Cyrille JEANTEUR (85) atteint du LIS

Une formation très humaine à l’association du Locked-In Syndrome

Dossier : ExpressionsMagazine N°727 Septembre 2017
Par Elise LENGRAND (16)

Réc­it d’un stage de for­ma­tion humaine, expéri­ence inou­bli­able et décou­verte du monde asso­ci­atif, un change­ment rad­i­cal après la pré­pa. Le stage se déroule à l’ALIS, l’Association du Locked-In Syn­drome, état dans lequel le patient est immo­bile et ne peut com­mu­ni­quer que par bat­te­ments de paupières. 

Voilà ce que vivent les 500 Français qui sont atteints du Locked-In Syn­drome. On utilise sou­vent pour les décrire les mots « tétraplégiques et muets », qui sont bien plus évo­ca­teurs que l’acronyme LIS. 

“ Ce stage a pour but de nous sortir de notre zone de confort ”

Il s’agit d’un état neu­rologique rare, le plus sou­vent con­sé­cu­tif à un AVC du tronc cérébral, et peu con­nu du pub­lic, bien qu’ayant con­nu une grande médi­ati­sa­tion en 1997 grâce au célèbre ouvrage de Jean-Dominique Bau­by, lui-même atteint du LIS, Le Scaphan­dre et le Papil­lon (que je vous recom­mande si vous ne l’avez pas lu, ain­si que son adap­ta­tion ciné­matographique très juste). 

UN STAGE À L’ALIS POUR ALLER VERS LES AUTRES

C’est pour leur venir en aide qu’existe ALIS, l’Association du Locked-In Syn­drome, depuis main­tenant vingt ans ; elle a juste­ment été fondée par Jean- Dominique Bau­by en 1997. 

ALIS ET POLYTECHNIQUE

ALIS entretient un lien étroit avec l’École, via la présence des stagiaires : la convention existe depuis 2004. La communauté polytechnicienne est aussi touchée par le Locked-In Syndrome : par exemple, Cyrille Jeanteur (85) est atteint du LIS depuis bientôt vingt ans à la suite d’un accident de voiture.
Hugues Basalo (71) a rejoint ALIS en avril 2017 ; il vient de prendre sa retraite et il propose son aide pour succéder à la comptable, bénévole elle aussi.

ALIS con­seille les familles, informe le pub­lic, finance et prête du matériel, organ­ise des for­ma­tions de thérapeutes, lève des fonds… Une présence aus­si indis­pens­able qu’indéfectible.

C’est dans cette asso­ci­a­tion que j’effectue mon stage de for­ma­tion humaine, depuis fin sep­tem­bre. Ce stage a pour but, comme vous le savez, de nous sor­tir de notre zone de con­fort pour nous con­fron­ter au monde, ou bien, pour utilis­er une for­mu­la­tion moins vio­lente, nous faire aller vers le monde, et surtout vers les autres. 

Alors, quel meilleur choix qu’ALIS ?

PREMIERS PAS DANS L’ASSOCIATION ET… PREMIÈRE GALÈRE

Main­tenant, imag­inez deux jeunes sta­giaires allant pour la pre­mière fois ren­dre vis­ite à une per­son­ne atteinte du Locked-In Syndrome. 

Je tiens dans mes mains un tableau de let­tres, et Alice Andrès, qui partage ce stage avec moi, un cahi­er pour pren­dre en note les let­tres dic­tées par notre hôte. 

“ Pour leur optimisme et leur force, je les admire autant que Maxwell pour ses équations ”

Le tableau de let­tres est un moyen de com­mu­ni­ca­tion mis au point pour per­me­t­tre aux per­son­nes LIS de s’exprimer plus rapi­de­ment qu’un alpha­bet clas­sique : les let­tres y sont rangées par fréquence d’utilisation, ce qui accélère notable­ment la con­struc­tion des phrases. 

Pour l’instant, cela n’accélère rien du tout : je n’arrive pas à réciter le tableau cor­recte­ment, je suis oblig­ée de le regarder, ce qui fait que je ne vois pas les val­i­da­tions de la per­son­ne que j’essaie de traduire. 

Cette galère dure jusqu’à ce que la phrase soit finie, moment après lequel, soulagée, je me penche sur le cahi­er de ma cama­rade pour décou­vrir le résul­tat… et c’est un car­nage. Une suite de let­tres sans aucun sens : nous en avons man­qué la moitié, c’est incompréhensible. 

