Promotion de l'Institut de l’Engagement

Institutionnaliser l’engagement au sein de la société

Dossier : ExpressionsMagazine N°750 Décembre 2019
Par Hubert JACQUET (64)

En mai 2018, Claire de Mazan­court (82) a présen­té dans les colonnes de notre revue l’Institut de l’Engagement, asso­ci­a­tion dont le but est de for­mer une nou­velle généra­tion de respon­s­ables, recrutée selon un nou­veau critère de sélec­tion : non plus la réus­site académique, mais le poten­tiel démon­tré lors d’un engage­ment citoyen (ser­vice civique, bénévolat…). L’intérêt man­i­festé par nos lecteurs, en par­ti­c­uli­er sur les réseaux soci­aux, nous a con­duits à essay­er d’aller plus loin pour com­pren­dre ce qui fait le quo­ti­di­en de cette asso­ci­a­tion. Au-delà du suc­cès affiché depuis sa créa­tion, la recette est-elle durable ? Est-elle repro­ductible ? Anec­dote ou mou­ve­ment de fond ?

Institut de l’Engagement
© Insti­tut de l’Engagement

Si on en croit les salariés de l’Institut, les clés du fonc­tion­nement quo­ti­di­en de l’Institut comme de ses résul­tats sont à chercher d’abord dans les con­vic­tions sur lesquelles il s’est construit.

Tout d’abord, la con­vic­tion que l’ouverture à la diver­sité se con­stru­it non pas par la dis­crim­i­na­tion pos­i­tive mais par un fonc­tion­nement qui oublie les dis­crim­i­na­tions habituelles ; ensuite la con­vic­tion qu’il est pos­si­ble de partager l’engagement et, autour de valeurs et d’objectifs partagés, de mobilis­er des parte­naires et bénév­oles de tous pro­fils, tous domaines et tous secteurs.

Inno­va­tions d’opportunité ou ten­dances durables ?

Conférence de Jean Tirole à l'Institut de l’Engagement
Con­férence de Jean Tirole © Insti­tut de l’Engagement

L’ouverture à la diversité : un diagnostic partagé, une méthode différente

Le diag­nos­tic n’est pas nou­veau. « L’ascenseur social est en panne. » Les portes sont fer­mées à ceux qui ne sont pas nés au « bon » endroit et qui n’ont pas suivi le « bon » parcours…

Face à ce diag­nos­tic, les ini­tia­tives se sont mul­ti­pliées. Heureuse­ment. On se sou­vient tous de l’émoi créé en 2001 par l’ouverture, à Sci­ences-Po Paris, d’un con­cours spé­ci­fique pour les élèves issus de zones d’éducation pri­or­i­taire. Ces ini­tia­tives sont utiles et ont porté leurs fruits. Elles présen­tent cepen­dant l’inconvénient, en s’appuyant sur le pré­ci­blage des béné­fi­ci­aires et la dis­crim­i­na­tion pos­i­tive, de créer, à tort, un doute sur le mérite de ceux qui en bénéficient.

L’Institut a choisi une autre voie : celle d’une procé­dure d’admission orig­i­nale, qui n’est dis­crim­i­nante ni sur le niveau de diplôme ni sur l’origine sociale et géo­graphique ni sur le type de pro­jet porté (reprise de for­ma­tion, recherche d’emploi, créa­tion d’activité). Les sta­tis­tiques mon­trent une par­faite homoth­étie entre les lau­réats et les can­di­dats, qu’il s’agisse des niveaux de diplôme, du genre, de l’origine géo­graphique, etc.

“Mettre fin au soupçon qui pèse,
à tort, sur le mérite de ceux
qui sont issus des minorités.”

Résultats concrets

Gaëlle est aveu­gle et veut devenir com­porte­men­tal­iste pour chiens. Ses besoins : trou­ver une for­ma­tion adap­tée à son hand­i­cap et des con­seils pour créer sa micro-entre­prise, met­tre en place sa compt­abil­ité, struc­tur­er sa com­mu­ni­ca­tion. Aujourd’hui Gaëlle a créé son activité.

