La vie réglementaire du médicament

Industrie pharmaceutique et réglementation

Dossier : BiotechnologiesMagazine N°590 Décembre 2003
Par Didier TABUTEAU (78)

L’industrie pharmaceutique est très réglementée : quelle est l’origine de cette réglementation ?

L’industrie pharmaceutique est très réglementée : quelle est l’origine de cette réglementation ?

La con­sti­tu­tion de l’Or­gan­i­sa­tion mon­di­ale de la san­té de 1946 indique que : “La pos­ses­sion du meilleur état de san­té qu’il est capa­ble d’at­tein­dre con­stitue l’un des droits fon­da­men­taux de tout être humain”. Cette déc­la­ra­tion est symp­to­ma­tique de l’im­por­tance que l’on accorde aujour­d’hui à la san­té. Le préam­bule de la Con­sti­tu­tion de 1946 qui a tou­jours valeur con­sti­tu­tion­nelle sous la Ve République con­sacre en France un droit fon­da­men­tal à la pro­tec­tion de la santé.

Depuis dix ans, la sécu­rité san­i­taire s’est imposée comme une com­posante essen­tielle de la poli­tique de san­té française. La sécu­rité san­i­taire repose fon­da­men­tale­ment sur la notion de rap­port bénéfices/risques : un pro­duit de san­té ne doit être dif­fusé que si les béné­fices qu’il apporte au patient l’emportent sur les risques qu’il com­porte. La plu­part des pays ont dévelop­pé des régle­men­ta­tions du même type. Les règles phar­ma­ceu­tiques sont d’ailleurs désor­mais large­ment inter­na­tionales même si leur appli­ca­tion reste très inégale.

Quelle est la situation française en ce qui concerne ces règles ?

La régle­men­ta­tion française du médica­ment est par­ti­c­ulière­ment dévelop­pée et rigoureuse. Cela s’ex­plique d’abord par les drames san­i­taires que notre pays comme d’autres, peut-être plus que d’autres, a connus.

Les affaires du Stal­i­non, de la Thalido­mide et du Dis­til­bène1, médica­ments dan­gereux dont l’é­val­u­a­tion ini­tiale et la sur­veil­lance n’avaient pas été assez strictes, ont mal­heureuse­ment fait pren­dre con­science tôt des con­séquences san­i­taires pos­si­bles des carences ou des fautes des sys­tèmes de san­té publique. Des procé­dures de mise sur le marché, puis de phar­ma­covig­i­lance ont ain­si été définies et mis­es en œuvre. Les drames de san­té publique récents, en par­ti­c­uli­er le drame du sang con­t­a­m­iné et des hor­mones de crois­sance, qui ont touché des mil­liers de per­son­nes, ont ren­for­cé la prise de con­science des risques liés aux pro­duits de san­té et con­duit à un ren­force­ment sans précé­dent des règles.

Par ailleurs, en tant que pro­duits indus­triels les pro­duits de san­té sont entrés dans le champ du traité de Rome bien avant l’in­scrip­tion de la san­té publique dans les com­pé­tences de la Com­mu­nauté par les traités de Maas­tricht et d’Am­s­ter­dam. Soumis à la libre cir­cu­la­tion, ils ont égale­ment été soumis à des règles com­munes de sécurité.

C’est ain­si qu’ont été mis en place un encadrement régle­men­taire strict et dévelop­pé un cor­pus de bonnes pra­tiques. Le dis­posi­tif est par­ti­c­ulière­ment com­plet. Des essais clin­iques à l’au­tori­sa­tion de mise sur le marché d’un médica­ment, de la phar­ma­covig­i­lance au con­trôle en lab­o­ra­toire ou par voie d’in­spec­tion, le sys­tème vise à con­naître en per­ma­nence le rap­port bénéfices/risques du pro­duit et à réa­gir en cas d’évo­lu­tion défa­vor­able de celui-ci.

Quel est le système d’autorisation de mise sur le marché ?

Un sys­tème d’au­tori­sa­tion a été créé dans chaque pays pour le médica­ment, qui est appelé en France Autori­sa­tion de mise sur le marché (AMM). L’oc­troi ou non d’une AMM est une déci­sion prise à l’is­sue d’un proces­sus d’é­val­u­a­tion dont le but est, con­for­mé­ment au principe qui sous-tend la régle­men­ta­tion, de mesur­er a pri­ori le rap­port bénéfices/risques du médicament.

