Jean-Sébastien Bach : Six Suites pour violoncelle seul

Jean-Sébastien Bach : Six Suites pour violoncelle seul

Dossier : Arts, lettres et sciencesMagazine N°789 Novembre 2023
Par Marc DARMON (83)

Voici un des pre­miers dis­ques que j’ai achetés en disque com­pact pour la diskhale (binet médiathèque de l’X) clas­sique, il y a quar­ante ans lorsque j’en étais un des respon­s­ables à Palaiseau, et qu’il a fal­lu pass­er de la dis­cothèque des élèves en peu de temps au CD qui venait de naître. Ce disque était un ovni dans un monde tra­di­tion­nel où les références étaient bien établies, par des vio­lon­cel­listes mûrs, voire âgés (Casals avait atten­du 60 ans, Torte­lier, Fournier…). 

Même Ros­tropovitch n’avait pas encore osé en 1984 con­fi­er aux micros sa vision de cet ensem­ble magis­tral que sont les six Suites pour vio­lon­celle seul de Bach. Et le jeune Mis­cha Maisky dyna­mi­ta avec son pre­mier disque le paysage par son approche hyper­ex­pres­sive, presque sen­suelle, son jeu solaire, avec un vibra­to incan­des­cent. Ce disque, sans aucune con­ces­sion au mou­ve­ment baro­queux qui émergeait alors (Harnon­court, William Christie…), sus­ci­ta quelques fron­ce­ments de sour­cils (Maisky avait déclaré que Bach était le plus grand roman­tique !), mais fut en moyenne acclamé aus­si bien en Europe (Grand Prix du disque) qu’au Japon.


Lire aus­si : Con­cert de Martha Arg­erich et Mis­cha Maisky


Alors que les débats sur le respect de la par­ti­tion et des indi­ca­tions du com­pos­i­teur fai­saient rage, il a choisi délibéré­ment de don­ner dans cet enreg­istrement une approche sub­jec­tive et nous présente donc ici Bach sous un jour roman­tique : « La musique est ma reli­gion, Bach est ma Bible », dis­ait-il à l’époque.

Com­posées autour de 1720, les Suites de Bach pour vio­lon­celle seul sont un ensem­ble d’œuvres sans équiv­a­lent dans l’histoire de la musique. Cha­cune des Suites est une suc­ces­sion de pièces ou le com­pos­i­teur puis l’artiste doivent à la fois faire ressen­tir la danse, percevoir le con­tre­point et dévelop­per l’harmonie sans accom­pa-gne­ment. Sans accom­pa­g­ne­ment donc, l’interprète doit donc réalis­er sur un instru­ment à une voix à la fois la mélodie et l’harmonie. Bach prend le pré­texte d’une suite de dans­es (gavotte, sara­bande, menuet, gigue, alle­mande, courante…) pour écrire une des musiques les plus pures et les plus com­plex­es jamais composées.

J’ignorais à l’époque que l’interprétation était immor­tal­isée en image. Image qui apporte beau­coup. Filmé dans une belle salle d’une vil­la pal­la­di­enne d’Italie, Maisky révo­lu­tionne mais ne ren­verse pas la table ; il est en smok­ing, alors qu’il portera par la suite des tenues, dis­ons, plus show-off. La caméra s’attarde sur l’archet, la main gauche et le vis­age, ce qui donne le temps d’étudier et d’apprécier ses mou­ve­ments et ses expres­sions. L’archet se déplace d’une manière presque joyeuse, ce qui est absol­u­ment mag­nifique à regarder. Le recueille­ment de l’artiste égale­ment est sai­sis­sant, par exem­ple transparais­sant dans l’élégance du prélude de la Sec­onde suite.

Le son du DVD est très bon, le vio­lon­celle chaud de Maisky est très bien ren­du, avec une ampleur, une ron­deur, une générosité dans tous les reg­istres. Le film per­met de voir net­te­ment que Maisky applique aux crins de son archet une ten­sion très supérieure à ce qui se fait d’habitude, ce qui oblige à appuy­er l’archet sur les cordes par­ti­c­ulière­ment fort, c’est cet appui « mus­clé » qui donne une puis­sance sans égale au son. Bien sûr, il faut un bras droit de ten­nis­man et un entraîne­ment con­sid­érable, mais le résul­tat est assez stupé­fi­ant de puis­sance. Maisky a vrai­ment un son unique. 

Maisky a réen­reg­istré ces Suites quinze ans plus tard, con­sid­érant que son enreg­istre-ment de 1984 était car­i­cat­ur­al par rap­port à son style de la fin des années 90. Ce n’est pas notre avis, la sec­onde ver­sion est plus maniérée et moins naturelle. 


Mis­cha Maisky, vio­lon­celle, 1984

Deux DVD Deutsche Grammophon

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