Louise a son diplôme d’architecte. En s’occupant d’un enfant tri­somique, elle décou­vre que les écoles ne sont pas conçues pour pou­voir accueil­lir ces tout-petits. Elle se lance et, pen­dant six mois, par­court la France pour décou­vrir des péd­a­go­gies alter­na­tives. Elle en fait un film. Son souhait : pou­voir val­oris­er l’expérience qu’elle a ain­si acquise et dif­fuser les enseigne­ments qu’elle en a retirés auprès des pro­fes­sion­nels de la petite enfance. Aujourd’hui Louise tra­vaille à l’Institut petite enfance, avec Boris Cyrulnik.

Flo­ri­an est un jeune apa­tride. Ses par­ents orig­i­naires de Bosnie ont obtenu l’asile poli­tique en France. Pen­dant sa sco­lar­ité, il se décou­vre un goût pour la tra­duc­tion. Son besoin ? Être con­seil­lé pour décrypter les arcanes des fil­ières de for­ma­tions et des par­cours pro­fes­sion­nels, et obtenir le diplôme de tra­duc­teur qui lui ouvri­ra les portes. Aujourd’hui Flo­ri­an com­mence une car­rière dans le milieu des rela­tions internationales.

Tina vit dans une « cité » à la périphérie de Stras­bourg, elle aimerait agir face aux rav­ages de la rad­i­cal­i­sa­tion. N’ayant pas les moyens de faire des études uni­ver­si­taires, elle fait un ser­vice civique sur ce sujet, qui la con­forte dans son envie d’agir. Tina pré­pare aujourd’hui avec l’Institut une entrée à Sciences-Po.

Éléonore rêve de mon­ter son pro­pre ate­lier de maro­quiner­ie. Elle aban­donne, trop pré­cipi­ta­m­ment, son CAP de maro­quiner­ie en alter­nance pour créer son entre­prise. Son besoin : un accom­pa­g­ne­ment qui la motive pour pass­er son CAP comme can­di­date libre et une aide, y com­pris finan­cière, pour créer son activ­ité et acheter son pre­mier matériel. Éléonore pro­duit aujourd’hui des pochettes à base de cuir recyclé.

Mounir vient d’Aulnay-sous-Bois. Après son bac, le par­cours sco­laire s’annonce dif­fi­cile et d’autant plus dif­fi­cile que sa mère compte sur lui pour pour­voir aux besoins de sa famille après la mort de son père. Aucun employeur ni aucune école ne sont prêts à val­oris­er son expéri­ence asso­cia­tive. Il a pour­tant créé une asso­ci­a­tion qui délivre 250 repas chaque week-end autour de la gare de l’Est à Paris et rêve d’intégrer une école de man­age­ment. Mounir a inté­gré l’EM Lyon, en sor­ti­ra diplômé fin 2019 et a plusieurs offres d’emploi pour jan­vi­er 2020.

Quels points com­muns entre Gaëlle, Louise, Flo­ri­an, Tina, Éléonore ou Mounir ? Ils ne vien­nent pas des mêmes quartiers, ils n’ont pas les mêmes pro­jets, ils ne se heur­tent pas aux mêmes bar­rières, ils n’ont pas le même bagage sco­laire ni cul­turel. Mais tous ont envie d’agir, tous ont le poten­tiel pour le faire, tous sont freinés dans leur pro­jet. Ils sont ani­més par les mêmes valeurs.

L’Institut leur a don­né à cha­cun le coup de pouce qui leur manquait.

Les lauréats ne sont choisis que sur leur potentiel, leur motivation, leur engagement.
© Insti­tut de l’Engagement
Un lauréat s'exprime lors d'une réunion de l'Institut de l'Engagement
© Insti­tut de l’Engagement

Une méthode différente… mais durable ?