… dans le cas de la France

Com­mer­cial­i­sa­tion : deux visions du monde, deux régle­men­ta­tions de la publicité

Aux États-Unis la prise en charge des soins et donc la régu­la­tion finan­cière se font par le biais du réseau des assur­ances san­té. En Europe l’É­tat est beau­coup plus impliqué.
 
Aux États-Unis l’ap­proche du risque est lais­sée à l’ini­tia­tive indi­vidu­elle. En Europe, le pou­voir pub­lic doit assur­er un filet de sécu­rité min­i­mal, qui inclut les con­di­tions d’emploi du médicament.
 
Pub­lic­ité en Europe
 
Une direc­tive européenne tran­scrite en France autorise la pub­lic­ité, mais unique­ment auprès des médecins, et stricte­ment encadrée par con­trôle a pos­te­ri­ori. La pub­lic­ité auprès du grand pub­lic n’est autorisée que si les médica­ments ne sont ni rem­boursés ni prescrits.
 
Le débat visant à ouvrir des voies à la pub­lic­ité tout en main­tenant un cadre strict pour la san­té publique a pour l’in­stant été rejeté par le Par­lement européen.
 
Pub­lic­ité aux États-Unis
 
Le médica­ment est un pro­duit de con­som­ma­tion banal­isé et la pub­lic­ité autorisée.

L’é­val­u­a­tion se fonde en par­ti­c­uli­er sur les don­nées obtenues par le lab­o­ra­toire deman­dant l’AMM au cours des études clin­iques (voir encadré). Depuis 1993, il s’ag­it d’une dou­ble éval­u­a­tion : éval­u­a­tion interne par les sci­en­tifiques de l’A­gence française de sécu­rité san­i­taire des pro­duits de san­té (Afs­s­aps, ex-Agence du médica­ment) et externe par une com­mis­sion d’AMM rat­tachée à l’Af­s­s­aps. Le principe est d’avoir à la fois une éval­u­a­tion par des spé­cial­istes du domaine indépen­dants de l’Af­s­s­aps, et une éval­u­a­tion par des experts internes qui garan­tis­sent la con­ti­nu­ité de l’é­val­u­a­tion et des dossiers.

Au terme de l’é­val­u­a­tion, la com­mis­sion d’AMM émet un avis, qui aboutit à une déci­sion du directeur général de l’Af­s­s­aps, habil­ité par le code de la san­té publique depuis la loi du 4 jan­vi­er 1993 à délivr­er l’AMM au nom de l’É­tat. Aupar­a­vant l’AMM était délivrée par le min­istre de la Santé.

… et en Europe

En Europe, deux procé­dures coexistent.

Tout d’abord, pour une grande par­tie des pro­duits, une procé­dure de recon­nais­sance mutuelle per­met qu’une AMM obtenue dans un État mem­bre soit recon­nue dans les autres États mem­bres de l’U­nion, ce qui donne lieu à la délivrance d’une autori­sa­tion de mise sur le marché par chaque État concerné.

Par ailleurs, les pro­duits inno­vants comme les pro­duits issus des biotech­nolo­gies sont oblig­a­toire­ment éval­ués par l’A­gence européenne pour l’é­val­u­a­tion des médica­ments (EMEA). Cette éval­u­a­tion est effec­tuée par un pan­el d’ex­perts provenant des agences nationales, ce qui per­met de pren­dre en compte les points de vue des divers pays. C’est le com­mis­saire européen, sur avis de l’E­MEA, qui délivre une autori­sa­tion de mise sur le marché val­able dans l’ensem­ble du ter­ri­toire de l’Union.

Ce sys­tème d’a­gence tête de réseau des agences nationales est assez effi­cace, car il per­met d’avoir des agences près du ter­rain, tout en gérant les intérêts com­muns à un niveau com­mu­nau­taire. Une FDA à l’eu­ropéenne, avec une agence unique, fonc­tion­nerait cer­taine­ment moins bien du fait de sa lour­deur par rap­port au réseau actuel, tant pour la qual­ité de l’ex­per­tise que pour ce qui est essen­tiel, la réac­tiv­ité en cas d’alerte sanitaire.

… et dans le monde

Out­re le sys­tème européen, les deux autres grands sys­tèmes dans le monde sont la Food and Drug Admin­is­tra­tion (FDA) améri­caine et le min­istère de la San­té japon­ais (MHLW).

Chaque sys­tème a ses pro­pres car­ac­téris­tiques et reste indépen­dant. L’é­val­u­a­tion est faite de façon dif­férente par chaque agence du fait de ses principes d’or­gan­i­sa­tion mais aus­si de sit­u­a­tions épidémi­ologiques divers­es jus­ti­fi­ant des éval­u­a­tions adap­tées d’un pays à l’autre.

