTHE

Poster un commentaire