“ Horizon 2020 ” : une volonté européenne

Dossier : Recherche et entrepriseMagazine N°694 Avril 2014
Par Alain QUÉVREUX
Par Denis RANDET (59)

Lorsque, en 1983, sous l’impulsion d’Étienne Davi­gnon, com­mis­saire belge en charge de l’achèvement du marché intérieur et des affaires indus­trielles, la Com­mis­sion européenne lança le pro­gramme ESPRIT (Euro­pean Strate­gic Pro­gram on Research in Infor­ma­tion Tech­nol­o­gy) – cela sans cadre légal, puisque la poli­tique de recherche ne fai­sait pas par­tie de ses attri­bu­tions –, l’ambition était de relever un des grands défis du moment, après l’échec du pro­jet Unida­ta où l’on avait voulu fusion­ner Bull et les activ­ités infor­ma­tiques de Philips et Siemens.

S’unir pour être plus fort, les États-Unis d’Europe à la hau­teur des États-Unis d’Amérique. Ensuite, la réal­ité, celle d’une union de pays indépen­dants, aux sol­i­dar­ités économiques par­tielles, iné­gaux quant à leur développe­ment sci­en­tifique et tech­nologique, reprit ses droits.

REPÈRES

Les programmes européens de recherche et de développement (et désormais d’innovation) font partie du quotidien des chercheurs publics et privés dans tous les pays de l’Union. Ils sont devenus, avec le programme Erasmus, le principal moyen de circulation des personnes et des idées en Europe, et c’est d’autant plus remarquable qu’ils sont nés en marge, et avec un autre objectif.

Ouverture intereuropéenne

L’ambition se repor­ta sur l’ouverture inter-européenne, la con­sti­tu­tion de réseaux trans-fron­tières, en favorisant les pays les plus faibles.

Un budget en croissance

Les difficultés n’ont pas nui à une montée en puissance régulière tout au long de l’histoire des programmes-cadres. La recherche et l’innovation sont devenues au fil du temps l’une des grandes priorités européennes. Malgré la crise économique majeure qui frappe l’Europe, les budgets ont continué et continueront à croître, sauf une baisse en 2014. Les engagements sont pris pour sept ans, et c’est un gros avantage par rapport aux programmes nationaux, soumis à l’annualité budgétaire.

Cela sur l’ensemble du champ, pas seule­ment l’informatique. En même temps, on s’orienta vers l’amont, les recherch­es dites pré­com­péti­tives où les entre­pris­es sont cen­sées ne pas être en con­cur­rence. La préoc­cu­pa­tion pro­duits-marchés s’estompa. Si bien que la Com­mis­sion eut du mal à affich­er des résul­tats per­cep­ti­bles par les citoyens ordinaires.

La mon­tée en puis­sance de la Chine, les effets de la mon­di­al­i­sa­tion furent une autre rai­son pour intro­duire davan­tage d’aval, impli­quer plus forte­ment les entreprises.

Affronter la crise

Les États-Unis d’Europe à la hauteur des États-Unis d’Amérique

L’objectif de com­mu­ni­ca­tion entre chercheurs européens étant atteint, place aux moyens d’affronter la crise, la con­cur­rence des États- Unis et de l’Asie du Sud-Est. Le sep­tième pro­gramme- cadre, 2007–2013, doté de 50 mil­liards d’euros, fut en par­tie un champ d’expérimentation : par­tic­i­pa­tion des entre­pris­es à la pro­gram­ma­tion avec les agen­das stratégiques de recherche et les Joint Tech­nol­o­gy Ini­tia­tives, parte­nar­i­ats public-privé.

Avec des pré­cau­tions, car dans cette union à 28, la volon­té de jouer entre meilleurs ne peut faire dis­paraître le souci d’élever le niveau des autres.

D’autre part, le marché com­mun et l’ouverture à la con­cur­rence restent le fonde­ment de l’Union : le finance­ment d’activités plus proches du marché ne va pas sans débats ni règles de sauve­g­arde. De fait, le partage de résul­tats pro­pres à la recherche coopéra­tive a ses lim­ites, de même que la sol­i­dar­ité économique entre les acteurs. Et le mon­tage des con­sor­tiums de recherche con­somme beau­coup d’énergie pour un résul­tat incer­tain, compte tenu de la sévérité de la sélection.

