Quatuor Borodin Chostakovitch

Piotr Ilitch Tchaïkovski : Quatuors 1 et 2
Dmitri Chostakovitch : Quatuors 3 et 8

Dossier : Arts, lettres et sciencesMagazine N°774 Avril 2022
Par Marc DARMON (83)

Mag­nifique doc­u­ment que ce DVD qui nous restitue un con­cert de 1987, et qui laisse un témoignage en image du Quatuor Boro­dine qui a tant apporté à la créa­tion russe du vingtième siè­cle. Ce quatuor fondé en 1945 (avec Ros­tropovitch et Bar­chaï !) a en par­ti­c­uli­er accom­pa­g­né Chostakovitch tout au long de la com­po­si­tion de ses quatuors. C’est ce quatuor qui a joué pour les obsèques de Staline et de Prokofiev, le même jour de 1953.

Les quinze quatuors de Chostakovitch (1906–1975) sont l’ensemble le plus impor­tant du com­pos­i­teur, avec ses quinze sym­phonies. Comme pour les sym­phonies, les styles changent tout au long de la car­rière du com­pos­i­teur, avec un par­al­lèle sai­sis­sant. Le Quinz­ième Quatuor étant comme la Quinz­ième Sym­phonie d’un car­ac­tère expéri­men­tal pas­sion­nant. Les quinze quatuors écrits de 1938 à 1974 con­stituent une sorte de jour­nal intime du compositeur.

L’ensemble de l’interprétation est idéal, avec un lyrisme échevelé pour les très roman­tiques quatuors de Tchaïkovs­ki, lyrisme qui cul­mine dans le célèbre andante du Sec­ond Quatuor, d’une tristesse slave à couper le souffle.

Mais l’œuvre en par­ti­c­uli­er qui fait de ce DVD un doc­u­ment d’une valeur ines­timable est l’interprétation du Huitième Quatuor de Chostakovitch, une œuvre d’une force, et mal­heureuse­ment d’une actu­al­ité, épous­tou­flantes. Ce quatuor a été créé par le Quatuor Boro­dine pen­dant la péri­ode la plus noire et stres­sante du stal­in­isme. Chostakovitch en fait une œuvre auto­bi­ographique, avec quelques élé­ments facile­ment recon­naiss­ables et impor­tants à noter. 

Tout d’abord, l’œuvre est con­stam­ment mar­quée par le thème sig­na­ture du com­pos­i­teur, le tétra­gramme DSCH que sont ses ini­tiales et qui, tran­scrit en nota­tion musi­cale alle­mande, donne -mi bémol-do-si naturel, motif que l’on entend de façon lanci­nante à tra­vers de nom­breuses trans­for­ma­tion tout au long de l’œuvre, mon­u­men­tale. Ce thème tétra­gramme appa­raît égale­ment dans les Dix­ième et Quinz­ième Sym­phonies. On note, bien évidem­ment, la ressem­blance de cette for­mule motivique avec celle de BACH (sib, la, do, si) qui est son exact ren­verse­ment. « Je me suis dit qu’après ma mort per­son­ne sans doute ne com­poserait d’œuvre à ma mémoire. J’ai donc résolu d’en com­pos­er une moi-même… », dira Chostakovitch. 

Chostakovitch ajoute égale­ment de nom­breuses autoc­i­ta­tions, dont le célèbre thème juif de son Sec­ond Trio, thème qui, entrelacé avec la sig­na­ture musi­cale du nom du com­pos­i­teur, mon­tre sa sol­i­dar­ité face à l’antisémitisme très présent en cette péri­ode. Men­tion­nons égale­ment au troisième mou­ve­ment les coups de boutoir répétés des cordes graves, lesquels représen­tent les coups à la porte au petit matin des forces de sécu­rité qui emme­naient les opposants, et font bien sen­tir l’angoisse général­isée d’être réveil­lé un matin par ces bruits sourds à la porte.

Même si l’image est naturelle­ment un peu datée, nous avons la chance d’avoir sur ce DVD une prise de son d’exception ; l’intensité sonore du quatuor et des œuvres est par­faite­ment resti­tuée, ce qui fait, on l’a dit, de ce DVD un doc­u­ment historique. 


Quatuor Boro­dine
Un DVD Medici Arts

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