Après un instant de flot­te­ment, nous prenons notre courage à deux mains et deman­dons à notre hôte s’il veut bien repren­dre sa phrase. 

LE LOCKED-IN SYNDROME


Cyrille Jean­teur (1985)

Ni maladie évolutive ni état végétatif, le Locked-In Syndrome (littéralement : syndrome d’enfermement) est un état neurologique devant lequel la médecine est souvent désorientée. Totalement paralysée, muette, mais le cerveau intact, la personne Locked-In Syndrome voit, entend et comprend tout, mais ne peut plus ni bouger ni parler.
Le LIS est consécutif majoritairement à un accident vasculaire cérébral (AVC), plus rarement à un traumatisme, détruisant le tronc cérébral, véritable nœud de communication entre le cerveau et la motricité. L’AVC peut être de deux types : il s’agit le plus souvent d’un accident ischémique (un caillot) ou d’une hémorragie du tronc cérébral (une artère se rompt et crée une hémorragie dans le cerveau).
Ses causes peuvent être le cholestérol, l’hypertension, le diabète… Mais parfois, aucun facteur n’est décelé. Il peut survenir sans prévenir ou être annoncé par des migraines intenses, associées à d’autres troubles neurologiques. Il peut être suivi ou non d’une phase de coma.
Le LIS concerne à 67 % des hommes et à 33 % des femmes ; ces chiffres reflètent la fréquence plus importante d’accidents vasculaires cérébraux chez les hommes que chez les femmes.
Source : http://www.alis-asso.fr/

LEÇON DE PATIENCE PAR LES MALADES

Voilà la pre­mière leçon que j’ai reçue des per­son­nes atteintes du LIS : la patience. Tous font preuve d’une inépuis­able patience, envers leur famille, envers leur état, envers leurs soignants, envers nous enfin. 

“ Il peut y avoir bien plus dans quelques battements de paupières que dans des longs discours ”

Toutes ces actions, qui nous parais­sent instan­ta­nées, anodines, acquis­es, sont loin d’être immé­di­ates pour elles : allumer la lumière, chang­er de chaîne, envoy­er un e‑mail…

Tan­dis que d’autres qui nous parais­sent évi­dentes et ne néces­si­tent aucune plan­i­fi­ca­tion oblig­ent à une organ­i­sa­tion minu­tieuse en amont : ren­dre vis­ite à sa famille, aller au ciné­ma, recevoir des amis… 

DE LA PRÉPA AU HANDICAP LIS : UN CHANGEMENT RADICAL

Soirée d'ALIS concert pour levée de fonds
Stéphane Vigand (épouse de Philippe Vigand, atteint du LIS), Antoine Banse (2014, ancien sta­giaire d’ALIS), Arnaud Prunaret (atteint du LIS depuis 17 ans), moi-même, et Véronique Blandin (déléguée générale d’ALIS). Pho­togra­phie prise au cours de la Soirée d’ALIS, con­cert de lev­ée de fonds,
le 29 novem­bre 2016.

À la suite de cette pre­mière vis­ite légère­ment chao­tique, j’ai remis en ques­tion ma légitim­ité à faire par­tie de cette asso­ci­a­tion. Fraîche­ment débar­quée de deux ans en class­es pré­para­toires, au cours desquelles j’ai presque plus côtoyé les espaces préhilber­tiens et les inter­féromètres de Michel­son que de vraies per­son­nes, au cours desquelles aus­si je pré­parais des con­cours, dans une démarche légère­ment égoïste. 

Deux ans à ne penser qu’à moi en somme. Il me fal­lait réap­pren­dre à don­ner de ma per­son­ne, de mon temps et de mon énergie pour les autres, et c’est pourquoi j’avais pos­tulé pour ce stage chez ALIS. 

UNE ÉCOLE D’HUMILITÉ, DE COURAGE ET DE FOUS RIRES

J’ai appris aus­si l’humilité : leur courage incroy­able et leur déter­mi­na­tion for­cent réelle­ment l’admiration. Ils font men­tir le sens com­mun, celui qui aurait ten­dance à dire que hand­i­cap est syn­onyme de dépres­sion ; et ici, nous par­lons d’un hand­i­cap très lourd. 

