Introduction de la séance inaugurale de la chaire “ développement durable ”

Dossier : ExpressionsMagazine N°584 Avril 2003

Mesdames et Messieurs,

Mesdames et Messieurs,

Je suis heureux de vous accueil­lir ce soir dans les locaux his­toriques de l’École poly­tech­nique pour la créa­tion de la pre­mière chaire d’enseignement et de recherche de l’École, qui est con­sacrée à un thème majeur : le développe­ment durable. Je tiens à vous remerci­er d’être venus si nom­breux, et je remer­cie François Rous­se­ly, Bernard Chevas­sus-au-Louis, Claude Hen­ry, et Claude Fus­sler, d’avoir bien voulu hon­or­er de leur présence et de leur parole cette séance inaugurale.

Pourquoi l’École poly­tech­nique crée-t-elle des chaires d’enseignement et de recherche avec le monde de l’entreprise ? Pourquoi en par­ti­c­uli­er com­mencer par une chaire “ développe­ment durable ” ? Et enfin pourquoi associ­er cette chaire à l’énergie et en par­ti­c­uli­er à EDF ? C’est à ces trois ques­tions que je voudrais répon­dre briève­ment ce soir.

1. Pourquoi l’École polytechnique crée-t-elle des chaires d’enseignement et de recherche avec le monde de l’entreprise ?

Dans le con­trat pluri­an­nuel con­clu le 17 novem­bre 2001 entre l’École poly­tech­nique et l’État, le préam­bule affirme que : “L’École se doit d’aborder le XXIe siè­cle dans un esprit d’ouverture et de ser­vice ”, qu’elle doit “ con­stituer l’un des pre­miers foy­ers de ray­on­nement sci­en­tifique français dans le monde, et demeur­er ce pôle d’excellence qui par­ticipe notable­ment aux suc­cès col­lec­tifs de la France à l’étranger. ”

La mis­sion assignée par l’État à l’École insiste notam­ment sur le rap­proche­ment avec le monde de l’entreprise, dans le cadre d’une poli­tique de parte­nar­i­at, qui s’inscrit bien dans la triple voca­tion de l’École qui est de for­mer, je cite le con­trat pluriannuel :

  • pour les entre­pris­es : des cadres à fort poten­tiel, des inno­va­teurs, des jeunes ayant l’esprit d’entreprendre,
  • pour la recherche : des chercheurs de haut niveau, aptes à abor­der les secteurs les plus nou­veaux et les plus porteurs,
  • pour les ser­vices de l’État : de futurs hauts fonc­tion­naires capa­bles d’appréhender, dans un cadre multi­na­tion­al ou com­mu­nau­taire, les aspects les plus mod­ernes de l’État de demain.”

La créa­tion de chaires d’entreprise, sur des grands enjeux de société, est donc à mes yeux une des voies pour répon­dre aux mis­sions qui nous sont con­fiées en ce début du XXIe siècle.

2. Pourquoi le choix du thème “ développement durable ” et qu’est-ce que l’École polytechnique y apporte ?

I. Tout d’abord, con­sacr­er la pre­mière chaire d’enseignement et de recherche de l’École au développe­ment durable n’est pas un hasard, car le développe­ment durable est le lieu par excel­lence de la ren­con­tre entre la sci­ence et les enjeux de société.

a) En pre­mier lieu, un parte­nar­i­at dans ce domaine traduit les préoc­cu­pa­tions et les enjeux majeurs de notre société.

En effet selon la déf­i­ni­tion de la Com­mis­sion mon­di­ale de l’environnement et du développe­ment (Com­mis­sion Brunt­land), le développe­ment durable c’est “ un développe­ment qui répond aux besoins du présent, sans com­pro­met­tre la capac­ité des généra­tions futures de répon­dre aux leurs ”. La façon dont cette déf­i­ni­tion a été déclinée man­i­feste plusieurs préoc­cu­pa­tions avec par exemple :

  • la recherche d’un développe­ment alliant l’économie, l’environnement et le social,
  • ou encore un souci d’équité à la fois entre généra­tions présentes et généra­tions futures, et au sein même des généra­tions présentes.

La recherche et l’enseignement supérieur doivent naturelle­ment abor­der ces ques­tions. C’est pourquoi, je me réjouis que l’École poly­tech­nique soit réelle­ment motrice dans cette atten­tion portée au développe­ment durable par le monde de l’enseignement et de la recherche.

b) En même temps, un tra­vail sci­en­tifique pluridis­ci­plinaire est néces­saire, afin de ne pas se can­ton­ner à des con­cepts flous et ne pas se laiss­er porter par un effet de mode qui ris­querait d’être éphémère.

Il faut, en effet, une démarche sci­en­tifique rigoureuse dès l’amont, sur des con­cepts qui sont encore à clar­i­fi­er et qui sont surtout à ren­dre opéra­toires. L’implication des sci­en­tifiques me paraît, là, à la fois essen­tielle et très promet­teuse pour l’avenir.

