Emotions

Émotion

Dossier : Arts, lettres et sciencesMagazine N°786 Juin 2023
Par Jean SALMONA (56)

L’émotion et la sur­prise : pas une seule marche, dans l’aventure de la musique cul­tivée, qui n’ait été gravie dans le but de créer d’abord ces deux sortilèges.
Alessan­dro Bar­ic­co, L’âme de Hegel et les vach­es du Wisconsin

Kerson Leong et le Concerto de Britten

Un nou­veau disque. L’interprète vous est incon­nu, l’une des deux œuvres aus­si ; l’autre cent fois enten­due. Vous allez l’écouter par oblig­a­tion, presque avec réti­cence. Et c’est le coup de foudre : voilà longtemps que vous n’aviez ressen­ti pareille émo­tion. L’interprète : le vio­loniste cana­di­en Ker­son Leong, retenez bien son nom, vous n’êtes pas près de l’oublier. Les œuvres : le Con­cer­to de Brit­ten et le n° 1 de Bruch. Depuis Perl­man, per­son­ne n’avait joué ain­si : un jeu solaire, à la fois char­nu et élé­giaque, en réal­ité au-delà des mots, où chaque note vous atteint au plus pro­fond. Mme Ver­durin se serait évanouie, c’est sûr. Vous vous con­tenterez d’être ému aux larmes en écoutant le Con­cer­to de Brit­ten, qui inex­plic­a­ble­ment est peu joué et qui se révèle un des plus forts du xxe siè­cle, et aus­si le mou­ve­ment lent du Con­cer­to de Bruch qui vous est pour­tant si fam­i­li­er, avec, en sup­plé­ment, un poignant In Memo­ri­am pour vio­lon et orchestre de Bruch que vous décou­vrirez. Un disque excep­tion­nel, une « divine sur­prise ». 

1 CD ALPHA CLASSICS


Boris Tichtchenko

Ce com­pos­i­teur russe con­tem­po­rain (1939–2010) vous est sans doute incon­nu. Vous pou­vez le décou­vrir, cela en vaut la peine, avec l’enregistrement des Tcha­lik (le Quatuor Tcha­lik et le pianiste Dania Tcha­lik) des Quatuors 1 et 5 et du Quin­tette avec piano. Tichtchenko, élève de Chostakovitch, a con­nu comme lui les incer­ti­tudes glacées du monde sovié­tique, face auquel il s’est inscrit comme résis­tant. Sa musique, proche de celle de son men­tor, est d’abord ‑l’empreinte de cette lutte « entre le Bien et le Mal ». Elle vise claire­ment l’émotion au pre­mier degré – écoutez le Quin­tette en un seul mou­ve­ment, dur, implaca­ble. Elle ‑rap­pelle aus­si tout ce qu’elle doit aux grands prédécesseurs, de Haydn à Webern. 

1 CD ALKONOST


John Dowland (1563–1626)

Dow­land a vécu dans l’Angleterre des Tudors où la mélan­col­ie « n’était pas une mal­adie mais (…) un état d’esprit sociale­ment accep­té, presque à la mode. La mélan­col­ie était asso­ciée non seule­ment à la tristesse mais aus­si (…) au désir per­ma­nent et pro­fondé­ment enrac­iné d’un amour inac­ces­si­ble, d’un monde meilleur (…) ; elle fai­sait par­tie inté­grante de l’art et de la lit­téra­ture. » C’est dans cet état d’esprit que Dow­land a écrit les sept Pavanes « Lachri­mae » que jouent les Musi­call (avec deux l) Humors, six musi­ciens de la vio­le de gambe et du luth, avec 14 autres pavanes dédiées à la princesse de Dane­mark. Musiques exquis­es où l’on décou­vre que les larmes, comme l’écrit Dow­land, « ne sont pas seule­ment une expres­sion de tristesse mais aus­si de joie ». 

1 CD ALPHA CLASSICS


Les Symphonies de Brahms

On peut avouer sans honte être plus touché, plus ému par les Sym­phonies de Brahms que par celles de Beethoven. C’est que celles de Brahms s’adressent à cha­cun de nous, à notre « mis­érable petit tas de secrets » (Mal­raux), quand celles de Beethoven aspirent à d’autres hau­teurs. Il existe d’innombrables enreg­istrements des qua­tre sym­phonies. Une nou­velle ver­sion est celle du Luzern­er Sin­fonieorch­ester dirigé par Michael Sander­ling. Brahms, on le sait, était à la fois un musi­cien cou­vert d’honneurs, au sein de l’establishment vien­nois de la fin du xixe siè­cle, et un être tour­men­té ; tour­men­té par la mort de son men­tor Robert Schu­mann qui l’avait aidé, à 20 ans, à se faire con­naître et par ses rela­tions avec Clara Schu­mann. La ver­sion du Sym­phonique de Lucerne est équili­brée, ne recher­chant pas le pathos, mais typ­ique­ment roman­tique. Elle saura vous émou­voir. 

5 CD WARNER 

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