CD Béatrice RANA joue les variations Golberg

Variations Goldberg : une énigme ?

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°724 Avril 2017Par : Beatrice RANARédacteur : Jean SALMONA (56)Editeur : Un CD Warner

Enreg­istrées pour la pre­mière fois – sauf erreur – en 1933 par Wan­da Landows­ka sur clavecin à deux claviers (l’instrument auquel elles étaient des­tinées par Bach), les vari­a­tions dites Vari­a­tions Gold­berg n’ont guère été enreg­istrées ensuite, jusqu’en 1980, qu’une quin­zaine de fois, dont trois par Glenn Gould. 

Puis appa­raît le disque numérique et le nou­v­el enreg­istrement de Gould, en 1981, déclenche une avalanche d’interprétations, sur le piano, le clavecin et autres instru­ments à clavier, soit une soix­an­taine à ce jour, et ce n’est pas fini. 

Chaque pianiste de renom – ou presque – se doit aujourd’hui d’enregistrer tôt ou tard cette œuvre qui, en 1740, mar­quait à la fois le som­met et l’achèvement du Clavier-Übung, le grand œuvre de Bach pour le clavier, et nom­bre de fes­ti­vals de piano l’inscrivent, chaque été, à leur pro­gramme. Pourquoi ? 

L’œuvre soulève plusieurs énigmes : les cir­con­stances de sa com­po­si­tion, objet d’une légende peu vraisem­blable (elle aurait été com­mandée à Bach par le comte Kaiser­ling pour meubler ses insom­nies en la faisant jouer par le jeune et génial Johann Gold­berg, et rémunérée 100 louis d’or) ; sa struc­ture (30 vari­a­tions en trois groupes de 10, précédées de l’aria et suiv­ies, in fine, de la même aria mais pas tout à fait identique). 

Et aus­si cet engoue­ment du pub­lic : qui n’a pas écouté les Vari­a­tions Gold­berg pour décom­press­er entre deux réu­nions dif­fi­ciles ou bien comme un adju­vant à la médi­ta­tion, et n’en a pas éprou­vé le car­ac­tère un peu magique ? 

Par­mi les enreg­istrements tout récents, celui de la jeune pianiste ital­i­enne Beat­rice Rana1 vient boule­vers­er l’ensemble, avec une véri­ta­ble renais­sance des Vari­a­tions Gold­berg qui relègue celui de Glenn Gould (de 1981) au rang des vieilles lunes. Tout d’abord, Beat­rice Rana pos­sède une tech­nique tran­scen­dante (écouter ses Con­cer­tos de Prokofiev et Tchaïkovs­ki) qui lui per­met de se jouer de toutes les dif­fi­cultés de cette œuvre com­plexe et de con­sacr­er toute son inter­pré­ta­tion à la qual­ité du touch­er, avec des orne­ments min­i­maux et aus­si – et surtout – avec une grande liber­té d’expression.

Nous avons com­paré, vari­a­tion par vari­a­tion, le disque de Beat­rice Rana à qua­tre enreg­istrements très dif­férents les uns des autres : de Gould, de Baren­boïm, de Per­ahia et, in fine, celui de Wan­da Landows­ka au clavecin. Baren­boïm est qua­si orches­tral, Gould provo­cant par ses tem­pos exces­sifs, Per­ahia – le meilleur à ce jour – l’archétype de la sérénité. 

Wan­da Landows­ka est une icône d’un autre temps qui a eu le mérite de révéler cette œuvre mais dont le jeu ne passe plus la rampe. Beat­rice Rana, elle, a choisi l’émotion, une émo­tion retenue et d’autant plus com­mu­nica­tive tout en jouant avec une élé­gance, une finesse qui font par­fois penser à Couperin. Une mer­veilleuse et inex­plic­a­ble alchimie, qui nous laisse pantois. 

Rana explique son pro­jet dans le livret qui accom­pa­gne le disque. Les vari­a­tions, tan­tôt som­bres, tan­tôt lumineuses, jusqu’à l’explosion du quodli­bet – la dernière vari­a­tion – et son évo­ca­tion de chants pop­u­laires, sont vécues comme un par­cours qua­si mys­tique d’une émo­tion con­tin­ue, par­cours qui s’achève sur cette aria reprise presque sem­blable à l’aria du début et que Beat­rice Rana com­pare à la parole de l’Ecclésiaste, « Van­ité des vanités… ». 

On l’aura com­pris : dans ces vari­a­tions, pour Rana, tout est joie ou douleur, à l’image de la con­di­tion humaine. C’est de Dieu qu’il est ques­tion, si vous êtes croy­ant, mais c’est avant tout de « cha­cune de nos pau­vres vies », comme a dit un jour un général qui nous manque bien, en ce moment. 

Courez écouter ces Vari­a­tions Gold­berg com­plète­ment renou­velées, un enreg­istrement vrai­ment excep­tion­nel. Vous approcherez du nirvana. 

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1. 1 CD Warner

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