Pour un réveil écologique : Interpeller c’est bien, agir c’est mieux

Dossier : ExpressionsMagazine N°751 Janvier 2020
Par Claire de MAZANCOURT (82)

Dans les années 2010, des mil­lions de per­son­nes partout dans le monde se sont retrou­vées der­rière un mot d’ordre : indignez-vous ! L’indignation comme ver­tu néces­saire, voire salu­taire. Avec prob­a­ble­ment, pour ceux qui en bran­dis­saient la ban­nière, le sen­ti­ment du devoir accom­pli une fois cette indig­na­tion vécue et exprimée. Mais l’indignation ne sert à rien sans engagement.

Émotion et motion

L’émotion n’est utile que si elle est motion et le man­i­feste, action. Aujourd’hui, c’est au tour des étu­di­ants de nous inter­peller dans un Man­i­feste étu­di­ant pour un réveil écologique. Que nous dis­ent ces étu­di­ants ? Ils expri­ment leur refus de voir la tra­jec­toire « destruc­trice de nos sociétés » se pour­suiv­re. Ils expri­ment leur déter­mi­na­tion à « inclure dans leur quo­ti­di­en et leurs métiers une ambi­tion sociale et envi­ron­nemen­tale ». Ils cla­ment qu’il est grand temps de « pren­dre les mesures qui s’imposent ». Ils veu­lent « chang­er un sys­tème économique » dans lequel ils ne croient plus.

Face à nos échecs…

Com­ment leur don­ner tort face aux cat­a­stro­phes envi­ron­nemen­tales annon­cées ? Com­ment leur don­ner tort face aux déséquili­bres soci­aux qui, loin de se résor­ber, créent des frac­tures qui sem­blent s’agrandir depuis des décen­nies ? Ils ont rai­son de s’indigner, ils ont rai­son d’interpeller, ils ont même prob­a­ble­ment rai­son de nous en vouloir, à nous, les généra­tions précé­dentes. Le change­ment cli­ma­tique, les iné­gal­ités sociales nous oblig­ent à regarder nos échecs.

Les échecs de décen­nies de pro­mos qui ont peut-être con­fon­du les chiffres et la réal­ité. Les échecs de décen­nies de pro­mos qui ont peut-être oublié de regarder la bous­sole avant de vouloir mon­tr­er qu’ils savaient courir plus vite que les autres, et qui aujourd’hui seule­ment se deman­dent vers quoi ils ont cou­ru et vers quoi ils courent encore. Les échecs de décen­nies de pro­mos qui ont cru que le pro­grès tech­nique suf­fi­rait à créer le pro­grès social et que les lois de la finance trans­formeraient les lois de la nature.

… où sont les propositions ?

Ces étu­di­ants ont rai­son dans leur indig­na­tion. Ils ont rai­son de vouloir chang­er le sys­tème et le chang­er en pro­fondeur. Que pro­posent ces étu­di­ants et les élèves de l’X sig­nataires de ce man­i­feste ? Ils s’engagent à refuser de tra­vailler pour les entre­pris­es qui ne s’attaqueraient pas aux prob­lèmes envi­ron­nemen­taux et socié­taux. Boy­cott d’un nou­veau genre ? Oui et non. Ce qui est nou­veau n’est pas de refuser d’aller tra­vailler dans une entre­prise dont on ne partage pas les valeurs : les étu­di­ants qui sig­nent ce man­i­feste vien­nent essen­tielle­ment d’écoles dont la répu­ta­tion d’excellence est telle qu’elle offre une grande liber­té de choix à leurs élèves et on peut penser que ceux qui en sor­tent ont tou­jours pris en compte leurs valeurs et con­vic­tions essen­tielles au moment de choisir leur employeur.

Interpeller : est-ce agir ?

