Poésie

Dossier : Arts, lettres et sciencesMagazine N°787 Septembre 2023
Par Jean SALMONA (56)

Lire un poème, c’est comme lire une par­ti­tion : il manque l’essentiel. Tout comme la musique, un poème est fait pour être écou­té. Mais, au-delà de la pro­so­die, les mots du poème ont un sens qui fixe une limite à l’imagination de l’auditeur, tan­dis que la musique laisse, en prin­cipe, votre ima­gi­na­tion vaga­bon­der en toute liber­té. Et cepen­dant il est des musiques qui vous situent dans un uni­vers bien bali­sé et qui, à ce titre, sont… des poèmes.

« De la musique avant toute chose »
Paul Ver­laine, Art poétique

Satie et les Gymnopédistes

Erik Satie, en appre­nant que Ravel venait de refu­ser la Légion d’honneur, se serait écrié : « Il la refuse, mais toute sa musique la mérite ! » C’est que Satie mépri­sait – ou fai­sait mine de mépri­ser – la com­plexi­té, la richesse har­mo­nique, le contre­point, tout ce qui fai­sait la belle et grande musique depuis le XVIIIe siècle. En réa­li­té, il ne se dou­tait pas qu’il allait être à l’origine d’un des mou­ve­ments les plus popu­laires de la musique dite sérieuse, le minimalisme. 

Tout le monde connaît les Gym­no­pé­dies, les Gnos­siennes, cer­taines des Pièces froides, des Pré­ludes flasques pour un chien, et beau­coup moins les Sports et diver­tis­se­ments, minia­tures (moins d’une minute pour la plu­part) aux titres vague­ment mon­dains : la Balan­çoire, le Yach­ting, le Golf, le Flirt, le Ten­nis, etc. Musiques simples, agréables, par­faits adju­vants à la média­tion. Le pia­niste Fran­çois Mar­di­ros­sian a ras­sem­blé en un CD quelques-unes des pièces emblé­ma­tiques de Satie, aux­quelles il a ajou­té, en un deuxième CD, un échan­tillon des com­po­si­tions d’une dou­zaine de « sui­veurs » de Satie, dont Ger­maine Taille­ferre. Un bel album de notre temps. 

2 CD AD VITAM


Bartók

Bartók s’est lar­ge­ment ins­pi­ré, on le sait, du folk­lore hon­grois dans toute son œuvre. Ce que l’on sait moins, c’est qu’il aura été, avec Ravel et Strauss, l’un des grands orches­tra­teurs du XXe siècle. À côté de son chef‑d’œuvre le Concer­to pour orchestre, deux œuvres témoignent de la richesse de ses orches­tra­tions : la musique de bal­let Le Prince de bois et la Suite de danses, que l’on peut décou­vrir dans un enre­gis­tre­ment récent de l’excellent Orchestre sym­pho­nique West­deut­scher Rund­funk de Cologne diri­gé par Cris­tian Măce­la­ru (voir aus­si les chro­niques de mai 2022 et déc. 2022). On trouve dans ces deux œuvres tout ce qui fait que la musique de Bartók est unique dans la pre­mière moi­tié du XXe siècle, en par­ti­cu­lier le trai­te­ment des vents et des per­cus­sions, les dis­so­nances, la puis­sance évo­ca­trice, dans une musique réso­lu­ment tonale. Bartók, Chos­ta­ko­vitch, Stra­vins­ki : les trois maîtres de la musique moderne. 

1 CD LINN


Bach et Bach

Il aura fal­lu la volon­té – et le talent – d’un pia­niste de jazz, Keith Jar­rett, pour faire décou­vrir la musique pour cla­vier de Carl Phi­lipp Ema­nuel Bach, en enre­gis­trant les 6 Sonates Würt­tem­berg. On néglige beau­coup les com­po­si­tions des fils de Bach, écra­sés sans doute dans l’esprit du public par leur père. Ces six Sonates révèlent un com­po­si­teur ori­gi­nal, élé­gant, d’une grande richesse d’inspiration, qui s’éloigne de l’époque baroque… et de l’exemple pater­nel, et qui mérite vrai­ment la découverte. 

2 CD ECM


Lem­nis­cate : ce mot éveille­ra chez tout ancien tau­pin le sou­ve­nir de Ber­noul­li et, chez les plus anciens, des épures de géo­mé­trie des­crip­tive. C’est le sur­titre qu’a choi­si l’ensemble New Col­le­gium pour pré­sen­ter sa ver­sion de L’Art de la fugue.

Comme on le sait, la par­ti­tion auto­graphe de L’Art de la fugue ne men­tionne pas d’instrumentation, ce qui fait consi­dé­rer l’œuvre comme abs­traite, même si elle est sou­vent jouée au cla­vier. Elle a connu plu­sieurs orches­tra­tions dont la plus roman­tique est celle d’Hermann Scher­chen dans les années 50. Celle du New Col­le­gium, un ensemble d’instruments anciens, fon­dée sur le manus­crit auto­graphe, est inté­res­sante à plus d’un titre, sou­vent émouvante. 

En réa­li­té, quel que soit l’habillage orches­tral, quelque ori­gi­nale que se veuille toute ten­ta­tive d’explication de cette œuvre inache­vée, L’Art de la fugue, sans doute le som­met abso­lu de toute la musique de Bach, Pas­sions com­prises, aide cha­cun de nous à s’élever, hors de toute poé­sie qui appa­raît comme déri­soire, loin de ce que Mal­raux appelle notre « misé­rable petit tas de secrets ». 

1 CD RAMEE

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