Les con­férences Inter­na­tion­al Con­fer­ence for Har­mo­niza­tion (ICH) ont pour but d’har­monis­er les critères d’é­val­u­a­tion et de juge­ment partout dans le monde, avec des normes com­munes, mais il s’ag­it d’un proces­sus lent et de véri­ta­bles dif­férences d’ap­proche demeurent entre les dif­férents systèmes.

Mal­gré ces dif­férences, les infor­ma­tions sont très inter­na­tion­al­isées et toute alerte sur un sujet sérieux est très rapi­de­ment mondiale.

Vous avez mentionné que la réglementation ne s’arrête pas à l’autorisation sur le marché : le médicament est-il encore évalué une fois sur le marché ?

Il s’ag­it d’une com­posante cru­ciale du sys­tème : la phar­ma­covig­i­lance, réé­val­u­a­tion per­ma­nente des médica­ments, de leur rap­port bénéfices/ risques, au regard des infor­ma­tions nou­velles sur les risques. C’est aus­si impor­tant que l’é­val­u­a­tion initiale.

Cette réé­val­u­a­tion exige de pren­dre en compte en per­ma­nence l’é­tat des con­nais­sances, en con­stante évo­lu­tion, sur les effets indésir­ables, non seule­ment des molécules elles-mêmes, mais égale­ment d’élé­ments extérieurs au champ du médica­ment, tels que la tox­i­c­ité des com­posants, l’ob­ser­vance des traite­ments par les patients, les usages détournés des médica­ments, etc.

Toute infor­ma­tion pou­vant avoir une inci­dence san­i­taire sérieuse, une veille sci­en­tifique très élaborée est néces­saire. Dans ce cadre, la mise en com­mun au niveau européen et mon­di­al des don­nées est pré­cieuse, car elle aug­mente con­sid­érable­ment les chances que rien n’échappe aux mailles du filet.

Tout prob­lème rap­porté après la mise sur le marché peut don­ner lieu à des mesures de rap­pels de lots, de sus­pen­sion voire de retrait d’AMM2.

C’est donc au prix de ces mesures dras­tiques, à toutes les étapes du développe­ment et de la vie du médica­ment, qu’un niveau sat­is­faisant de sécu­rité san­i­taire est assuré.

Le coût des médicaments n’est pas supporté directement par les consommateurs : comment sont financées les dépenses de santé ?

Le finance­ment des dépens­es de san­té est très vari­able selon les pays. Dans les pays dans lesquels la dépense est social­isée, elle l’est en général soit à tra­vers des assur­ances privées, une sécu­rité sociale ou une com­bi­nai­son des deux. Dans cer­tains pays, le prix des ser­vices de san­té comme leurs con­di­tions de rem­bourse­ment sont fixés par le gou­verne­ment. Enfin, la plu­part des médica­ments doivent être pre­scrits. Il ne s’ag­it donc pas au sens strict d’une économie de marché. Enfin chaque pays européen met en place un sys­tème pro­pre per­me­t­tant de maîtris­er les dépens­es de san­té. Les poli­tiques de prix et de rem­bourse­ment restent donc très nationales.

En France, la régle­men­ta­tion de la Sécu­rité sociale com­prend à la fois la régu­la­tion sur le prix et sur le remboursement.

Qu’en est-il du remboursement ?

Les choix faits en matière de sécu­rité sociale sont en principe faits comme pour la sécu­rité san­i­taire, à l’is­sue d’une éval­u­a­tion, util­isant en par­ti­c­uli­er une méthodolo­gie d’é­val­u­a­tion phar­ma­coé­conomique afin de se fonder sur des critères les plus sci­en­tifiques et objec­tifs possibles.

 Visualisation de la plaque dentaire.
Art ou Biolo­gie ? Visu­al­i­sa­tion de la plaque den­taire. © INSERM, PHOTO KEREBEL B.

Cepen­dant, au-delà des qual­ités intrin­sèques du pro­duit et de l’é­val­u­a­tion phar­ma­coé­conomique, les choix faits en matière de sécu­rité sociale sont dépen­dants de la poli­tique de san­té : c’est le “Ser­vice médi­cal ren­du” (SMR), mais égale­ment “l’in­térêt pour la san­té publique” d’un médica­ment qui définis­sent les con­di­tions de son remboursement.

Ce sec­ond critère est impor­tant : on peut ain­si choisir de rem­bours­er des médica­ments de SMR faible, s’ils peu­vent con­tribuer au suc­cès d’une poli­tique de san­té publique.

