In memoriam Antonin COLLET-BILLON (41)

Dossier : ExpressionsMagazine N°528 Octobre 1997
Par Henri MARTRE (47)

Antonin Col­let-Bil­lon est né le 19 jan­vi­er 1922 dans une mod­este famille d’a­gricul­teurs, à Massieu (Isère). L’in­sti­tu­teur de l’é­cole com­mu­nale de Massieu insista à juste rai­son pour qu’il pour­suive sa sco­lar­ité au-delà du cer­ti­fi­cat d’é­tudes : il entra en 1941 à l’É­cole poly­tech­nique alors délo­cal­isée à Lyon. “Prié” à l’is­sue de la sco­lar­ité à l’X de rejoin­dre les usines Messer­schmitt en Alle­magne, il rejoignit Massieu, et acquit une solide for­ma­tion de bûcheron dans les bois du Val d’Ainan. 

La fin de la guerre le vit par­ticiper à une mis­sion française dans la région du lac de Con­stance, où étaient (et sont tou­jours) situées les usines Dornier ; cette mis­sion était chargée d’embaucher des ingénieurs alle­mands com­pé­tents dans le domaine des fusées, selon la ter­mi­nolo­gie de l’époque. 

Après deux années passées à l’É­cole nationale supérieure de l’Arme­ment, Col­let-Bil­lon fut affec­té en juin 1947 au ser­vice tech­nique de la Direc­tion des études et fab­ri­ca­tions d’arme­ment (DEFA). Et début 1948 il rejoignit le Lab­o­ra­toire de recherch­es bal­is­tiques et aéro­dy­namiques (LRBA) de Ver­non (Eure), nou­velle­ment créé au sein de la DEFA, pour défrich­er l’ensem­ble des tech­niques var­iées néces­saires à la con­struc­tion de fusées. 

Il y fut d’abord chef du départe­ment guidage-pilotage, ce qui l’a­me­na à s’in­téress­er notam­ment aux tech­niques du radar et à la nav­i­ga­tion iner­tielle ; dans ce dernier domaine, les Alle­mands avaient dévelop­pé pour le V2 des tech­niques qui posaient les principes essen­tiels du guidage iner­tiel des mis­siles. Nom­mé chef du bureau tech­nique du LRBA, il eut à con­naître de la propul­sion des mis­siles, de leur aéro­dy­namique, des structures… 

L’ac­tiv­ité du LRBA s’est rapi­de­ment dévelop­pée autour d’un pro­gramme d’en­gin auto­propul­sé radi­ogu­idé con­tre avions (PARCA), vic­time en 1958 de la con­cur­rence du Hawk améri­cain, et autour des études de la propul­sion à ergols liq­uides. Tous ces travaux don­neront nais­sance à des fusées son­des, Véronique (1952), puis Ves­ta (1964), ain­si qu’aux propulseurs Vex­in et Val­ois, qui équipèrent la fusée Dia­mant, dont les archi­tectes furent des ingénieurs mil­i­taires (le pre­mier étage de Dia­mant notam­ment a été étudié puis réal­isé par le LRBA). On trou­ve là la genèse de la saga du lanceur européen de satel­lite Ariane. 

La volon­té de la France de se dot­er d’un arme­ment nucléaire, ce qui impli­quait, exem­ples améri­cain et sovié­tique à l’ap­pui, de dis­pos­er à terme de mis­siles bal­is­tiques, ame­na à entre­pren­dre en l958 les études bal­is­tiques de base. Le LRBA fut le creuset dans lequel fut acquise la com­pé­tence tech­nique indis­pens­able à l’aven­ture des missiles. 

Le général de Gaulle déci­da en 1961 de créer une struc­ture éta­tique puis­sante, rel­e­vant directe­ment de l’au­torité poli­tique, chargée en par­ti­c­uli­er de con­duire le développe­ment des moyens de la Force nationale stratégique. Il créa la Délé­ga­tion min­istérielle pour l’arme­ment (DMA), qui regroupait les direc­tions tech­niques chargées des affaires d’arme­ment. Au sein de la DMA appa­rais­sait une nou­velle entité, le départe­ment Engins, avec un bureau tech­nique à Saint-Cloud dont la direc­tion fut con­fiée à Collet-Billon. 