Ce qui est nou­veau, c’est l’affichage col­lec­tif et l’interpellation. Faute, nous dis­ent ces étu­di­ants, d’être en capac­ité de décider eux-mêmes aujourd’hui des straté­gies des entre­pris­es et des pou­voirs publics, ils souhait­ent « faire pres­sion ». Et c’est là que le bât blesse.

Certes les sig­nataires ne sont pas aujourd’hui dans une sit­u­a­tion pro­fes­sion­nelle qui leur per­me­t­trait de faire pren­dre des virages aux grandes entre­pris­es et au « sys­tème ». Mais ne soyons ni trop opti­mistes ni trop pré­ten­tieux : même s’ils sont très mobil­isés, on peut douter que tous ces étu­di­ants puis­sent, en refu­sant d’y tra­vailler, asséch­er les entre­pris­es qui ne prendraient pas à bras-le-corps les enjeux envi­ron­nemen­taux et socié­taux suff­isam­ment vite pour chang­er la donne. De nom­breuses grandes entre­pris­es, autre­fois iden­ti­fiées par les étu­di­ants comme des fleu­rons de l’économie et les garantes d’un avenir pro­fes­sion­nel souhaitable, sont déjà con­fron­tées depuis quelques années à leurs pre­mières dif­fi­cultés de recrute­ment. Mais à quelle échéance cette men­ace prend-elle sa force ? Or il y a urgence.

Ne soyons pas trop pes­simistes non plus : ces entre­pris­es qui ne pren­nent pas leur part de respon­s­abil­ités sont de moins en moins nom­breuses. Con­scientes de leur fragilité, elles com­men­cent à pren­dre la mesure de la rapid­ité des évo­lu­tions actuelles et de leurs enjeux. Elles con­sta­tent dès aujourd’hui la vitesse à laque­lle évolu­ent les habi­tudes de con­som­ma­tion. Et ras­surons-nous : même les dirigeants les plus obsédés par les résul­tats financiers savent que leur entre­prise ne vivra que si elle répond aux attentes des con­som­ma­teurs. Le change­ment s’impose à elles. Mais là encore, à quelle échéance ?

Au service du bien commun, il faut construire

Élèves de l’X : ne vous con­tentez pas de vous indigner.

Ces entre­pris­es sont des paque­bots. Aidons-les à chang­er plus vite. Nous sommes tombés dans les maths et la physique quand nous étions petits… nous y avons appris à chal­lenger les hypothès­es, à ne jamais pren­dre pour acquis ce qui n’était pas dûment démon­tré et à innover dans la con­trainte. Nous sommes des ingénieurs. Notre voca­tion est d’inventer, de pro­pos­er, de con­stru­ire les solutions.

Poly­tech­ni­ciens, l’État a investi en vous. Ren­dez-le lui. Ne vous con­tentez pas de vouloir « faire pres­sion ». Pro­posez, innovez, créez. Met­tez vos capac­ités au ser­vice du bien com­mun. Mais ce bien com­mun, il faut le con­stru­ire avec les entre­pris­es, pas con­tre elles. Il faut le con­stru­ire avec toutes les généra­tions, et non en opposant les nou­velles aux anciennes.

“Proposez, innovez, créez.
Mettez vos capacités
au service du bien commun.”

Construire le changement avec les entreprises, c’est possible

Cer­tains penseront que je suis un sup­pôt du cap­i­tal­isme, d’autres que je suis un Bisounours. J’affirme qu’aujourd’hui l’engagement peut se con­stru­ire avec les entre­pris­es. Et si je l’affirme, c’est pour l’avoir vu, pour l’avoir fait.

En juil­let 2019, à l’Insti­tut de l’Engagement, nous avons organ­isé le pre­mier « Cam­pus de l’Engagement ». La propo­si­tion faite aux entre­pris­es était de venir avec des col­lab­o­ra­teurs, en immer­sion pen­dant trois jours et au « vert » d’un alpage du Ver­cors, à la ren­con­tre de lau­réats de l’Institut de l’Engagement : des jeunes engagés, par­ti­c­ulière­ment sen­si­bles aux ques­tions sociales et envi­ron­nemen­tales, aux par­cours par­ti­c­ulière­ment caho­teux, et ani­més par une forte envie d’agir.

