Le Chevalier à la rose

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°654 Avril 2010Par : Richard StraussRédacteur : Marc DARMON (83)

Cette pro­duc­tion a près de quinze ans (créée à Salzbourg puis à l’Opéra Bastille, quel sou­venir nous en gar­dons!), et elle est tou­jours aus­si mag­nifique. Filmée l’année dernière à Baden-Baden dans la plus belle dis­tri­b­u­tion pos­si­ble aujourd’hui, elle est main­tenant disponible avec un des plus beaux DVD du catalogue.

Coffret DVD du Chevalier à la roseLe Cheva­lier à la rose, en binôme avec Ari­ane à Nax­os, mar­que un nou­veau virage dans le style de Strauss après les deux opéras postro­man­tiques, expres­sion­nistes et vio­lents que sont Salomé et Elek­tra. Ici (1911), il n’y a plus de vio­lence mais au con­traire un esprit mozar­tien et un raf­fine­ment « Âge des Lumières », où des per­son­nages vien­nois du XVIIIe siè­cle chantent autour des rythmes de valses du XIXe siè­cle sur une musique du XXe siè­cle. La Maréchale (on pense à la Comtesse des Noces de Figaro) se sac­ri­fie et laisse son jeune amant le cheva­lier Octa­vian (chan­té par une mez­zo, référence au Chéru­bin des Noces) par­tir avec la belle Sophie à qui il appor­tait la rose, sym­bole de la demande en mariage, pour le compte du grossier baron Ochs.

Le grand poète et dra­maturge Hugo von Hof­mannsthal col­lab­o­ra avec Strauss pour ses plus grands opéras. Sur cette intrigue con­stru­ite par Hof­mannstahl dans le style de Mari­vaux, Strauss met en musique trois voix de femmes dans des airs et des ensem­bles mag­nifiques (le réveil après la nuit d’amour à l’acte I, le coup de foudre à l’acte II, le trio final de l’acte III). Il fait aus­si tra­vers­er l’opéra par une basse bouffe comme Mozart ou Rossi­ni les util­i­sait, représen­tant le grossier puis grotesque Baron. C’est prob­a­ble­ment l’opéra par lequel on doit débuter sa décou­verte de l’univers lyrique de Strauss.

Pour cela, le DVD Dec­ca est prob­a­ble­ment celui à con­seiller en pri­or­ité. La dis­tri­b­u­tion fait rêver : la belle Renée Flem­ing a pris le relais depuis quinze ans de Schwarzkopf (années 50) et Kiri Te Kanawa (années 70–80) comme la voix de référence pour ces grands rôles mozar­tiens ou straussiens. Elle est une Maréchale absol­u­ment excep­tion­nelle (les ensem­bles dans les pre­mier et troisième actes, et le célèbre air où, nos­tal­gique, elle regrette son âge). La for­mi­da­ble Sophie Koch est par­faite et très crédi­ble en Octa­vian. Diana Dam­rau, dont la notoriété est désor­mais bien assurée, est une très belle Sophie. Franz Hawla­ta est idéal à la fois musi­cale­ment et dans le con­traste qu’il fait ressen­tir entre la grossièreté de son per­son­nage et le raf­fine­ment de la Maréchale. D’ailleurs tous les chanteurs sont aus­si des acteurs très crédi­bles (y com­pris physique­ment) et ren­dent de façon naturelle les com­porte­ments des personnages.

La pro­duc­tion s’offre même le luxe de dis­tribuer le grand ténor Jonas Kauf­mann dans le rôle d’un chanteur ital­ien qui chante un air anachronique et par­o­dique au pre­mier acte. Rap­pelons que Strauss n’aimait pas la voix de ténor, et qu’il utilise cette tes­si­ture pour ses per­son­nages fades ou faibles (Bac­chus, Fan­i­nal, l’Empereur, Égis­the, Hérode), ou pour s’en moquer, comme ici. Ses vrais héros mas­culins sont bary­tons bass­es (Oreste, Jochanaan) ou mez­zo (Octa­vian, Le Compositeur).

Le chef Chris­t­ian Thiele­mann est un des plus grands chefs du moment, pas assez val­orisé en France. Il a été magis­tral dans Beethoven l’année dernière à Paris, l’un des plus rich­es qu’il nous a été don­né d’entendre. Il est ici l’architecte de l’ensemble, et le maître d’œuvre de la réus­site musi­cale qu’ont été ces représen­ta­tions (c’est une œuvre d’une grande com­plex­ité à diriger).

On l’a dit la pro­duc­tion est extrême­ment belle à voir. Les cos­tumes sont idéaux, la mise en scène très adap­tée. Mais ce sont les décors qui ren­dent ces DVD irrem­plaçables, avec des bois­eries, des grands escaliers majestueux et des jeux de miroirs dont on se sou­vien­dra longtemps.

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