Les aides publiques à la R&D sont-elles encore pertinentes ?

Dossier : Recherche et entrepriseMagazine N°694 Avril 2014
Par Jean-Luc MOULLET (88)

Dans un contexte de résur­gence du rôle de l’État stra­tège, qui struc­ture une poli­tique de l’offre, notam­ment au tra­vers des trente-quatre plans de la nou­velle France indus­trielle, les aides publiques à la R&D sont-elles encore pertinentes ?

L’effort consen­ti en faveur de la R&D est une condi­tion essen­tielle au rebond de l’activité éco­no­mique et de la com­pé­ti­ti­vi­té des entre­prises. Les entre­prises de R&D réa­lisent des per­for­mances à l’export beau­coup plus impor­tantes que la moyenne de leur caté­go­rie. Il en va de même pour les créa­tions d’emploi.

Il est ten­tant de conclure qu’il est essen­tiel de conduire des poli­tiques publiques ambi­tieuses ciblant les entre­prises inno­vantes, car elles génèrent de la valeur, notam­ment sur les mar­chés exté­rieurs, assurent le déve­lop­pe­ment de filières per­for­mantes, et, plus géné­ra­le­ment, per­mettent de tirer une crois­sance éco­no­mique tant attendue.

Mais qu’en est-il de la réa­li­té de ces aides publiques à la R&D. Que sont-elles ? Com­ment sont-elles dis­tri­buées ? Avec quelle efficacité ?

REPÈRES

Le système des aides publiques directes à la R&D comprend trois échelons principaux. L’échelon territorial est essentiellement régional. À chaque région ses secteurs de spécialisation, sa politique économique et son système d’aides.
L’échelon national est fragmenté en autant de systèmes qu’il y a de ministères et d’agences concernés, dont Bpifrance, l’ANR (Agence nationale pour la recherche) ou l’ADEME (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie).
L’échelon européen, dont les crédits sont à la fois distribués par la Commission européenne (par exemple, Horizon 2020, le nouveau programme-cadre européen de financement de la recherche et de l’innovation pour la période 2014–2020) mais aussi par les régions. C’est notamment le cas du FEDER (Fonds européen de développement régional) qui peut aussi financer des projets de R&D.

Limiter le nombre des guichets

Des efforts sont entre­pris pour limi­ter le nombre de gui­chets ou, a mini­ma, faci­li­ter la coor­di­na­tion entre les acteurs.

La créa­tion d’un Fonds unique inter­mi­nis­té­riel (FUI) concentre les efforts des prin­ci­paux minis­tères impli­qués dans le finan­ce­ment de pro­jets de R&D au tra­vers des pôles de com­pé­ti­ti­vi­té (minis­tères de l’Industrie, de la Défense, des Trans­ports, de la San­té, de l’Agriculture). Cette approche n’est pas exclu­sive, puisque chaque minis­tère conti­nue à dis­po­ser de cré­dits propres d’aide à la R&D en dehors du FUI.

Il est tentant de cibler les entreprises innovantes

La « confé­rence des finan­ceurs » per­met aux ser­vices de l’État, du Conseil régio­nal et de Bpi­france, prin­ci­pa­le­ment, de coor­don­ner leur approche sur les dos­siers de R&D (dans le cadre des pro­jets issus des pôles de com­pé­ti­ti­vi­té notamment).

La créa­tion de Bpi­france répond à un objec­tif de « gui­chet unique » qui concentre entre ses mains la palette des outils d’accompagnement à la R&D sous forme d’aides publiques, mais aus­si d’outils de finan­ce­ment clas­siques de haut et de bas de bilan.

L’effort de sim­pli­fi­ca­tion est louable mais ce n’est pas le seul gui­chet natio­nal vers lequel les entre­prises peuvent se tour­ner pour finan­cer leurs pro­jets de R&D. Ain­si, les appels à pro­jets de R&D dans le domaine du « véhi­cule du futur » sont-ils por­tés par l’ADEME.