Il ne s’agissait pas de deman­der aux col­lab­o­ra­teurs de ces entre­pris­es de venir men­tor­er, partager leurs com­pé­tences, don­ner de leur temps à ces jeunes. Il leur était demandé de par­ticiper avec eux à des con­férences et à des ate­liers et de tra­vailler avec eux sur les ques­tions qui se posent aujourd’hui aux entre­pris­es. De faire naître des propo­si­tions, de con­stru­ire avec eux des solu­tions. Men­tor­ing et reverse men­tor­ing. C’est ain­si que le groupe ADP a demandé à ces jeunes, à la fois sen­si­bles aux ques­tions envi­ron­nemen­tales et avides de décou­vertes inter­cul­turelles : « Va-t-on vers un monde sans avion ? »

C’est ain­si que le groupe BNP Paribas a demandé à ces jeunes en sit­u­a­tion finan­cière par­fois extrême quels pro­duits financiers pro­pos­er pour per­me­t­tre à tous d’étudier. BNP Paribas les a aus­si ques­tion­nés et écoutés sur la ges­tion de la diver­sité, avec la con­vic­tion qu’un frein majeur aux recrute­ments dans la diver­sité est la crainte de ne pas savoir gér­er les équipes ain­si constituées.

C’est ain­si que Total leur a demandé quels ser­vices pro­pos­er dans les sta­tions-ser­vice en zone rurale.

Construire le changement avec les entreprises, c’est disruptif

De ces ate­liers de tra­vail entre jeunes et entre­pris­es, de ces ate­liers de tra­vail que ni les jeunes ni les entre­pris­es n’auraient provo­qués d’eux-mêmes, sont nées des idées.

Par exem­ple pro­pos­er aux étu­di­ants qui emprun­tent pour financer leurs études dans de grandes écoles de man­age­ment un pro­duit financier mod­u­la­ble qui leur per­me­tte, en sor­tie d’études, de se lancer dans une créa­tion d’entreprise en retrai­tant l’échéancier et la nature des remboursements.

Par exem­ple faire des sta­tions-ser­vice une plate­forme de stages, le cas échéant en télé­tra­vail, pour les jeunes en zone rurale aux­quels les stages sont le plus sou­vent inaccessibles…

Les entre­pris­es qui ont par­ticipé à ce pre­mier Cam­pus de l’Engagement ont envie de pour­suiv­re le tra­vail lancé. D’autres entre­pris­es souhait­ent elles aus­si par­ticiper à cet événe­ment. Parce qu’elles ont besoin de com­pren­dre, d’anticiper, de gér­er les inévita­bles dis­rup­tions et que ce sont les jeunes qui doivent les y aider.

Construire le changement avec les entreprises, c’est urgent

Étu­di­ants des grandes écoles, nous avons besoin de vous pour ce réveil écologique. Mais nous avons besoin de votre présence, pas de votre absence.

Ouvrez les portes au lieu de les fermer.

Don­ner une réal­ité au réveil écologique, c’est ce que vous faites lorsque vous adoptez des com­porte­ments indi­vidu­els verts et vertueux.

C’est ce que vous faites lorsque vous faites savoir aux entre­pris­es ce que votre généra­tion attend d’elles.

C’est ce que vous fer­ez lorsque vous con­stru­irez les solu­tions qu’elles adopteront.

« Il vaut mieux penser le changement que changer le pansement » 

Fran­cis Blanche a rai­son : « Face au monde qui change, il vaut mieux penser le change­ment que chang­er le pansement. »

Mais, en plus de penser le change­ment, con­stru­isons-le. Ensemble.

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