Giacomo Puccini : Manon Lescaut

Dossier : Arts, lettres et sciencesMagazine N°753 Mars 2020
Par Marc DARMON (83)

DVD Manon LescautLe roman, rédigé sous forme de mémoires, de l’abbé Prévost (1731) est à l’origine de trois opéras, tous à con­naître. L’opéra d’Auber est le moins con­nu. Sa redé­cou­verte au Théâtre impér­i­al de Com­piègne en 1990, avec les jeunes Annick Mas­sis et Élis­a­beth Vidal, a mon­tré pour­tant la grande qual­ité de cette œuvre et de ce com­pos­i­teur. La mise en musique la plus célèbre est celle de Jules Massenet (1884), l’opéra le plus célèbre du com­pos­i­teur avec Werther. Mais mon préféré est, de loin, l’opéra de Puccini.

C’est le pre­mier opéra de Puc­ci­ni (1893) qui ait été un suc­cès et qui soit encore joué régulière­ment. Après Manon Lescaut allaient suiv­re les suc­cès que sont les for­mi­da­bles La Bohème (1896), Tosca, Madame But­ter­fly. Avant Manon Lescaut, Puc­ci­ni avait déjà com­posé plusieurs opéras, dont Edgar, très rarement joué, et surtout Le Willis, presque jamais représen­té ni enreg­istré, alors que tout Puc­ci­ni y est en germe. Je con­seille d’écouter une fois Le Willis dans l’enregistrement défini­tif, réal­isé par Lorin Maazel, Plá­ci­do Domin­go et Rena­ta Scot­to (1979, Sony), expéri­ence très sat­is­faisante pour décou­vrir le jeune Puc­ci­ni et la genèse du style qui le ren­dra célèbre. Mais, si le pub­lic ignore totale­ment Le Willis et Edgar, il con­naît mal égale­ment Manon Lescaut, de même que les derniers opéras achevés de Puc­ci­ni, Le trip­tyque, La ron­dine et La fille du Far-West.

Musi­cale­ment, les qua­tre actes du Manon Lescaut de Puc­ci­ni sont de plus en plus beaux, représen­tant tout d’abord la ren­con­tre de Manon à la fois avec le bel étu­di­ant Des Grieux et le riche Géronte, puis le choix fait par Manon de la vie de bohème plutôt que du con­fort d’une belle entretenue, puis le départ de Manon en exil aux États-Unis, et enfin sa mort dans les bras de Des Grieux dans l’Ouest améri­cain (épisode man­quant chez Massenet). Le qua­trième acte a d’ailleurs la par­tic­u­lar­ité de ne mon­tr­er que les deux per­son­nages prin­ci­paux durant tout l’acte.

Ce DVD est l’occasion idéale pour décou­vrir ou appro­fondir Manon Lescaut. La pro­duc­tion lon­doni­enne de Covent Gar­den en 2014 est par­faite, musi­cale­ment et scénique­ment. Le chef anglo-ital­ien Anto­nio Pap­pano dirige l’ensemble, sans baguette, avec une grande finesse mais aus­si une grande énergie et forte déter­mi­na­tion et avec une superbe dis­tri­b­u­tion. Jonas Kauf­mann tout d’abord, à juste titre le plus célèbre ténor actuel, nous enchante de sa voix chaude et de son style par­faite­ment adap­té à la musique vériste. Le ténor alle­mand chan­tant en ital­ien le rôle d’un étu­di­ant parisien (lisant Camus) est par­faite­ment crédi­ble. Sa parte­naire Kris­tine Opo­laïs a atteint désor­mais une recon­nais­sance inter­na­tionale par­faite­ment jus­ti­fiée, avec les qual­ités qu’elle mon­tre dans cette pro­duc­tion en Manon, capa­ble de faire ressen­tir la souf­france et les sen­ti­ments douloureux, comme la joie de vivre et le désir. Les deux bary­tons jouant les rôles mau­vais de l’affreux frère Lescaut et du bar­bon libidineux Géronte sont absol­u­ment au niveau d’une bonne représen­ta­tion de Covent Garden.

La scéno­gra­phie, on l’a dit, est très réussie. Défini­tive­ment tran­scrit à l’époque mod­erne, les jeunes étu­di­ants ressem­blent aux ado­les­cents d’Amer­i­can Pie ou autres films d’ado hol­ly­woo­d­i­ens. Le décor tour­nant représente tour à tour un immeu­ble design, une salle de jeu, l’appartement mod­erne classe et en même temps de très mau­vais goût de Manon dev­enue cocotte qui passe trois actes très court vêtue, un plateau de jeu télévisé où un présen­ta­teur gom­iné fait son choix pour le départ aux Amériques, et le désert améri­cain et toute sa sécher­esse. L’allumeur de réver­bères du troisième acte devient un éclairag­iste du théâtre mod­erne de Covent Gar­den, et ain­si de suite.

Un dernier mot au sujet du célèbre, et superbe­ment joué, inter­mez­zo, placé entre les sec­ond et troisième actes, il reprend pour­tant les thèmes du qua­trième acte, mon­trant que la souf­france et la mort du dernier acte sont déjà toutes entières dans la sit­u­a­tion de fin du sec­ond acte. La musique de cet inter­mez­zo (et donc de la mort de Manon au qua­trième acte) est issue d’une très belle œuvre antérieure de Puc­ci­ni, le Quatuor Crisan­te­mi (Les Chrysan­thèmes, 1890), morceau par­ti­c­ulière­ment poignant.

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