Prenons seule­ment deux exemples :

  • Le pre­mier est celui du principe de pré­cau­tion. Ce principe, aujourd’hui inscrit dans le Droit inter­na­tion­al comme dans le Droit français, est fréquem­ment invo­qué selon des inter­pré­ta­tions qui sus­ci­tent con­fu­sions et fragilités juridiques. Voilà donc là une bonne ques­tion pour les sci­en­tifiques : quelle sig­ni­fi­ca­tion plus pré­cise accorder au principe de pré­cau­tion, en des ter­mes appro­priés pour les décideurs poli­tiques ou les entreprises ?
  • Mon sec­ond exem­ple reflète aus­si une attente réelle des entre­pris­es : com­ment éla­bor­er des indi­ca­teurs de développe­ment durable qui puis­sent être inté­grés dans leurs proces­sus de déci­sions, c’est-à-dire qui soient accom­pa­g­nés d’éléments per­ti­nents dans les pro­jets, lorsqu’il y a des arbi­trages à réalis­er entre rentabil­ité finan­cière, préser­va­tion de l’environnement, et développe­ment du social ?

Et dans ces deux exem­ples, quelles dis­ci­plines sci­en­tifiques mobilis­er ?

Le développe­ment durable est pro­fondé­ment lié aux prob­lèmes de la vie en société qui con­stituent l’objet naturel d’étude de l’économie et des autres sci­ences sociales. Ces sci­ences sont donc des points d’entrée naturels pour fournir des grilles d’analyse du développe­ment durable qui par­tent des prob­lèmes vécus par les hommes dans la “ cité ”.

Mais le développe­ment durable est aus­si lié au rap­port de l’homme à la nature. La sol­lic­i­ta­tion des sci­ences du vivant et de la terre (pen­sons aux liens entre cli­mat et gaz à effet de serre, ou entre biolo­gie et OGM) est donc égale­ment req­uise au sein d’une démarche pro­fondé­ment pluridisciplinaire.

c) Créer une chaire sur le développe­ment durable, c’est aus­si un bon moyen pour les sci­en­tifiques de faire ren­tr­er dans les lab­o­ra­toires les ques­tions des citoyens, et réciproquement.

  • Se laiss­er inter­roger par les citoyens, c’est accepter des ques­tions qui mobilisent chaque dis­ci­pline sci­en­tifique dans sa com­pé­tence pro­pre, mais exi­gent encore plus un tra­vail de dia­logue, d’interpellation et de syn­thèse entre ces dis­ci­plines.
  • Récipro­que­ment, l’implication des sci­en­tifiques per­met de débouch­er sur des forces de propo­si­tion et d’innovation, notam­ment en per­me­t­tant de mieux for­muler et traiter les problématiques.
  • On a là une façon con­struc­tive d’enrichir les débats, de partager ce que l’on sait, ce que l’on ignore, et les points de con­tro­verse.

Il s’agit là égale­ment d’enrichir la recherche et de favoris­er des évo­lu­tions dans l’orientation de la R&D.

Les travaux menés depuis plus de dix ans par le Groupe­ment inter­gou­verne­men­tal d’experts sur le change­ment cli­ma­tique (le GIEC), lieu priv­ilégié de col­lab­o­ra­tion de sci­en­tifiques recon­nus, diver­si­fiés sur le plan dis­ci­plinaire et diver­si­fiés sur le plan inter­na­tion­al, sont un exem­ple par­ti­c­ulière­ment réus­si de ce processus.

Les fruits de ces travaux sont des rap­ports tech­niques, lis­i­bles par des non-experts, et com­plétés de “ résumés pour décideurs ”, qui font aujourd’hui autorité et nour­ris­sent des débats. Ceux-ci en retour ont large­ment con­tribué à ori­en­ter et dynamiser les travaux des chercheurs.

d) Enfin créer une chaire sur le développe­ment durable, c’est for­mer les jeunes dans cet esprit, avec notam­ment une ouver­ture sur les préoc­cu­pa­tions des autres et une ouver­ture sur les ques­tions internationales.

On a là une réponse à une réelle attente des jeunes, si l’on en juge par le nom­bre crois­sant de deman­des d’élèves qui man­i­fes­tent leur intérêt sur ces ques­tions et qui deman­dent à suiv­re un enseigne­ment trai­tant du développe­ment durable.

II. Voyons main­tenant ce que l’École poly­tech­nique peut apporter : elle dis­pose d’atouts recon­nus sur les ques­tions de développe­ment durable ; ce sont les com­pé­tences réu­nies par les experts des lab­o­ra­toires de recherche et par le corps enseignant, dont la notoriété dépasse large­ment les fron­tières de l’Europe.

Pour la recherche, je pense en par­ti­c­uli­er au lab­o­ra­toire d’économétrie, au lab­o­ra­toire de météorolo­gie dynamique, au cen­tre de recherche en épisté­molo­gie appliquée, et aux travaux du départe­ment human­ités et sci­ences sociales et du départe­ment de biologie.

