Dmitri Chostakovitch par Tatiana Nicolaïeva

Dmitri Chostakovitch : Préludes et Fugues Opus 87

Dossier : Arts, lettres et sciencesMagazine N°782 Février 2023
Par Marc DARMON (83)

Né en 1906, Dmi­tri Chos­ta­ko­vitch a connu les révo­lu­tions de 1917, le régime et les exac­tions du régime de Sta­line, la mort du dic­ta­teur (et de Pro­ko­fiev, le même jour) et le suc­cès des appa­rat­chiks, et il est mort en 1975 avant toute per­es­troï­ka. Sa vie et son œuvre se sont ins­crites au sein d’une socié­té totalitaire.

« Je me sens par­ti­cu­liè­re­ment proche du génie musi­cal de Bach. Bach joue un rôle impor­tant dans ma vie. Je joue tous les jours une de ses pièces. C’est pour moi un véri­table besoin, et ce contact quo­ti­dien avec la musique de Bach m’apporte énor­mé­ment. » C’est ce que disait Dmi­tri Chos­ta­ko­vitch en 1950, au moment où il tra­vaillait à cette œuvre qui est un véri­table hom­mage à Bach par sa structure.

« Cette œuvre est un véritable hommage à Bach par sa structure. »

Chos­ta­ko­vitch, alors qu’il est cen­su­ré (une seconde fois, après une grande crise en 1936) par le régime sovié­tique en 1948 pour « for­ma­lisme » (com­prendre « avant-gar­disme »), eut l’idée de cette œuvre lors d’un voyage à Leip­zig pour le 200e anni­ver­saire de la mort de Bach. C’est là qu’il pré­si­da au jury du prix Bach qui remit le pre­mier prix à la jeune pia­niste Tatia­na Niko­laïe­va qui venait d’interpréter les Pré­ludes et Fugues de Bach. On le com­prend, le besoin de retour­ner aux sources de la musique et cette ren­contre avec Nico­laïe­va et son inter­pré­ta­tion de Bach sont à l’origine de cette œuvre phénoménale.

Depuis Bach et ses deux livres du Cla­vier bien tem­pé­ré (1722 et 1742), plu­sieurs autres com­po­si­teurs ont com­po­sé des cycles d’œuvres sur les 12 tona­li­tés (ou en fait 24 tona­li­tés, en majeur et mineur) : Cho­pin (Pré­ludes, 1835), Liszt (Études d’exécution trans­cen­dante, 1826), Scria­bine (1893), Rach­ma­ni­nov (Pré­ludes, 1892–1910), Alkan (Pré­ludes, 1847), Hin­de­mith (Ludus Tona­lis, 1942 !). Jusqu’à ce chef‑d’œuvre que Chos­ta­ko­vitch com­pose en 1950–1951 pour Tatia­na Niko­laïe­va, qu’elle crée à Lenin­grad en 1952 et qui est publié dans la fou­lée. Ces Pré­ludes et Fugues sont par­se­més de réfé­rences, allu­sions et cita­tions du Cla­vier bien tem­pé­ré de Bach. 

« Une performance historique et de référence. »

Plu­sieurs enre­gis­tre­ments en disque par Niko­laïe­va existent, mais le film réa­li­sé par la BBC fin décembre 1992 (quinze ans après la mort de Dmi­tri Chos­ta­ko­vitch et un an avant le décès de la pia­niste) est un docu­ment excep­tion­nel. Niko­laïe­va a reçu conseils et direc­tives direc­te­ment de Chos­ta­ko­vitch, et nous avons donc là une per­for­mance his­to­rique et de référence.

Dans ces pré­ludes et fugues de styles extrê­me­ment dif­fé­rents (baroques prin­ci-pale-ment : cha­conne, gavotte, sara­bande, inven­tion, valse…), ses inter­pré­ta­tions sont très variées, allant de l’angoisse à l’extase. Natu­rel­le­ment il est indis­pen­sable de rendre jus­tice à la grande varié­té de l’univers du pia­no à mul­tiples facettes de Chos­ta­ko­vitch, ce que fait par­fai­te­ment la pia­niste. Notons que ce cycle a éga­le­ment été enre­gis­tré par Keith Jar­rett, ce qui est un bon indi­ca­teur de la liber­té d’interprétation que laisse le com­po­si­teur au pianiste.

En bonus, il y a un court docu­men­taire, seule­ment sous-titré en anglais (mais bien com­pré­hen­sible), dans lequel on peut voir Dmi­tri Chos­ta­ko­vitch lui-même jouer au pia­no (avec une allure très triste) et dans lequel Tatia­na Niko­laïe­va parle de sa ren­contre avec le com­po­si­teur. 

En conclu­sion, c’est une inter­pré­ta­tion gran­diose, poi­gnante et cap­ti­vante, par une inter­prète pour qui l’œuvre n’a pas de secret et qui en domine infi­ni­ment toutes les dif­fi­cul­tés tech­niques. 


Tatia­na Nicolaïeva

1 DVD Medi­ci Arts

Poster un commentaire