Prokofiev : Roméo et Juliette, Lieutenant Kijé Ravel : Shéhérazade

Dossier : Arts, lettres et sciencesMagazine N°751 Janvier 2020Par :

Marianne Crebassa, mezzo-soprano

Orchestre Philharmonique de Berlin

Direction Tugan Sokhiev

Un DVD ou un Blu-ray Euroarts

Par Marc DARMON (83)

Pro­gramme ori­gi­nal pour ce tra­di­tion­nel concert en plein air à la Waldbühne du Phil­har­mo­nique de Ber­lin. Le concert débute par l’œuvre la moins connue du pro­gramme, et pour­tant pas­sion­nante. C’est la musique que Pro­ko­fiev a com­po­sée pour le film sovié­tique Lieu­te­nant Kijé (1934). Contrai­re­ment aux deux films d’Eisenstein pour les­quels Pro­ko­fiev a com­po­sé, Alexandre Nevs­ki (1938) et Ivan le Ter­rible (1942), le film Lieu­te­nant Kijé n’est pas immor­tel et est tom­bé dans l’oubli. Il raconte l’histoire d’une erreur bureau­cra­tique qui amène à la créa­tion d’un lieu­te­nant ima­gi­naire, mais comme per­sonne n’ose annon­cer l’erreur à Sta­line, le lieu­te­nant Kijé se fait éga­le­ment créer par l’administration faits de guerre, mariage et enter­re­ment. Les cinq mor­ceaux que forment la suite que l’on joue en concert repré­sentent cha­cun un épi­sode, avec une musique très carac­té­ris­tique, de grande qua­li­té. La Romance est ins­pi­rée d’une ber­ceuse russe, aus­si reprise par Sting dans son tube Rus­sians.

Le plat de résis­tance est la suite tirée du bal­let de Pro­ko­fiev Roméo et Juliette. Il faut réa­li­ser que les plus grands com­po­si­teurs russes Tchaï­kovs­ki, Pro­ko­fiev et Stra­vins­ki ont com­po­sé pour le bal­let cer­taines de leurs meilleures œuvres, Le Lac des cygnes, La Belle au bois dor­mant et Casse-Noi­sette pour Tchaï­kovs­ki, Le Sacre du prin­temps, Pétrou­ch­ka, Pul­ci­nel­la et L’Oiseau de feu pour Stra­vins­ki, Cen­drillon et Roméo et Juliette pour Pro­ko­fiev. Natu­rel­le­ment le drame de Sha­kes­peare, l’histoire d’amour contra­rié par excel­lence, a ins­pi­ré des chefs‑d’œuvre à Ber­lioz, Pro­ko­fiev et Leo­nard Bern­stein. Cette musique d’une rare richesse est pre­nante de bout en bout, ain­si les deux heures du bal­let sont inté­gra­le­ment for­mi­dables. Mais au concert on joue régu­liè­re­ment des suites d’orchestre qui réunissent les meilleurs moments, et la suite sélec­tion­née par Tugan Sokhiev asso­cie les neuf mor­ceaux les plus célèbres.

Ravel et Crebassa

Le cycle de trois mélo­dies Shé­hé­ra­zade de Mau­rice Ravel (1903), sur des textes du peintre et poète Tris­tan Kling­sor (pseu­do­nyme tiré de deux per­son­nages de Wag­ner), est très ins­pi­ré de Debus­sy. Elles sont ce soir-là inter­pré­tées par la mez­zo fran­çaise Marianne Cre­bas­sa qui fait une car­rière inter­na­tio­nale remar­quable. Sa voix chaude et pre­nante trans­met par­fai­te­ment l’atmosphère ima­gi­née par Ravel pour cette ambiance sen­suelle des Mille et Une Nuits.

Comme tou­jours pour les concerts de la Waldbühne, le DVD per­met de bien mieux voir et entendre que les vingt mille spec­ta­teurs de cette soi­rée d’été 2019. Tugan Sokhiev, direc­teur du Bol­choï de Mos­cou, mais que nous avons la chance d’avoir aus­si en France à Tou­louse depuis quinze ans, montre ses qua­li­tés dans ce concert où l’orchestre, mal­gré l’obstacle de jouer en plein air, est constam­ment inté­res­sant et est très bien enre­gis­tré. Ses talents de conteur d’histoire sont idéaux dans ce pro­gramme, très agréable à regarder.

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