La pour­suite des travaux entre­pris au LRBA con­duisit au lance­ment avec suc­cès de Dia­mant, qui val­ut à Col­let-Bil­lon l’hon­neur d’être décoré offici­er de la Légion d’hon­neur par le général de Gaulle à l’Élysée en févri­er 1966. 

Mais la fil­ière Dia­mant, dont la propul­sion util­i­sait des ergols liq­uides d’une manip­u­la­tion déli­cate, était sans avenir mil­i­taire : la dis­sua­sion, qui com­por­tait une com­posante bal­is­tique embar­quée sur des sous-marins lanceurs d’en­gins (SNLE), avait ori­en­té le développe­ment de la propul­sion vers l’u­til­i­sa­tion de prop­er­gols solides. Le pre­mier tir bal­is­tique eut lieu au Cen­tre d’es­sais des Lan­des (CEL) en févri­er 1966. Les travaux de développe­ment des MSBS (mer-sol bal­is­tique stratégique) et SSBS (sol-sol bal­is­tique stratégique) con­nurent des péri­odes dif­fi­ciles, comme en témoignent les archives ciné­matographiques du CEL, mais la maîtrise tech­nique fut finale­ment acquise, et en par­ti­c­uli­er celle, déli­cate, de la phase allant pour un MSBS de l’é­jec­tion hors du tube du SNLE jusqu’à la mise à feu dans l’at­mo­sphère, les Améri­cains doutaient d’ailleurs à l’époque de l’ap­ti­tude des ingénieurs français à maîtris­er l’ensem­ble des tech­niques nécessaires. 

La pre­mière “prise d’alerte” du plateau d’Al­bion inter­vint en 1971 avec des mis­siles SSBS S2 de 300 km de portée et la pre­mière admis­sion au ser­vice act­if du SNLE Le Red­outable, équipé de mis­siles M1 de 2 500 km de portée, eut lieu en 1972. La pre­mière généra­tion de mis­siles, dont les per­for­mances pou­vaient paraître mod­estes com­par­a­tive­ment à celles des mis­siles alors mis en oeu­vre par les Améri­cains et les Sovié­tiques, don­nait à la France le statut de puis­sance nucléaire à part entière. Un effort per­ma­nent d’amélio­ra­tion de la portée et cor­réla­tive­ment de la pré­ci­sion de guidage fut poursuivi. 

De 1971 à 1974, Col­let-Bil­lon fut directeur du Lab­o­ra­toire cen­tral de l’arme­ment, qui com­pre­nait de nom­breux cen­tres de recherche dans des domaines var­iés. Une mis­sion annexe l’ab­sor­ba beau­coup, et pourquoi ne pas le dire, l’a­musa : il s’agis­sait du trans­fert de l’X à Palaiseau. Pas­sons sur ses démêlés avec l’ar­chi­tecte et men­tion­nons la con­tri­bu­tion de ses enfants, con­sultés sur des points aus­si cri­tiques que les dimen­sions régle­men­taires d’un ter­rain de rug­by ou le nom­bre de couloirs accept­able pour une piste d’athlétisme. 

Nom­mé directeur tech­nique des engins en sep­tem­bre 1974, il le res­ta jusqu’en 1983. Cette péri­ode fut extra­or­di­naire­ment riche dans le domaine des mis­siles nucléaires, comme dans le domaine des mis­siles tac­tiques. En effet, en 1970, un groupe chargé de l’ensem­ble des ques­tions de mis­siles tac­tiques avait été créé à la Direc­tion tech­nique des Engins (DTEn).

