Deux intégrales : Saint-Saëns et Mozart

Dossier : Arts, lettres et sciencesMagazine N°775 Mai 2022
Par Jean SALMONA (56)

Puisque tout passe, faisons
la mélo­die passagère ;
celle qui nous désaltère,
aura de nous raison.

Chan­tons ce qui nous quitte
avec amour et art ;
soyons plus vite
que le rapide départ.

Rai­ner Maria Rilke

Le conseil de Rilke est bien dans l’air du temps, où les sta­tions radio spé­cia­li­sées ne dif­fusent plus que des miettes de musique, des mou­ve­ments épars d’œuvres que l’on dirait inache­vées : nos contem­po­rains ne sont capables que de quelques minutes de concen­tra­tion. À l’opposé, pos­sé­der une inté­grale donne le sen­ti­ment fal­la­cieux mais gra­ti­fiant de domi­ner une œuvre, même si l’on sait que l’on n’en écou­te­ra jamais la tota­li­té – tout comme il est agréable de contem­pler sur les rayons de sa biblio­thèque l’œuvre com­plète de tel écrivain.

Saint-Saëns, intégrale des symphonies

À l’exception de quelques cas – Dukas, Chaus­son, Bizet, d’Indy, Franck (qui était belge) – les sym­pho­nies des com­po­si­teurs fran­çais des XIXe et XXe siècles sont peu nom­breuses et rare­ment jouées. Debus­sy jeune avait esquis­sé une Sym­pho­nie en si mineur qui est res­tée à l’état de ver­sion pour pia­no à quatre mains. Saint-Saëns se détache du lot avec cinq sym­pho­nies, dont une seule est bien connue et fré­quem­ment jouée, la grande Sym­pho­nie avec orgue. L’Orchestre natio­nal de France vient d’enregistrer, sous la direc­tion de Cris­tian Măce­la­ru, l’intégrale de ces cinq symphonies.

Saint-Saëns, né sous la monar­chie de juillet et mort cinq ans après Debus­sy, a été contem­po­rain de Schu­mann, Men­dels­sohn, Liszt, Wag­ner, Brahms, Mah­ler, Strauss, Debus­sy, Fau­ré, Ravel, et aus­si de l’École de Vienne ; et cepen­dant, refu­sant toutes les influences, il est res­té fidèle à une forme, notam­ment har­mo­nique, qui était celle de Bee­tho­ven, Haydn, Mozart, forme qu’il a pous­sée à la per­fec­tion, dès la brillante Sym­pho­nie en la majeur (sans numé­ro d’opus) écrite à 15 ans, puis avec la
Sym­pho­nie n° 1 en mi bémol majeur, ‑com­po­sée trois ans plus tard, et la gran­diose Sym­pho­nie en fa majeur « Urbs Roma » à la gloire de ‑l’Empire romain et sans numé­ro d’opus. La 2e Sym­pho­nie est le som­met du genre, brillante, légère, enle­vée, qui
pour­rait être la der­nière sym­pho­nie de Haydn. L’imposante Sym­pho­nie avec orgue, superbe, marque l’apogée de la sym­pho­nie roman­tique et met en valeur, dans le pré­sent enre­gis­tre­ment, l’excellent orga­niste Oli­vier Latry que n’aurait pas désa­voué Saint-Saëns, sacré par Liszt « le meilleur orga­niste du monde ».

3 CD WARNER

Les Sonates pour piano de Mozart par Elisabeth Leonskaja 

Mozart a com­po­sé ses pre­mières Sonates pour pia­no à l’âge de 19 ans, lorsqu’il a décou­vert le pia­no­forte : on n’écrivait pas pour le cla­ve­cin solo de pièces majeures telles que les sonates. Les der­nières datent de 1789, deux ans avant sa mort. Éta­lées donc sur qua­torze ans, les 18 Sonates jalonnent bien l’évolution de l’esthétique mozar­tienne, qui ne se refuse aucune échap­pée mélo­dique, har­mo­nique, aucune dis­so­nance, au gré de l’invention et quel que soit le com­man­di­taire, s’il y en a un. En un mot : liber­té, liber­té totale. Et quelle finesse, quelle sub­ti­li­té, quel plai­sir ! C’est pré­ci­sé­ment cette liber­té qui carac­té­rise l’interprétation d’Elisabeth Leons­ka­ja pour cette inté­grale. Liber­té jubi­la­toire, sans ces ten­ta­tions pré­ro­man­tiques que l’on ren­contre par­fois pour cer­taines sonates chez cer­tains pia­nistes. Écou­tez ces sonates en sau­tant de l’une à l’autre au gré de votre fan­tai­sie, avec une carafe d’un très bon vin, un pome­rol par exemple, et dégus­tez musique et vin à la mémoire de l’éternel jeune homme que fut Mozart.

6 CD WARNER

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