Or, au cours de ce stage, j’ai con­nu bien des fous rires avec les per­son­nes aux­quelles nous ren­dions vis­ite, et ai con­nu plus de joie et de légèreté avec eux qu’avec cer­taines per­son­nes valides de mon entourage. 

Bien sûr, nous ne voyions pas tout l’envers du décor : les soins, la qua­si-absence d’autonomie, les longues heures passées dans sa cham­bre, la frus­tra­tion de ne pas tou­jours être écouté. 

Pour leur opti­misme et leur force, je les admire autant que Maxwell pour ses équa­tions. Puisque je par­lais d’humilité, j’ai aus­si appris à mes dépens que réus­sir le con­cours d’entrée à Poly­tech­nique ne veut pas dire que l’on sait écrire une phrase sous la dic­tée sans faire de fautes. 

COMMUNIQUER, ÊTRE PROCHE AU-DELÀ DES MOTS

Petit à petit, nous nous sommes habituées à ce mode de communication. 

Campagne de levée de fonds pour ALIS
Alice Andrès (2016, sta­giaire d’ALIS à mes côtés) et moi-même, au cours d’une cam­pagne de lev­ée de fonds, le 10 décem­bre 2016.

Main­tenant, je con­nais le tableau sur le bout des doigts et le récite (presque) sans y penser, tan­dis qu’Alice note (presque) toutes les let­tres, et nous savons dis­cern­er des phras­es dans une soupe de let­tres non séparée en mots. 

En plus de la pra­tique de l’alphabet, nous avons appris à con­naître cha­cune de ces per­son­nes. Si on m’avait dit il y a quelques mois que je pour­rais me sen­tir com­plice d’une per­son­ne sans qu’elle n’ait pronon­cé un seul mot, j’aurais prob­a­ble­ment haussé les sour­cils en me deman­dant com­ment cela pour­rait bien être possible. 

Et pour­tant, ça l’est. Il peut y avoir bien plus dans quelques bat­te­ments de paupières que dans des longs discours. 

DÉCOUVERTE DU MONDE ASSOCIATIF

En par­al­lèle des vis­ites, j’ai décou­vert le monde asso­ci­atif, qui m’était jusqu’alors incon­nu. Là encore, j’ai pu pren­dre pleine­ment con­science des heures de tra­vail qu’il faut pour organ­is­er le moin­dre événe­ment : il faut des semaines pour organ­is­er un con­cert de lev­ée de fonds, des mois pour plan­i­fi­er un con­grès annuel. 

J’ai dû plus d’une fois rassem­bler tout mon courage pour décrocher mon télé­phone, j’ai envoyé des cen­taines de mails, je me suis rongé les sangs lorsque je ne rece­vais pas de réponse sur des sujets urgents… 

Je ne suis pas aus­si patiente que les per­son­nes LIS pour lesquelles nous faisons tout ça. 

UNE EXPÉRIENCE INOUBLIABLE

Après six mois intens­es, mon stage chez ALIS a touché à sa fin. Je ne pense pas être exacte­ment la même qu’avant mon arrivée : ma per­cep­tion du monde s’est enrichie, a gag­né en pro­fondeur, en matu­rité. Ce stage a été une chance extra­or­di­naire, tout comme mon admis­sion à l’École poly­tech­nique, ain­si qu’une expéri­ence inoubliable. 

Et si ma péri­ode d’investissement total auprès d’ALIS s’est achevée, je ne l’ai pas quit­tée com­plète­ment pour autant ; je garde en moi ces sou­venirs pré­cieux… ain­si que la promesse de revenir. 

À PROPOS D’ALIS

ALIS apporte un soutien informatif, technique, financier et moral aux personnes atteintes du Locked-In Syndrome ainsi qu’à leur famille, tout en agissant pour la reconnaissance du LIS et sa connaissance par le plus grand monde.
ALIS a besoin de fonds, pour financer notamment des aides techniques de communication très onéreuses. Chacun peut soutenir son action par un don, dont le montant est déductible de l’impôt sur le revenu à hauteur de 66 % pour les particuliers et 60 % pour les entreprises.
L’association a été reconnue d’utilité publique en 2016 ce qui lui permet d’être exemptée de la taxation fiscale liée aux legs et aux donations.
Pour soutenir l’association ou obtenir plus d’informations, consultez le site internet, ou contactez Véronique Blandin, déléguée générale d’ALIS, à l’adresse contact [at] alis-asso.fr.

Poster un commentaire