Bud­get recherche de l’UE 2007 — 2020
2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017 2018 2019 2020
5,49​ 6,09 6,75 7,54 8,61 10,2 11,1 9,25 9,87 10,32 11,14 11,87 12,90 14,08
Bud­get du 7e PCRD en mil­lards d’eu­ros courants Bud­get de Hori­zon 2020 en mil­lards d’eu­ros courants

Des programmes attractifs

Face à cette com­plex­ité, on pour­rait s’étonner de l’attractivité des pro­grammes européens, alors qu’il ne s’agit chaque année que d’une dizaine de mil­liards d’euros pour 28 pays qui en dépensent 250 mil­liards en recherche et développement.

Mais ce ne sont pas les pays qui se por­tent can­di­dats, ce sont des entre­pris­es et des lab­o­ra­toires ; en pro­por­tion de leurs ressources, les meilleurs lab­o­ra­toires publics dépassent les 10%, ce qui est très inci­tatif. Les entre­pris­es ont pu être plus réservées, avec un intérêt vari­able selon les secteurs.

“ Horizon 2020 ”, le nouveau programme

Les longs et dif­fi­ciles débats entre Com­mis­sion, gou­verne­ments, Con­seil des min­istres et Par­lement européen ont abouti à un résul­tat par­ti­c­ulière­ment posi­tif, compte tenu de la sit­u­a­tion actuelle : dot­er de 79 mil­liards d’euros courants un pro­gramme 2014–2020 de recherche, de développe­ment, de démon­stra­tions et d’innovation de l’Union européenne, prenant en compte le souci de com­péti­tiv­ité des entre­pris­es grâce à l’innovation.

Ce ne sont pas les pays qui se portent candidats, ce sont des entreprises et des laboratoires

Il finance jusqu’à 100 % des coûts éli­gi­bles des pro­jets de recherche et d’innovation jugés les plus promet­teurs par des jurys internationaux.

Le finance­ment se fait essen­tielle­ment sur pro­jet et, pour la par­tie indus­trielle, sur pro­jets col­lab­o­rat­ifs mul­ti­parte­naires issus d’au moins trois pays, à l’exception de « l’instrument PME » qui autorise une PME très nova­trice à se porter can­di­date seule.

Les éval­u­a­tions sont réal­isées par des experts indépen­dants, sur trois critères : l’excellence de la sci­ence et de la tech­nolo­gie, l’impact en par­ti­c­uli­er économique et social, la qual­ité du con­sor­tium et de la mise en œuvre.

Trois piliers

Trois objectifs du programme Horizon 2020Ce pro­gramme est organ­isé en trois piliers :

  • excel­lence de la sci­ence – doté de 22 mil­liards d’euros ,
  • lead­er­ship indus­triel – doté de 15 mil­liards d’euros ,
  • défis de société (grande nou­veauté pour un pro­gramme de recherche s’adressant aus­si aux entre­pris­es, doté de 27 mil­liards d’euros).

Excellence de la science

Ce pre­mier pili­er pro­longe l’expérience (réussie) du Con­seil européen de la recherche (ERC), qui a lancé des appels à can­di­da­tures pour financer les meilleures équipes européennes de recherche scientifique.

Il ne pose pas de prob­lèmes de principe : il n’y a pas d’enjeux économiques immé­di­ats, la com­péti­tion inter­na­tionale est de même nature que celle à laque­lle les chercheurs sont con­stam­ment soumis pour leurs publications.

Deux autres actions sur la mobil­ité des chercheurs et les tech­nolo­gies futures et émer­gentes com­plè­tent ce pilier.

Primauté industrielle : technologies de leadership européen

Le lead­er­ship dans les tech­nolo­gies clés génériques (KET) et les tech­nolo­gies indus­trielles (12,1 mil­liards d’euros) con­cerne les TIC, les nan­otech­nolo­gies, les matéri­aux avancés, les biotech­nolo­gies, les sys­tèmes de fab­ri­ca­tion et de trans­for­ma­tion avancés et l’espace.

Il s’agit d’ores et déjà d’une grande première pour l’Europe

L’accès aux finance­ments à risque (2,6 mil­liards d’euros) per­met de créer un effet de levi­er pour les finance­ments privés et le cap­i­tal-risque. L’innovation dans les PME a un bud­get de 0,6 mil­liard d’euros.