Certes la réduc­tion des consom­ma­tions est une des thé­ma­tiques phares dans ce domaine, ce qui oriente natu­rel­le­ment vers l’ADEME, mais il n’y a pas de spé­ci­fi­ci­té telle à cet appel à pro­jets qui jus­ti­fie que Bpi­france ne soit pas, là aus­si, l’interface des entre­prises sur ce type de projets.

Subventions et avances

Les aides directes revêtent plu­sieurs formes. La forme la plus clas­sique est sans doute celle de la sub­ven­tion. Simple de mise en œuvre, la sub­ven­tion devient un outil de plus en plus rare dans la palette des finan­ce­ments publics.

Les contraintes fixées par la Commission ont le mérite d’encadrer nos propres faiblesses

Les avances rem­bour­sables lui sont pré­fé­rées. Elles intègrent une notion de par­tage de risque : si le pro­jet est un suc­cès, l’entreprise rem­bourse son aide à l’État et peut même être ame­née à ver­ser un inté­res­se­ment com­plé­men­taire en cas de franc suc­cès (typi­que­ment de l’ordre de 30 % du mon­tant ini­tial de l’aide) ; si le pro­jet est un échec, l’aide publique reste acquise à l’entreprise.

Les aides sont accor­dées au terme de pro­cé­dures qui peuvent être longues et com­plexes. Sché­ma­ti­que­ment, un dos­sier de demande d’aide est ins­truit (c’est-à-dire ana­ly­sé au plan de sa cré­di­bi­li­té tech­nique, mana­gé­riale, éco­no­mique et finan­cière) par un ou plu­sieurs ins­truc­teurs, le plus sou­vent sou­te­nus par des experts externes.

Le dos­sier ins­truit est ensuite pré­sen­té devant un comi­té de pilo­tage, regrou­pant repré­sen­tants minis­té­riels et per­son­na­li­tés qua­li­fiées, lequel comi­té pro­pose à l’autorité déci­sion­naire un mon­tant à accor­der au pro­jet. Le prin­cipe direc­teur, hono­rable, est celui de la mul­ti­pli­ci­té des regards por­tés sur un dos­sier, qui limite le risque de finan­ce­ment de pro­jets qui seraient voués à un échec cer­tain, ain­si que le risque d’influence.

Mais le prix à payer pour cette ins­truc­tion appro­fon­die est grand, notam­ment en termes de délais.

Trois milliards d’euros

Les sommes en jeu sont importantes mais leur quantification n’est pas toujours facile. Le rapport du groupe de travail « aides à l’industrie » du Conseil national de l’industrie a chiffré les soutiens annuels à l’innovation tels que distribués par Bpifrance, les concours associés aux pôles de compétitivité, aux investissements d’avenir, ainsi que les financements de projets de recherche à 3,3 milliards d’euros, en intégrant la part du crédit d’impôt recherche (CIR) bénéficiant à l’industrie, qui est estimée à 2 milliards d’euros.
Hors CIR, les montants d’aide accordés par entreprise, dans le cadre de programmes de recherche généralement pluriannuels, varient entre quelques centaines de milliers d’euros et plusieurs dizaines de millions d’euros. Les règles d’attribution sont strictement encadrées par Bruxelles tant en assiette éligible (la nature des dépenses que l’on peut soutenir) qu’en taux d’intervention (typiquement entre 30% et 50%). Ces taux varient également en fonction de la taille de l’entreprise (un coup de pouce est donné aux plus petites d’entre elles) et selon le caractère collaboratif du projet.
Les règles de Bruxelles sont parfois vécues comme un carcan insupportable : la nécessité, par exemple, de justifier explicitement du caractère incitatif d’une aide est un exercice sans fondement opérationnel, qui se traduit souvent par un travail désincarné et purement formel. Reconnaissons toutefois aux contraintes fixées par la Commission le mérite d’encadrer nos propres faiblesses et d’offrir un exutoire bien facile pour limiter les appétits de financement de certains.

