Respighi, Schmidt, Fitzgerald

Trois villes, trois musiques

Dossier : Arts, lettres et sciencesMagazine N°759 Novembre 2020
Par Jean SALMONA (56)

Com­bi­en de villes ne se sont-elles pas ouvertes devant moi au cours des march­es avec lesquelles je par­tais à la con­quête de livres.
Wal­ter Ben­jamin, Je déballe ma bibliothèque


Rome – Ottorino Respighi

Ottorino RespighiRespighi (1879–1936) fait par­tie de ces com­pos­i­teurs du tour­nant des deux siè­cles précé­dents, qui ont con­nu la révo­lu­tion debussyste et celle de l’École de Vienne mais dont la musique est restée résol­u­ment tonale, tout comme celle de Richard Strauss. Aus­si, leur créa­tiv­ité s’est focal­isée sur la couleur orches­trale. C’est bien le cas pour Respighi, dont le but ultime est en out­re non de faire réfléchir l’auditeur mais de lui faire plaisir, un plaisir au pre­mier degré pour le pro­fane, un plaisir raf­finé pour celui qui se plaît à analyser les sub­til­ités de l’orchestration.

La musique de Respighi est indis­so­cia­ble de la ville de Rome ; les Pins de Rome, les Fontaines de Rome font par­tie des six œuvres enreg­istrées par Ric­car­do Chail­ly à la tête du Phil­har­monique de la Scala. Sur le même disque fig­urent, avec les Dans­es antiques et airs pour luth, démarcage agréable de musiques baro­ques, trois pièces plus « pures » : l’Aria pour cordes, la Légende pour vio­lon et orchestre et Di Sera, ada­gio pour deux haut­bois et orchestre, qui témoignent que Respighi aura été, comme Samuel Bar­ber dont il est par­fois proche, un des com­pos­i­teurs impor­tants du XXe siècle.

1 CD DECCA


Vienne – Franz Schmidt

Franz SchmidtComme vous l’ignoriez sans doute, Franz Schmidt (1874–1939), exact con­tem­po­rain de Respighi, aura été une des fig­ures majeures de la Vienne musi­cale, de la mort de Mahler (1911) à l’Anschluss (1938). L’occasion de décou­vrir sa musique vous est don­née par un album qui réu­nit ses qua­tre Sym­phonies, enreg­istrées par Paa­vo Järvi à la tête de l’Orchestre radiosym­phonique de Francfort.

On ne s’étendra pas sur la 1re Sym­phonie, œuvre de jeunesse (1902) qui rap­pelle trop Schu­bert et Brahms. Ensuite, de la 2e Sym­phonie à la 4e, c’est une con­stante pro­gres­sion de l’ambition orches­trale, avec des archi­tec­tures de plus en plus com­plex­es, des orches­tra­tions de plus en plus fouil­lées. Bien sûr, les influ­ences de Mahler, Strauss et même Wag­n­er sont omniprésentes mais non dom­i­nantes. Mais pour la 4e Sym­phonie, La Mer de Debussy n’est pas loin. Au total, une musique orig­i­nale, forte, séduisante, injuste­ment mécon­nue et qui mérite ample­ment la découverte.

3 CD DEUTSCHE GRAMMOPHON


Berlin – Ella Fitzgerald

Ella FitzgeraldAvec sa rigueur, son pro­fes­sion­nal­isme, sa con­stante prise de risques – seule en scène accom­pa­g­née par une sim­ple sec­tion ryth­mique (piano, basse, bat­terie), évidem­ment sans élec­tron­ique – Ella Fitzger­ald est plus proche de l’interprète de lieder que des chanteurs d’aujourd’hui et de leurs énormes machines avec accom­pa­g­ne­ments préen­reg­istrés, qui ne lais­sent guère de place à l’intervention humaine.

Petit mir­a­cle : on vient de retrou­ver l’-enregistrement inédit du con­cert du 25 mars 1962 à Berlin, dans le cadre des tournées JATP (Jazz at the Phil­har­mon­ic) de Nor­man Granz que con­nais­sent bien les afi­ciona­dos du jazz, et il est édité sous le titre The lost Berlin tapes. On y trou­ve des clas­siques comme Sum­mer­time, l’ultracélèbre Mack the Knife avec ses mon­tées suc­ces­sives d’un demi-ton, Some­one to watch over me, le poignant Angel Eyes. Par­faite hon­nêteté : Ella expose d’abord le thème tel qu’il est écrit, et ce n’est que dans un cho­rus ultérieur qu’elle varie. En out­re, elle com­mence, lorsque c’est le cas comme dans Some­one to watch over me des frères Gersh­win, par le cou­plet chan­té ruba­to, ce que ne font jamais les chanteuses de jazz, et qui est pour­tant indis­pens­able pour com­pren­dre les paroles du refrain.

Au total, Ella Fitzger­ald se révèle telle qu’elle est : une irrem­plaçable chanteuse de jazz, une grande chanteuse classique. 

1 CD VERVE


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