Au moins qua­tre nou­veautés peu­vent être men­tion­nées : la pri­or­ité accordée aux tech­nolo­gies génériques clés (KET), l’extension du finance­ment à des lignes pilote ou à des démon­stra­teurs indus­triels, le sou­tien jusqu’à l’arrivée sur le marché d’un pro­jet de développe­ment nova­teur présen­té par une PME, sans qu’elle ait besoin de s’associer à quiconque, l’innovation tirée par l’aval et plus par­ti­c­ulière­ment par la com­mande publique.

Défis de société

Cette nou­veauté est le résul­tat d’un rap­port de 2008 qui repre­nait le con­stat de la faib­lesse rel­a­tive des finance­ments de l’Union européenne en recherche et développe­ment par rap­port à celui des finance­ments nationaux : quelque chose comme 5/95.

Avions-nous si peu de choses à faire en com­mun ? Rap­pelant les deux grandes aven­tures com­munes du CERN et de l’espace, inspirées par la néces­sité puisqu’elles dépas­saient man­i­feste­ment les capac­ités d’un pays isolé, il recom­mandait d’identifier de grands défis de société sur lesquels se réunir.

Cela s’est traduit dans “ Hori­zon 2020 ” par l’architecture suivante :

  • san­té, change­ment démo­graphique et bien-être : 6,7 mil­liards d’euros ;
  • sécu­rité ali­men­taire, agri­cul­ture durable & bioé­conomie : 3,5 mil­liards d’euros ;
  • énergie sûre, pro­pre et effi­cace : 5,3 mil­liards d’euros ;
  • trans­ports intel­li­gents, verts et inté­grés : 5,7 mil­liards d’euros ;
  • change­ment cli­ma­tique, ges­tion des ressources et matières pre­mières : 2,8 mil­liards d’euros ;
  • des sociétés inclu­sives : 1,2 mil­liard d’euros ;
  • des sociétés sûres : 1,5 mil­liard d’euros.

La suite dira com­ment ces dénom­i­na­tions assez larges seront com­pris­es, quels parte­nar­i­ats se con­stitueront, quelles propo­si­tions seront présen­tées et com­ment elles seront évaluées.

Mais il s’agit d’ores et déjà d’une grande pre­mière pour l’Europe : les pro­jets ne sont plus sol­lic­ités sur une base tech­nique, mais sur leur capac­ité à répon­dre à des ques­tions socié­tales iden­ti­fiées et chiffrées.

Avec env­i­ron 50 000 can­di­da­tures français­es soumis­es en réponse aux appels à pro­jets de la CE au cours du 7e PCRD, l’intérêt pour le pro­gramme a été incontestable​. Cepen­dant, le tableau ci-dessous rap­pelle que 2% des opéra­teurs, au pre­mier rang desquels le CNRS et le CEA, ont obtenu plus de 50% des finance­ments. En sept ans, env­i­ron 1700 étab­lisse­ments publics et entre­pris­es français ont été sélec­tion­nés et financés. Inten­sité des par­tic­i­pa­tions français­es au pro­gramme « Coopéra­tion » du 7e pro­gramme-cadre (2007–2013)
2007 à 2013 Nom­bre
de
participants
Nom­bre
de
participations
Part du
financement
cumulé
Nom­bre
de
projets
Grands par­tic­i­pants 2,3 % 46,3 % 51,2 % 29 et plus
Par­tic­i­pants réguliers 4,0 % 14,4 % 20,7 % 10 à 29
Par­tic­i­pants occasionnels 34,1 % 25,9 % 19,5 % 2 à 9
Monopar­tic­i­pants 59,5 % 13,5 % 8,6 % 1

Initiatives technologiques conjointes

Une par­tie est déjà iden­ti­fiée, la pro­lon­ga­tion des parte­nar­i­ats pub­lic-privé en cours sous le nom d’Initiatives tech­nologiques con­jointes (JTI) :

  • ECSEL : com­posants élec­tron­iques et sys­tèmes embarqués ;
  • FCH : piles à com­bustible et hydrogène ;
  • IMI : médica­ment innovant ;
  • Clean Sky : aérien propre ;
  • Bio Based Indus­try : biotechnologies ;
  • Shif­tRail (2015–2016 ?) : ferroviaire.