C’est une com­mis­sion d’ex­perts dépen­dant de l’Af­s­s­aps, la Com­mis­sion de la trans­parence, qui émet un avis sur le rem­bourse­ment et le taux de rem­bourse­ment du produit.

Là encore, l’é­val­u­a­tion peut être remise en cause péri­odique­ment et l’ac­tu­al­ité récente nous le rap­pelle : le plan gou­verne­men­tal de 2001 prévoy­ait la réduc­tion des prix ou du taux de rem­bourse­ment de médica­ments à SMR faible, mais le Con­seil d’É­tat, saisi par cer­tains lab­o­ra­toires, a jugé insuff­isam­ment motivés les avis ren­dus par la Com­mis­sion de la trans­parence et annulé les déci­sions prises.

Et comment sont arrêtés les prix ?

Depuis la fin des années 1990, le Comité économique des pro­duits de san­té (CEPS), col­lège de hauts fonc­tion­naires et de représen­tants de l’as­sur­ance mal­adie, négo­cie le prix des médica­ments avec les lab­o­ra­toires. Si les négo­ci­a­tions aboutis­sent, le prix est fixé, en général, dans le cadre d’une con­ven­tion con­clue entre l’É­tat et le lab­o­ra­toire, signée par le prési­dent du Comité — c’est en pra­tique ce qui arrive dans la plu­part des cas.

Cette phase de négo­ci­a­tion de prix induit des délais, sou­vent dénon­cés, dans la mise à dis­po­si­tion des patients des médica­ments nou­veaux et rem­boursés en phar­ma­cie par rap­port à la Grande-Bre­tagne, l’Alle­magne ou les États-Unis. Cela tend à se réduire. On peut ajouter, et c’est essen­tiel en ter­mes de san­té publique, que les pro­duits inno­vants sont au con­traire très tôt disponibles à l’hôpi­tal. Enfin, pour les pro­duits très inno­vants, une procé­dure de “dépôt de prix” a donc été instau­rée en 2003, qui devrait per­me­t­tre d’ac­célér­er sen­si­ble­ment la procé­dure pour ces produits.

La libre cir­cu­la­tion des pro­duits en Europe s’ac­com­mode mal de la dis­par­ité des lég­is­la­tions et par­tant des prix des médica­ments. Il en résulte un prob­lème majeur, celui des impor­ta­tions par­al­lèles : des inter­mé­di­aires achè­tent les médica­ments dans les pays où ils sont moins chers pour les reven­dre ailleurs en Europe, sans que les sys­tèmes de pro­tec­tion sociale béné­fi­cient de ces “rabais”.

L’une des solu­tions con­sis­terait à met­tre en place un prix unique en Europe, quitte à ce que chaque sys­tème récupère une “par­tie des prix” par des négo­ci­a­tions dans le cadre de con­ven­tions entre les lab­o­ra­toires et les divers sys­tèmes de sécu­rité sociale.

Quels sont, en conclusion, les enjeux auxquels doit faire face la réglementation ?

La dif­fi­culté, dans des sociétés com­plex­es et régle­men­tées, que je qual­i­fie aus­si de “sociétés frag­iles” est de trou­ver un juste équili­bre entre la néces­saire prise de risque qui per­met de pro­gress­er, de béné­fici­er de béné­fices thérapeu­tiques majeurs et la garantie de la sécu­rité sanitaire.

Pour cela, au-delà des mesures de régle­men­ta­tion, l’ex­er­ci­ce de ses respon­s­abil­ités par cha­cun des acteurs est essen­tiel. De l’équili­bre entre régle­men­ta­tion et respon­s­abil­ité indi­vidu­elle dépen­dent l’équili­bre et le bon fonc­tion­nement du système.

Par ailleurs, la ques­tion du finance­ment reste posée et là encore l’É­tat doit trou­ver les leviers qui per­me­t­tent de met­tre en œuvre une poli­tique de san­té publique qui prenne en compte le besoin de maîtrise des dépens­es de santé.

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1 - En France, env­i­ron 80 000 filles auraient été exposées au Dis­til­bène pen­dant la grossesse de leur mère et 20 à 25 % d’en­tre elles pour­raient être affec­tées par des prob­lèmes d’infertilité.
2 - Un exem­ple récent (juin 2003) est celui du Pilo­suryl®, retiré de la vente après que trois cas graves d’in­suff­i­sance rénale aiguë et de coma ont été rap­portés lors de pris­es exces­sives du médicament.

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