Dans le domaine du mis­sile bal­is­tique nucléaire inter­v­in­rent suc­ces­sive­ment les mis­es en ser­vice des MSBS M2 en 1974 (portée de 3 000 km) et M20 en 1977 (plus de 3 000 km avec une arme ther­monu­cléaire), du SSBS S3 en 1979 (plus de 3 000 km avec une arme ther­monu­cléaire), puis du MSBS M4, doté de charges ther­monu­cléaires mul­ti­ples, avec une portée de plus de 4 000 km. Le pre­mier vol du M4 eut lieu en 1980, sa mise en ser­vice en 1985. Le développe­ment de ce mis­sile com­plexe con­nut un cours exem­plaire, résul­tat de la maîtrise tech­nique et d’une méthodolo­gie sans faille que la DTEn s’é­tait attachée à dévelop­per. Ce pro­gramme val­ut à Col­let-Bil­lon, au cours de voy­ages aux États-Unis, d’une part une entre­vue avec l’ami­ral Rick­over, père des SNLE améri­cains, d’autre part une sur­prise : un matin, un offici­er améri­cain l’in­for­ma que le tir M4 effec­tué pen­dant la nuit s’é­tait bien passé et que la pré­ci­sion des têtes à l’ar­rivée était excellente… 

Dans le domaine du nucléaire tac­tique, après l’en­trée en ser­vice du Plu­ton en 1974, 1978 vit le lance­ment du développe­ment d’un mis­sile nucléaire tiré à dis­tance de sécu­rité, des­tiné à rem­plac­er les bombes à grav­i­ta­tion des Mirage IV, puis à équiper les Mirage type 2000 N ain­si que l’Aéron­avale. Ce mis­sile, I’ASMP (air-sol moyenne portée) utilise une propul­sion par sta­toréac­teur avec un accéléra­teur à poudre inté­gré dans la cham­bre de com­bus­tion. Cette dis­po­si­tion pro­cure des per­for­mances remar­quables, mais le développe­ment de ce mis­sile de for­mule inno­vante a été mou­ve­men­té et sa mise en ser­vice eut lieu en 1986. 

Dans le domaine des mis­siles tac­tiques, l’évo­ca­tion du nom des mis­siles alors en pro­duc­tion (Roland, Cro­tale, famille Exo­cet) ou en développe­ment (Super 530, Mag­ic 2, AS30 laser, Mis­tral) rap­pelle que l’ex­cel­lence de ces pro­duits val­ut à l’in­dus­trie française de nom­breux suc­cès à l’exportation. 

Enfin on men­tion­nera que le début des années 1980 vit les pre­mières études sur les satel­lites de recon­nais­sance optique. Ces études demeurèrent à l’époque sans suite directe, mais con­sti­tuèrent les prémiss­es du pro­gramme Hélios, dont le pre­mier satel­lite a été mis en orbite en 1995. 

La deux­ième sec­tion inter­vint offi­cielle­ment pour Col­let-Bil­lon le ler novem­bre 1983, date à laque­lle il devint admin­is­tra­teur du Groupe­ment des gros propulseurs à poudres (G2P) : GIE entre la Société européenne de propul­sion (SEP) et la Société nationale des poudres et explosifs (SNPE), ce jusqu’au 31 octo­bre 1987. Doué d’une activ­ité inlass­able, l’ingénieur se trans­for­ma en out­re en expert-con­seil dans le domaine spatial. 

Décédé le 19 févri­er 1996, Antonin Col­let-Bil­lon était mar­ié depuis 1949 à Françoise Delanghe, père de sept enfants, grand-père de sept petits-enfants. 

Il laisse le sou­venir d’un grand ingénieur et d’un grand servi­teur de l’É­tat, ayant con­sid­érable­ment con­tribué à la créa­tion des capac­ités de dis­sua­sion nucléaire de la France. 

Ses travaux lui val­urent plusieurs distinctions :
— prix de l’A­cadémie des sci­ences (prix Lamb) en 1958,
— grand prix de l’As­so­ci­a­tion aéro­nau­tique et astro­nau­tique de France, en 1983,
— com­man­deur de la Légion d’hon­neur (1979),
— grand offici­er de l’Or­dre nation­al du Mérite (1993), décoré par Pierre Mess­mer, ancien pre­mier ministre.

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