Cha­cune a des règles de finance­ment spé­ci­fiques, avec des pro­por­tions vari­ables Union-gou­verne­ments et public-privé.

S’y ajouteront des parte­nar­i­ats pub­lic-privé con­tractuels, sorte de « préaf­fec­ta­tion » des finance­ments con­sacrés aux défis : usines du futur, effi­cac­ité énergé­tique des bâti­ments, véhicules verts, Inter­net du futur, indus­trie de trans­for­ma­tion durable, robo­t­ique, pho­tonique, cal­cul à haute performance.

Les 15 prin­ci­pales caté­gories d’ac­teurs du 7e PC
Les 15 principales catégories d'acteurs du 7e PC

Participation française

Dans ce qu’on con­naît aujourd’hui des résul­tats du 7e PCRD, les acteurs français n’ont récupéré que 12,1 % des finance­ments, alors que la dépense française en R&D représente 15,9 % du total des pays de l’Union. Le rap­port des deux pro­por­tions donne un indi­ca­teur de per­for­mance : il est égal à 0,8, au lieu de 0,68 pour l’Allemagne et 1,38 pour le Roy­aume- Uni. De ce point de vue, celui-ci est le grand gag­nant des coopéra­tions européennes, d’autant que sa coti­sa­tion au bud­get total de l’Union est minorée : 12,3 %, au lieu de 16,7 % pour la France et 19,5 % pour l’Allemagne.

Pour la péri­ode 2014–2020 qui s’ouvre, si nous voulions porter notre pro­por­tion de finance­ment à celle de notre coti­sa­tion glob­ale, nous devri­ons présen­ter 25 000 can­di­da­tures français­es sup­plé­men­taires. Où les trouver ?

Le graphique ci-dessus rap­pelle à quel point les résul­tats d’un pays sont con­di­tion­nés par la struc­tura­tion de sa recherche. Les uni­ver­sités bri­tan­niques, très fortes, sont les pre­mières béné­fi­ci­aires des con­trats européens. Ce mod­èle se retrou­ve aux Pays-Bas. En Alle­magne, la répar­ti­tion est remar­quable­ment égale : uni­ver­sités, organ­i­sa­tions de recherche tech­nologique et entre­pris­es font à peu près le même score.

Encore des progrès à faire

Les grands organ­ismes de recherche français sont les sec­onds béné­fi­ci­aires, der­rière les uni­ver­sités bri­tan­niques. Nos entre­pris­es sou­ti­en­nent favor­able­ment la com­para­i­son avec les entre­pris­es alle­man­des au regard de la dif­férence de taille des deux économies.

Ce sont nos uni­ver­sités à forte activ­ité de recherche qui ont le plus de pro­grès à faire.

Les acteurs français n’ont récupéré que 12,1 % des financements

L’ANRT pub­lie chaque année un pal­marès de la recherche col­lab­o­ra­tive uni­ver­si­taire dans le pro­gramme-cadre de recherche de l’Union européenne (classe­ment dit des Capucines).

Les deux pre­miers français, l’Institut Mines- Télé­com et l’université Paris-VI, n’arrivent qu’en 65e et 66e posi­tion, très loin des grandes uni­ver­sités bri­tan­niques (Lon­dres, Oxford, Cam­bridge), belges, suiss­es, néer­landais­es, danois­es, sué­dois­es, etc. Certes, les équipes uni­ver­si­taires français­es sont mêlées à celles du CNRS et de l’Inserm ; cela rend le décompte dif­fi­cile, mais ne remet pas en cause le constat.

C’est pour une part celui du pro­grès que les uni­ver­sités français­es devraient faire en recherche tech­nologique. Mais, et cela risque d’être encore plus sen­si­ble dans Hori­zon 2020, les grandes uni­ver­sités étrangères ont de remar­quables capac­ités de com­bi­naisons entre dis­ci­plines différentes.

Pou­voir crois­er les com­pé­tences sci­en­tifiques et tech­niques « dures » avec l’économie, le man­age­ment de l’innovation, l’analyse de sys­tèmes, etc., sera pré­cieux. Au-delà de l’objectif « mer­can­tile », Hori­zon 2020 nous incit­era à combler quelques-unes de nos lacunes.

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