Une procédure accélérée

Une prise de conscience du carac­tère inopé­rant des moda­li­tés actuelles est en marche.

Une claire volon­té de sim­pli­fi­ca­tion et d’accélération a été for­mu­lée, notam­ment par Louis Gal­lois, Com­mis­saire géné­ral à l’investissement. Elle se tra­duit, par exemple, par la mise en place d’une pro­cé­dure accé­lé­rée pour l’aide aux Pro­jets stra­té­giques pour la com­pé­ti­ti­vi­té (PSPC), pour laquelle l’État et Bpi­france s’engagent à obser­ver un délai de trois mois entre la date de dépôt d’un dos­sier com­plet et le pre­mier ver­se­ment aux entre­prises béné­fi­ciaires de l’aide.

Cette pro­cé­dure accé­lé­rée est mise en place depuis jan­vier 2014, nous n’avons pas encore de recul sur son efficacité.

Avantage au CIR

Avec un coût pour la col­lec­ti­vi­té plu­tôt éle­vé, un coût de ges­tion éga­le­ment éle­vé, quelle est fina­le­ment l’efficacité de ces aides ?

Le CIR mérite une men­tion à part dans cette ana­lyse. Dans sa défi­ni­tion, c’est l’un des dis­po­si­tifs fis­caux d’incitation à la R&D les plus favo­rables au monde. Il dis­pose d’une base large : il est ouvert à toutes les entre­prises, sans condi­tion a prio­ri sur la nature des tra­vaux de R&D conduits. Il a béné­fi­cié à près de 15 000 entre­prises en 2011, avec un mon­tant moyen proche de 350 000 euros par entreprise.

Il est rela­ti­ve­ment simple à mettre en œuvre, même si des pro­grès pour­raient encore être faits en la matière. Il a per­mis aux entre­prises fran­çaises de main­te­nir leurs inves­tis­se­ments de R&D à un niveau éle­vé mal­gré les dif­fi­cul­tés économiques.

Le CIR favorise le maintien des centres de R&D sur le territoire national

La France a ain­si connu une crois­sance de son inten­si­té de R&D pri­vée entre 2008 et 2011 supé­rieure à la plu­part de ses com­pé­ti­teurs euro­péens. Le CIR est éga­le­ment un élé­ment favo­ri­sant le main­tien des centres de R&D sur le ter­ri­toire natio­nal en ce qu’il per­met de com­pen­ser le coût moyen du cher­cheur fran­çais, qui serait, sans cela, l’un des plus chers au monde, avec le Japon et les États-Unis.

À l’opposé, les aides directes à la R&D sont assises sur une base beau­coup plus étroite et seuls les meilleurs pro­jets sont a prio­ri sélectionnés.

Annuel­le­ment, 900 pro­jets de R&D issus de la démarche des pôles de com­pé­ti­ti­vi­té sont ain­si finan­cés depuis 2005, pour un mon­tant moyen de 750 000 euros par pro­jet (hors finan­ce­ment des col­lec­ti­vi­tés territoriales).

Les pôles de compétitivité

Une ana­lyse de la poli­tique des pôles de com­pé­ti­ti­vi­té conduite montre que, sur un stock de plus de 5 000 pro­jets finan­cés, moins de la moi­tié a don­né lieu à des inno­va­tions. Près de 6 500 articles scien­ti­fiques ont été publiés. Près d’un mil­lier de bre­vets ont été dépo­sés. Enfin, 93 start-ups sont issues des pro­jets, soit en flux annua­li­sé 5% envi­ron de la créa­tion annuelle d’entreprises inno­vantes en France.

On peut s’étonner de la fai­blesse de ces chiffres, même si ces pro­jets de R&D sont conduits sur une période de réa­li­sa­tion qui s’étale de trois à cinq ans.