Les lau­réats ne sont choi­sis que sur leur poten­tiel, leur moti­va­tion, leur engagement.

Ce choix de ne pas faire de pré­ci­blage dans les recrute­ments est évidem­ment séduisant sur papi­er. Pour autant, il a un coût : celui de l’individualisation de l’accompagnement et celui de la mul­ti­plic­ité des parte­nar­i­ats néces­saires pour mobilis­er les com­pé­tences utiles à cha­cun. Pour­tant, les parte­naires de l’Institut, comme les lau­réats et l’équipe, sont aujourd’hui con­va­in­cus que c’est cette diver­sité qui fait la force des « pro­mos » de l’Institut et la richesse de la com­mu­nauté des parte­naires. C’est aus­si cette diver­sité qui per­met à l’Institut de séduire le plus grand nom­bre de parte­naires et de bénév­oles. Ce mode de traite­ment de la diver­sité, c’est aus­si celui qui met­tra fin au soupçon : le soupçon qui pèse, à tort, sur le mérite de ceux qui sont « issus des minorités ». C’est celui qui met fin aux com­mu­nau­tarismes. C’est celui des grands mou­ve­ments de réc­on­cil­i­a­tion nationale. Ce choix n’est pas seule­ment durable, il est essen­tiel pour notre société.

“Aujourd’hui nous constatons l’institutionnalisation
de l’engagement au sein des entreprises.”

Partager l’engagement

Face à la diver­sité des lau­réats et de leurs pro­jets, l’Institut doit mobilis­er une diver­sité de com­pé­tences, de portes ouvertes, de réseaux.

Le pari de l’Institut est qu’il est pos­si­ble de mobilis­er des parte­naires et bénév­oles de tous milieux, de tous secteurs.

Ils sont 2 000 par an : cadres en entre­prise, pro­fes­sion­nels dans un étab­lisse­ment d’enseignement, salariés d’associations car­i­ta­tives, élus, fonc­tion­naires ou con­tractuels en col­lec­tiv­ité. Ce sont eux qui éval­u­ent les dossiers rédigés par les can­di­dats. Un de ces bénév­oles témoigne : il a com­mencé à exam­in­er des dossiers il y a quelques années et a trou­vé ces décou­vertes pas­sion­nantes. Con­scient qu’il peut être ain­si utile, ce sont aujourd’hui des dizaines de dossiers sur lesquels il tra­vaille à chaque ses­sion, con­sacrant à cha­cun de vingt min­utes à une demi-heure. Un autre exam­i­na­teur déclare : « La lec­ture de ces dossiers a engen­dré toutes sortes d’émotions dont j’ai été le pre­mier surpris. »

Ils sont les mem­bres des jurys qui font pass­er les « oraux », jurys com­posés d’au moins trois per­son­nes, sou­vent plus : un per­ma­nent de l’Institut, et des représen­tants de l’entreprise, du secteur asso­ci­atif, de l’enseignement, des col­lec­tiv­ités locales et aus­si d’anciens lauréats.

Ils par­rainent des lau­réats. Cette expéri­ence est source d’enrichissement et ils en témoignent : « J’ai par­rainé une demi-douzaine de lau­réats. Je trou­ve génial d’accompagner ces gamins, de leur faire pren­dre con­science de leurs atouts, de les soutenir dans leurs démarch­es… Soutenir cette ini­tia­tive est vrai­ment une expéri­ence de vie extraordinaire. »

Les parte­naires sont égale­ment très sol­lic­ités pen­dant les Uni­ver­sités de l’engagement qui deux fois par an per­me­t­tent aux lau­réats de se retrou­ver, d’échanger entre eux et avec des parte­naires de l’association. Ils ren­con­trent aus­si des invités de pre­mier plan comme Jean Tirole (73), Emmanuel Faber, Boris Cyrul­nik, Mou­nia Med­dour, Sibeth Ndi­aye, Jean Lemierre…

C’est un événe­ment fort qui mar­que tous les par­tic­i­pants, lau­réats comme parte­naires. Jean-Marie Collin, porte-parole d’Ican France, con­fie : « Rassem­blez 500 jeunes femmes et hommes de dif­férents univers, qui ont comme point com­mun une volon­té d’avancer, de partager, de s’engager, et en quelques min­utes vous prenez une dose d’énergie incroyable. »

C’est cet engage­ment de mil­liers de per­son­nes venues de tous les hori­zons qui donne à l’Institut sa force.

