Lumière, couleurs

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°742 Février 2019
Par Jean SALMONA (56)

Les par­fums les couleurs et les sons se répondent
Charles Baude­laire, Correspondances

Je par­le d’une par­ti­tion d’orchestre comme d’un tableau
Claude Debussy

Au XVIIIe siè­cle, le père Louis-Bertrand Cas­tel invente un clavecin qui asso­cie couleurs et sons. Au début du XXe, Scri­abine conçoit des pro­jets grandios­es asso­ciant couleur et musique et les con­cré­tise avec Prométhée ou le Poème du feu écrit pour grand orchestre, orgue, chœurs, piano, et « clavier à lumières ». En réal­ité, nous évo­quons tous, sou­vent, de telles cor­re­spon­dances à pro­pos d’une pièce musi­cale, d’une interprétation.

Madoka Fukami : Debussy, Ravel

Un jeu inten­sé­ment col­oré : c’est ce qui saute aux yeux, si l’on peut dire, en écoutant la jeune pianiste japon­aise Mado­ka Fuka­mi jouer les Études de Debussy et Miroirs de Rav­el. Les Études, qui exi­gent une tech­nique tran­scen­dante, sont jouées en noir et blanc, mais avec une infinie palette de noirs. L’interprétation de Miroirs évoque les couleurs du fau­visme. Surtout, au-delà de ces cor­re­spon­dances, c’est un éblouisse­ment, une véri­ta­ble révéla­tion (comme il y a quelques mois pour les Vari­a­tions Gold­berg de Beat­rice Rana) : nul, même Sam­son François, n’a joué ces pièces avec une telle puis­sance nerveuse et une telle lumi­nosité. On est pris, sub­jugué. Même l’archi-jouée Alb­o­ra­da del gra­cioso appa­raît comme dépouil­lée de sa gangue. On ne peut que souhaiter que la jeune native de Kyoto enreg­istre main­tenant une inté­grale Debussy et une inté­grale Ravel.

1 CD Passavent

Dynam Vic­tor et Raphaël Fumet

La chape de plomb imposée par les aya­tol­lahs du dodé­ca­phon­isme aura occulté pen­dant des décen­nies les com­pos­i­teurs de musique tonale, et il aura fal­lu atten­dre le xxie siè­cle pour décou­vrir des musiques injuste­ment oubliées, comme celles des Fumet père et fils. Dynam Vic­tor Fumet avait été dis­ci­ple de Franck, ami de Satie et Ver­laine. On peut avoir un aperçu de son œuvre avec des pièces qui valent beau­coup mieux que leurs titres suran­nés : Le Sab­bat rus­tique (poème sym­phonique), Automne (chœur), Le Rou­et de la Vierge (pour piano). Une musique raf­finée dans la droite ligne de Franck. De son fils Raphaël, mort en 1979, le même disque présente cinq pièces dont le pre­mier mou­ve­ment de deux quatuors, l’un pour bois, l’autre à cordes : une musique sub­tile qui témoigne d’une sérieuse recherche har­monique. Dans les deux cas, de belles couleurs pastel. 

1 CD Gallo

Schu­mann au violoncelle

À côté du Con­cer­to pour vio­lon­celle et orchestre (avec le Cham­ber Orches­tra of Europe dirigé par Bernard Haitink), les œuvres de Schu­mann que Gau­ti­er Capuçon a enreg­istrées avec Martha Arg­erich au piano con­stitueront pour beau­coup une décou­verte : un Ada­gio et Alle­gro, trois
Phan­tasi­estücke, Cinq Pièces dans le style pop­u­laire et cinq autres Phan­tasi­estücke, pour trio cette fois avec Renaud Capuçon. Comme tou­jours chez Schu­mann, ces pièces hési­tent entre joie et mélancolie,entre sérénité et angoisse, avec cette appar­ente inno­cence pro­pre à l’enfance qui ne quit­ta jamais Schu­mann (comme plus tard Romain Gary). Ce déséquili­bre con­stant, dont Gau­ti­er Capuçon joue si bien, a un par­al­lèle évi­dent en pein­ture : Van Gogh. Au fond, on

pour­rait dire que la musique de Schu­mann a une dom­i­nante jaune, jaune comme le soleil et comme la folie ?

1 CD ERATO

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