Un cer­tain nombre d’entre eux sont donc tou­jours en cours, ou atteignent seule­ment la fron­tière de la mise sur le mar­ché. S’agissant de tra­vaux de R&D, ils sont par défi­ni­tion incer­tains dans leur réa­li­sa­tion et peuvent connaître des échecs.

En tout état de cause, la conclu­sion a été tirée que l’action des pôles de com­pé­ti­ti­vi­té et des pou­voirs publics en géné­ral en faveur des pro­jets de R&D est trop por­tée sur l’émergence et la struc­tu­ra­tion des pro­jets, par oppo­si­tion à leur accom­pa­gne­ment après obten­tion du finan­ce­ment et au sui­vi de leurs résultats.

Un repoussoir

Le délai moyen entre le dépôt d’un dossier et le premier versement d’une aide se situe autour de douze mois. En fait, il varie selon les guichets et les procédures. Il va de six mois, pour les procédures les plus rapides (notamment celles gérées par Bpifrance), à dix-neuf mois, pour les services instructeurs les plus lents.
Ce délai, anormalement long, constitue à l’évidence un repoussoir pour toute entreprise normalement engagée dans des activités de marché et confrontée à de légitimes exigences de réactivité. Il reflète tout à la fois l’inutile complexité du dossier administratif demandé aux entreprises, qui peut représenter plus d’une centaine de pages ; la nécessité de coordonner les calendriers, le travail et les avis de plusieurs experts, internes et externes, chargés de fournir un avis détaillé sur le projet ; l’approfondissement de l’analyse du dossier par des instructeurs, qui ne souffrent pas d’être mis en défaut dans le cadre de la revue du projet par leurs pairs ou les membres du comité de pilotage ; les durées de « négociation » avec les bénéficiaires des aides.
Si les subventions sont acceptées sans discussion, il n’en va pas de même des avances remboursables ou des clauses d’intéressement au succès du projet.
Au total, dans un contexte où la variable temps n’est guère valorisée, la charge moyenne de traitement d’un dossier de demande d’aide peut représenter jusqu’à 1,3 homme par an par dossier.

S’orienter vers les résultats attendus

Plus géné­ra­le­ment, la démarche ini­tiée dans le cadre des inves­tis­se­ments d’avenir, qui donne une large part au sui­vi des pro­jets, à leur réorien­ta­tion, voire à leur arrêt, cou­plée à la volon­té du ministre en charge de l’Industrie de favo­ri­ser l’évolution de dis­po­si­tifs fonc­tion­nant en « usines à pro­jets » vers des dis­po­si­tifs fonc­tion­nant en « usines à résul­tats », oriente désor­mais plus l’attention vers les résul­tats atten­dus des pro­jets financés.

Deux orientations

Au total, dans un contexte de défi­cits publics crois­sants et alors que le dis­po­si­tif fis­cal du CIR assure déjà, à la satis­fac­tion géné­rale, le socle stable d’une large base de finan­ce­ment de l’effort des entre­prises dans le domaine de la R&D, il n’est pas illé­gi­time d’augmenter très signi­fi­ca­ti­ve­ment les exi­gences dans l’attribution des aides directes aux pro­jets de R&D.

Deux orien­ta­tions pri­vi­lé­giées, par­ti­cu­liè­re­ment mises à l’œuvre dans le cadre des inves­tis­se­ments d’avenir, se dégagent pour cela.

D’abord, limi­ter l’accompagnement public aux seuls pro­jets de R&D indus­triels qui affichent des pers­pec­tives étayées et ambi­tieuses de valo­ri­sa­tion com­mer­ciale des pro­duits issus de la recherche.

Ensuite, enga­ger sys­té­ma­ti­que­ment une approche « gagnant-gagnant » entre les entre­prises et les pou­voirs publics, de manière à ce que l’État puisse béné­fi­cier d’un inté­res­se­ment au suc­cès du pro­jet, au-delà de son accom­pa­gne­ment initial.

Dans une éco­no­mie où l’accès à la res­source publique se raré­fie, seuls les meilleurs pro­jets doivent être accompagnés.

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