Viennoiseries

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°611 Janvier 2006Rédacteur : Jean SALMONA (56)

Wiener Musik

Wiener Musik

En France, les valses vien­nois­es sont sou­vent con­sid­érées comme une musique d’une autre époque, réservée au pati­nage artis­tique et au con­cert du jour de l’An. Mais si vous allez à Vienne, vous pour­rez y voir des groupes de jeunes valser sur la ter­rasse du Volks­garten aus­si impec­ca­ble­ment que les bour­geois en habit et robe du soir dans le foy­er de l’Opéra. Cette musique entraî­nante, de plaisir pur, Robert Stolz, qui en fut le pape incon­testé de 1898 à 1975, en a enreg­istré avec le Berlin­er Sym­phoniker et le Wiener Sym­phoniker un flo­rilège en un cof­fret1 où fig­ure l’essentiel des com­po­si­tions de la famille Strauss (Johann père et fils et Joseph), y com­pris polkas et march­es (dont la Marche Radet­sky ren­due célèbre par le roman de Joseph Roth), et les valses de Lan­ner et Ziehrer. On pour­ra regret­ter qu’Oscar Straus (un seul s), qui com­posa pour les films de Max Ophuls, Franz Lehar, Kalman, soit sous­représen­té, mais il y a là, à un moment où l’Occident est gag­né par la morosité et la mélan­col­ie – et pas seule­ment en musique – un témoignage de cette joie de vivre qui fut, il y a un siè­cle, la mar­que de la vieille Europe.

Pour se faire plaisir

Le Fes­ti­val de Salzbourg 2004 a per­mis de redé­cou­vrir la musique d’Erich Korn­gold, élève de Mahler et Zem­lin­s­ki, plus con­nu aujourd’hui par les musiques de film qu’il écriv­it entre 1938 et 1946 à Hol­ly­wood où il était exilé, que par sa musique de cham­bre et ses oeu­vres sym­phoniques. Un disque récent présente qua­tre oeu­vres enreg­istrées live au Fes­ti­val, dont la Suite pour deux vio­lons, vio­lon­celle et piano, la musique de scène de Beau­coup de bruit pour rien, et le Con­cer­to pour vio­lon et orchestre (qui fut créé par Heifetz), avec Ben­jamin Schmid et le Phil­har­monique de Vienne dirigé par Sei­ji Oza­wa2. Ces pièces très élaborées, rigoureuse­ment tonales, qui doivent beau­coup à Tchaïkovs­ki, Brahms, Mahler, lais­sent entrevoir ce qu’aurait pu être la musique aus­tro-alle­mande du XXe siè­cle si l’École de Vienne n’avait pas entraîné ses dis­ci­ples dans une impasse.

Sous le titre French orches­tral minia­tures, l’Orchestre Phil­har­monique de Bohême, dirigé par Dou­glas Bostock, a enreg­istré des pièces de musique française du XXe siè­cle, par­mi lesquelles Le pein­tre et son mod­èle de Georges Auric, Petite Suite d’Albert Rous­sel, Féli­cie Nan­teuil de Jacques Ibert, Pièce brève sur le nom d’Albert Rous­sel, de Poulenc, Trois Rag Caprices de Dar­ius Mil­haud3. Musique char­mante, sans pré­ten­tion mais fine­ment écrite, qui fait pass­er le plaisir avant l’innovation et qui, quoi qu’en dis­ent les académistes con­tem­po­rains, aura mar­qué la musique française de la pre­mière moitié du siè­cle dernier, plus que des oeu­vres plus ambitieuses… et plus ennuyeuses aussi.