Rassemblez 500 jeunes femmes et hommes de différents univers, qui ont comme point commun une volonté d’avancer, de partager, de s’engager, et en quelques minutes vous prenez une dose d’énergie incroyable.
© Insti­tut de l’Engagement


Une lauréate en témoigne

« Alors que je me ser­vais un café entre deux con­férences, un parte­naire de l’Institut est venu me deman­der s’il pou­vait utilis­er la même touil­lette que moi afin d’éviter d’utiliser trop de touil­lettes en plas­tique. Je me suis retournée, puis ai observé son badge sur lequel était indiqué “Das­sault Sys­tèmes”. J’ai été très éton­née, ce bref instant m’a fait pren­dre con­science des préjugés que j’avais pu dévelop­per vis-à-vis des entre­pris­es. Cela m’a fait réfléchir. C’est une anec­dote que j’ai beau­coup racontée. »


L’engagement est-il une énergie renouvelable ?

L’Institut dépend de façon cru­ciale de ses parte­naires, pour son finance­ment bien sûr mais aus­si pour cha­cune de ses actions. L’Institut n’est pas la seule asso­ci­a­tion qui s’appuie ain­si sur l’engagement bénév­ole. Son orig­i­nal­ité réside dans la façon de « recruter » ses bénév­oles dans tous les secteurs, tous les domaines, partout en France, et de veiller, dans cha­cune de ses actions, à les mobilis­er ensem­ble, en mêlant les profils.

Sans les parte­nar­i­ats qui per­me­t­tent de mobiliser
2 000 per­son­nes chaque année, il serait inca­pable d’assurer à ses lau­réats les appuis, con­seils, accès à des com­pé­tences et des réseaux qui sont la clé de son efficacité.

L’Institut doit-il se pro­téger con­tre le désen­gage­ment ? Oui, bien sûr, en pour­suiv­ant le développe­ment de ses partenariats.

Mais ce que nous con­sta­tons aujourd’hui au sein des entre­pris­es, c’est l’institutionnalisation de l’engagement. Il y a trente ans s’institutionnalisait en France la RSE. Aujourd’hui, face aux enjeux socié­taux et environ­nementaux et face à la « quête de sens » de leurs salariés – et des étu­di­ants de grandes écoles –, des entre­pris­es lan­cent des pro­grammes d’engagement de leurs col­lab­o­ra­teurs. Les pre­mières « direc­tions de l’engagement » ont même vu le jour chez Total, BNP Paribas, groupe ADP…

Il s’agit là d’un mou­ve­ment de fond, qui béné­ficiera à l’ensemble du secteur associatif.

En guise de conclusion

L’Institut de l’Engagement, au quo­ti­di­en, ce sont d’abord les ren­con­tres. Encour­agées par les chargés d’accompagnement, ren­dues pos­si­bles par les salariés en charge des parte­nar­i­ats et de la com­mu­ni­ca­tion, entre lau­réats ou entre lau­réats et parte­naires, elles sont la force de l’Institut et con­sti­tu­tives de son action. Elles sont aus­si indis­pens­ables à la réc­on­cil­i­a­tion des jeunes avec les entreprises.


Mer­ci à Rita, Matthieu, Anaïs et Jana. Salariés de l’Institut de l’Engagement, ils ont accep­té de témoign­er sur la vie de l’Institut sur le terrain.

Pour en savoir plus : https://www.engagement.fr/

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