Pour l’enseignement, je pense à deux enseigne­ments de 3e année, à savoir :

  • la “ majeure éco­sciences ”, qui pro­pose des cours sur la bio­di­ver­sité, sur les mod­èles math­é­ma­tiques pour l’écologie et sur l’économie du développe­ment durable,
  • et la “ majeure planète terre ”, qui analyse la Terre comme un sys­tème physique complet,
  • et je pense aus­si au DEA Économie de l’environnement et des ressources naturelles, en col­lab­o­ra­tion avec Paris X, l’INRA, l’École des hautes études en sci­ences sociales, les Mines de Paris, les Ponts et l’ENGREF.

Ces équipes de chercheurs et d’enseignants de l’École poly­tech­nique dis­posent d’excellentes com­pé­tences en économie théorique appliquée aux prob­lèmes d’environnement et de ges­tion des risques, en économie dans son artic­u­la­tion avec les sci­ences humaines et la philoso­phie morale et poli­tique, en gou­verne­ment d’entreprise et man­age­ment, et en ges­tion des crises ; elles ont mon­tré leur capac­ité à dévelop­per une approche pluridis­ci­plinaire en s’appuyant sur les autres départe­ments d’enseignement et de recherche (cli­mat, biolo­gie…), avec une forte ouver­ture à l’international et la par­tic­i­pa­tion de pro­fesseurs étrangers.

Les activ­ités prévues dans le cadre de la chaire sont en par­ti­c­uli­er les suivantes :

  • pour l’enseignement (out­re l’existant évo­qué plus haut) :
    – l’introduction d’un enseigne­ment d’approfondissement sur l’économie du développe­ment durable dans la majeure sci­ences économiques, qui serait con­fié à un pro­fesseur étranger,
    – l’introduction d’un sémi­naire thé­ma­tique sur le développe­ment durable en human­ités sci­ences sociales,
    – la mise en place d’un mas­tère inter­na­tion­al large­ment ouvert aux étu­di­ants étrangers.
  • et pour la recherche, les travaux porteront notamment :
    – sur les représen­ta­tions des enjeux envi­ron­nemen­taux, avec le panora­ma des prob­lèmes con­tem­po­rains, la mesure des dom­mages et des risques envi­ron­nemen­taux, l’analyse du cycle de vie et les indi­ca­teurs de péren­nité, l’organisation de l’expertise sci­en­tifique par exemple,
    – sur les nou­velles règles de déci­sion (déci­sion à long terme, principe de pré­cau­tion, règles éthiques),
    – et sur les nou­velles formes de marché et de gou­ver­nance (design des marchés, crédits d’émission, tax­es envi­ron­nemen­tales, répar­ti­tion des risques financiers, gou­ver­nance envi­ron­nemen­tale, entre­prise et envi­ron­nement, parte­nar­i­ats publics/privés, dimen­sion inter­na­tionale du développe­ment durable).

3. Pourquoi associer la chaire développement durable à l’énergie et en particulier à EDF ?

François Rous­se­ly va nous l’expliquer tout à l’heure. Je voudrais seule­ment citer briève­ment trois raisons majeures qui à mes yeux suff­isent à jus­ti­fi­er cette association :

1) L’énergie est une des activ­ités où le développe­ment durable est struc­turant, avec déjà des engage­ments con­crets d’EDF sur cette voie.

2) EDF hérite aujourd’hui d’une forte tra­di­tion de réflex­ion économique, ini­tiée par Mar­cel Boi­teux, et dis­pose, avec son cen­tre de recherche, d’une capac­ité excep­tion­nelle de réflex­ion à car­ac­tères tech­nique, envi­ron­nemen­tal et social.

3) Enfin de nom­breux chercheurs d’EDF ont été ou sont enseignants à l’École polytechnique.

De fait, il existe, depuis longtemps, de mul­ti­ples exem­ples de coopéra­tions entre EDF et l’École poly­tech­nique. Notre ren­con­tre d’aujourd’hui en est à la fois le fruit et l’annonce de nou­velles per­spec­tives qui s’ouvrent devant nous.

4. Conclusion

En con­clu­sion, Mes­dames et Messieurs, l’École poly­tech­nique change et s’adapte, pour répon­dre aux besoins d’une société en pro­fonde mutation.

Cette réforme, bap­tisée X 2000, passe par le développe­ment de l’enseignement, avec notam­ment la créa­tion d’une qua­trième année, par le développe­ment de la recherche, par le développe­ment des parte­nar­i­ats avec le monde des entre­pris­es, et enfin par le développe­ment pri­or­i­taire de l’internationalisation de l’École. Dans ce cadre, notre pro­jet péd­a­gogique est le suiv­ant : pré­par­er des femmes et des hommes respon­s­ables, à l’écoute des autres et de la société, dans un con­texte inter­na­tion­al­isé et mon­di­al­isé, capa­bles de pren­dre leurs respon­s­abil­ités en toutes cir­con­stances, ayant l’esprit d’entreprendre et d’innover, for­més à la com­préhen­sion et à la maîtrise de la com­plex­ité et à la ges­tion des risques.

Nul doute que cette chaire sur le développe­ment durable y fait large­ment écho et y a toute sa place !

Je vous remer­cie de votre attention

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