C’est aus­si pour se (et nous) faire plaisir que Jean-Marc Apap, le vio­loniste jazzman et tzi­gane comme devraient l’être tous les vio­lonistes (n’est-ce pas Ivry Gitlis, Gidon Kre­mer, Itzhak Perl­man?), a enreg­istré à l’alto trois des Suites pour vio­lon­celle seul de Bach4. Ce n’est pas seule­ment la dif­férence de tim­bre qui fait de ces adap­ta­tions des pièces orig­i­nales : le jeu de l’archet per­met à l’alto une véloc­ité et une régu­lar­ité plus dif­fi­ciles à attein­dre avec le vio­lon­celle. Et Apap, tout en ne s’écartant pas d’un pouce de ce qui est écrit, swingue comme Grap­pel­li. Bach, grand ama­teur de tran­scrip­tions, aurait aimé, c’est sûr, de même qu’il n’aurait pas renié l’arrangement pour alto et quatuor à cordes des chorals Nun komm, der Hei­den Hei­land et An Wasser­flüssen Baby­lon, qui com­plè­tent le disque.

DVD musicaux

Les DVD musi­caux sont, pour peu que l’on dis­pose d’un bon équipement vidéo et hi-fi, l’aboutissement suprême de ce que la tech­nique fait pour l’art : à la dif­férence du con­cert, les musi­ciens jouent pour vous seul, per­son­ne ne tou­sse, et l’on peut voir sur le vis­age des inter­prètes se dessin­er chaque note. Nous citerons trois DVD récents qui con­stituent un bon échan­til­lon de ce que l’on peut faire de mieux dans trois reg­istres différents.

En matière d’archives, sous le titre Fran­cis Poulenc et ses amis, sont présen­tés le Con­cer­to pour deux pianos et orchestre, enreg­istrement his­torique de 1962 par Poulenc et Jacques Févri­er avec l’Orchestre Nation­al dirigé par Georges Prêtre, le Con­cer­to pour orgue, cordes et tym­pa­ns par Jean-Jacques Grü­nen­wald et l’Orchestre Phil­har­monique dirigé égale­ment par Georges Prêtre, la Sonate pour flûte et piano par Jean-Pierre Ram­pal et Robert Vey­ron-Lacroix, des Chan­sons par Gabriel Bac­quier5, etc. La tech­nique vidéo n’était pas ce qu’elle est aujourd’hui, ni la mise en images, mais les inter­prètes – mythiques – font de ce disque un incun­able pour les amoureux de la musique de Poulenc (on peut voir, enfin, com­ment Poulenc voulait que l’on jouât l’andante mozar­tien du Con­cer­to pour deux pianos).

Les Pal­adins, l’opéra de Rameau, a été enreg­istré live en 2004 au Châtelet par William Christie et ses Arts Floris­sants dans la mise en scène de José Mon­tal­vo, avec la dis­tri­b­u­tion qui ent­hou­si­as­ma la cri­tique l’an dernier6. C’est un régal des sens : voix, cos­tumes et décors, choré­gra­phie, tout est par­fait, et l’on voit chaque détail, chaque jeu de scène, grâce à une mise en images raf­finée, mieux qu’aucun spec­ta­teur n’a pu l’apercevoir.

Le Quatuor Alban Berg a fait des Quatuors de Beethoven, à la fin des années qua­tre-vingt, en même temps qu’il les jouait en tournée (con­certs inou­bli­ables à Paris en 1989) un enreg­istrement qui, depuis, est resté la référence absolue. Voir les Alban Berg jouer cinq de ces quatuors (5, 6, 8, 9, 16) au Wiener Konz­erthaus vous situe en un improb­a­ble nir­vana : aucune inflex­ion ne vous échappe, chaque échange de regards se traduit instan­ta­né­ment dans la phrase musi­cale. Les dieux sont là, devant vous, dans votre salon, magi­ciens atten­tifs et chaleureux, vous essuyez une larme, c’est le bon­heur total.

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1. 12 CD RCA Red Seal.
2. 1 CD OEHMS OC 537.
3. 1 CD Scan­di­na­vian Clas­sics 220530–205.
4. 1 CD ZIGZAG ZZT051103.
5. 1 DVD EMI 42. 6. 1 DVD OPUS ARTE OA 0938 D.

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