Giacomo PUCCINI : La Bohème

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°703 Mars 2015Par : l'Opéra de Valence, direction Riccardo ChaillyRédacteur : Marc DARMON (83)Editeur : 1 DVD ou un Blu-Ray Accentus ACC20283


La Bohème
est incon­testable­ment un des plus beaux opéras au monde. Pour ma part, il est celui que j’emporterais sur l’île déserte, et j’aurai même l’impudeur de recon­naître que son troisième acte me tire régulière­ment des larmes sincères depuis près de quar­ante ans.

La Bohème a été le pre­mier grand suc­cès de Puc­ci­ni, en 1896. C’est un Arturo Toscani­ni de vingt-neuf ans, à l’aube de plus de soix­ante-dix ans de car­rière, qui dirigeait le soir de la pre­mière (comme il dirig­era la créa­tion de la dernière œuvre de Puc­ci­ni, Turan­dot, trente ans plus tard).

L’histoire se passe à Paris, comme Manon Lescaut, Il Tabar­ro et La Ron­dine, trois autres opéras trop mécon­nus de Puc­ci­ni, mag­nifiques égale­ment. Qua­tre jeunes artistes vivent la vie de bohème, les amours sincères du pein­tre Mar­cel­lo et du poète Rodol­fo four­nissent la trame du roman en feuil­leton de Murg­er (1851) dont Puc­ci­ni s’est inspiré.

Notons que si Puc­ci­ni a priv­ilégié l’histoire d’amour de Rodol­fo (représen­tant Murg­er lui-même, dans le roman) avec la frag­ile et mourante cousette Mimi, son rival Leon­cav­al­lo (l’auteur de Pail­lasse) a préféré l’année suiv­ante met­tre en musique les rela­tions de Mar­cel­lo et de la taquine Musetta.

La fin du XIXe siè­cle est le moment où l’opéra ital­ien bas­cule. Ver­di fait le lien, grâce à sa car­rière d’une longueur excep­tion­nelle, entre le bel can­to de Rossi­ni, Donizetti, Belli­ni, et le vérisme de Puc­ci­ni, Leon­cav­al­lo, Cilea, Gior­dano, Mascagni.

La Bohème est con­tem­po­raine d’Otel­lo, l’opéra de l’extrême vieil­lesse de Ver­di, où celui-ci trans­forme rad­i­cale­ment son style. L’orchestre, à par­tir de cette péri­ode, est un per­son­nage à part entière, bien plus qu’un accompagnateur.

Le flux orches­tral aban­donne refrains, repris­es et autres struc­tures for­matées des suc­ces­sions d’airs héritées du bel can­to pour devenir un tis­su musi­cal qui mar­que action et sen­ti­ments en con­ti­nu­ité, comme Wag­n­er l’a inven­té dans l’opéra alle­mand quelque quar­ante ans plus tôt.

Déjà présent, ô com­bi­en, dans Manon Lescaut, le génie de Puc­ci­ni explose dans La Bohème. Deux heures d’une mer­veilleuse musique, prenante, poignante, telle­ment adap­tée à ce qu’elle racon­te, et doit faire ressentir.

Naturelle­ment, les plus grands artistes se sont illus­trés dans cet opéra, peut-être le plus grand. En inté­grale ou en extraits, on trou­vera de nom­breuses ver­sions en disque, beau­coup d’amateurs chéris­sant par­ti­c­ulière­ment la ver­sion dirigée par Kara­jan avec Pavarot­ti, Mirella Freni, Ghi­au­rov et Pan­erai (qui dit mieux ?).

Mais en représen­ta­tion filmée en DVD, c’est cette pro­duc­tion de l’opéra de Valence que nous con­seil­lons sans aucun doute. Pour le chef d’orchestre et sa vision musi­cale, pour la troupe de jeunes chanteurs for­mi­da­bles, surtout pour la pro­duc­tion, décors, cos­tumes et mise en scène, pro­pre­ment mémorable, l’une des plus belles qu’on ait vues.

Les décors tout d’abord, faits de toiles de maîtres impres­sion­nistes (Mon­et, Renoir, Van Gogh, etc.) en vidéo sur les murs, allu­sion à la vie de bohème de ces pein­tres (pour cer­tains) et au méti­er de Mar­cel­lo, toiles con­tem­po­raines de Puc­ci­ni (mais d’un demi-siè­cle ultérieures aux événements).

Ces décors à la fois beaux et réal­istes sont une grande réus­site, car on imag­ine com­bi­en il est dif­fi­cile de ren­dre l’impression de la mis­ère à cette époque tout en restant esthé­tique et agréable.

C’est égale­ment le cas des cos­tumes, élé­gants sans anachro­nismes, ren­dant par­faite­ment jus­tice à la con­di­tion des per­son­nages, mais sans tomber dans le misérabilisme.

Mais la réus­site musi­cale est à met­tre à l’actif de Ric­car­do Chail­ly. Le chef ital­ien, depuis trente ans à la tête suc­ces­sive­ment de deux des plus beaux orchestres d’Europe (Ams­ter­dam puis Leipzig), rend l’orchestre de l’opéra de Valence (mag­nifique bâti­ment du Palau de les Arts « Reina Sofia », ouvert en 2012) tou­jours pas­sion­nant, faisant con­tinû­ment ressor­tir des détails per­ti­nents, idéal pour un opéra que l’on con­naît par cœur.

Les atmo­sphères dif­férentes des qua­tre actes sont ain­si par­faite­ment ren­dues (notam­ment l’humour potache sen­si­ble lors des deux pre­miers actes), l’orchestre étant le meilleur des nar­ra­teurs. Le bas­cule­ment de l’ambiance vers le drame au moment de l’entracte est net­te­ment ressenti.

Du reste, tous les sec­onds rôles vien­nent saluer avant l’entracte, lais­sant les six per­son­nages prin­ci­paux saluer seuls à la fin de l’opéra, dans l’atmosphère suf­fo­cante de l’injustice de la mort de Mimi.

Une pro­duc­tion d’exception pour l’opéra de l’île déserte.

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