France : les déterminants de l’évolution de l’intensité en R&D

Dossier : Recherche et entrepriseMagazine N°694 Avril 2014
Par Frédérique SACHWALD

Les entre­pris­es investis­sent dans les activ­ités de R&D dans la mesure où elles en atten­dent une amélio­ra­tion de leurs per­for­mances. Les résul­tats de leurs efforts de R&D génèrent des con­nais­sances qui nour­ris­sent la capac­ité d’innovation de l’entreprise de deux manières.

REPÈRES

Au niveau national, les dépenses de R&D se décomposent en dépenses relatives à la recherche publique d’une part et aux activités de R&D des entreprises d’autre part. Les premières ont un impact indirect et à long terme sur l’innovation et la capacité de croissance d’un pays, alors que les secondes ont un impact plus direct dans la mesure où elles se concentrent sur le développement expérimental proche du marché.
Au début des années 2000, afin de promouvoir l’économie de la connaissance, les pays européens s’étaient donné comme objectif d’atteindre une intensité en R&D de 3 %, dont 2 % financés par les entreprises. Depuis, les comparaisons internationales ont souligné que l’intensité en R&D privée ne peut pas être conçue uniquement comme un input car elle résulte largement de la structure sectorielle des économies.

Pre­mière­ment, des con­nais­sances directe­ment util­is­ables pour génér­er des innovations.

Deux­ième­ment, des con­nais­sances qui ren­for­cent la capac­ité d’absorption et d’ouverture effi­cace aux recherch­es externes (voir graphique 1).

Les dépens­es de R&D se traduisent par plus d’innovation et de meilleures per­for­mances des entre­pris­es. Le stock de con­nais­sances de l’entreprise, s’appuyant à la fois sur les efforts de R&D internes et sur l’absorption de résul­tats externes, ses investisse­ments doivent assur­er une bonne capac­ité d’absorption.

Innovation ouverte et R&D interne

Les activités de R&D internes permettent aux entreprises d’établir des coopérations en recherche plus précises et profitables, y compris avec la recherche publique.
Les entreprises qui copublient avec des chercheurs académiques développent ainsi une forte capacité d’innovation. C’est ce qui explique que l’indicateur de copublications public-privé soit retenu par le Tableau de bord de l’innovation de l’UE (2014), par exemple.

Les entre­pris­es les plus inno­vantes, notam­ment dans les secteurs inten­sifs en R&D comme la phar­ma­cie, tirent par­ti de travaux de recherche, y com­pris de recherche de base, menés en interne. C’est aus­si pourquoi, même dans le con­texte de développe­ment de l’innovation ouverte depuis une quin­zaine d’années, les entre­pris­es les plus inno­vantes pour­suiv­ent des activ­ités de R&D.

Des analy­ses empiriques récentes à par­tir de don­nées français­es, néer­landais­es, cana­di­ennes ou encore ital­i­ennes mon­trent que les entre­pris­es qui ont eu des activ­ités de R&D dans un passé proche ont une prob­a­bil­ité plus forte d’introduire un pro­duit nou­veau ou d’avoir un chiffre d’affaires inno­vant plus élevé.

Les dépenses de R&D se révèlent fondamentales pour stimuler l’innovation de produit

Les dépens­es de R&D se révè­lent fon­da­men­tales pour stim­uler l’innovation de pro­duit, dans les petites ou les grandes entre­pris­es. L’intensité en R&D de l’entreprise a en out­re un impact posi­tif sur le mon­tant du chiffre d’affaires inno­vant. Une analyse sur don­nées français­es a mon­tré que les entre­pris­es qui con­duisent des travaux de R&D sont pio­nnières sur leur marché.

Or, c’est l’introduction de pro­duits nou­veaux pour le marché qui per­met d’augmenter sig­ni­fica­tive­ment les ventes de l’entreprise, l’introduction de pro­duits nou­veaux pour l’entreprise ayant un impact beau­coup plus faible.

Politiques publiques : inciter les entreprises à générer des connaissances

Au-delà de leur impact posi­tif sur les per­for­mances de l’entreprise, et donc de leur ren­de­ment privé, les dépens­es de R&D engen­drent des « exter­nal­ités pos­i­tives » (voir graphique 1).

En effet, les con­nais­sances générées se dif­fusent plus ou moins large­ment et ne peu­vent pas être totale­ment appro­priées par l’entreprise qui a con­sen­ti les investisse­ments en R&D pour sa capac­ité d’innovation.

Le rendement social des investissements en R&D est supérieur à leur rendement privé

La dif­fu­sion tech­nologique peut en par­ti­c­uli­er béné­fici­er à d’autres entre­pris­es. Les études empiriques con­fir­ment que le ren­de­ment social des investisse­ments en R&D des entre­pris­es est supérieur à leur ren­de­ment privé. Du fait de ces exter­nal­ités et mal­gré les droits de pro­priété indus­trielle, les entre­pris­es ne peu­vent s’approprier tous les béné­fices de leur activ­ité de R&D.

En con­séquence, elles ten­dent à sous-inve­stir par rap­port à ce qui serait souhaitable du point de vue de la société, réduisant ain­si le poten­tiel d’innovation. Le sou­tien pub­lic a pour objec­tif de com­penser les inci­ta­tions insuff­isantes des entre­pris­es à inve­stir dans la R&D en abais­sant le coût de ces investissements.

Avec le développe­ment des réseaux mon­di­aux d’innovation, depuis une dizaine d’années, les poli­tiques publiques ont aus­si ren­for­cé leur sou­tien aux activ­ités de R&D des entre­pris­es avec un objec­tif d’attractivité.

GRAPHIQUE 1
Impact de la R&D d’une entre­prise sur ses per­for­mances et sur ses con­nais­sances externes
Sources : élab­o­ra­tion à par­tir de la lit­téra­ture économique.

La France investit moins en R&D que l’Allemagne du fait de sa structure sectorielle

La structure sectorielle de l’économie allemande explique le différentiel d’intensité en R&D avec la France

Les analy­ses des déter­mi­nants de l’intensité en R&D privée menées dans dif­férents pays et au niveau européen con­ver­gent pour con­firmer le rôle cen­tral que joue la struc­ture de l’activité économique. Typ­ique­ment, un pays où les secteurs inten­sifs en con­nais­sance représen­tent une part impor­tante de l’activité économique aura ten­dance à avoir une inten­sité en R&D plus élevée qu’un pays où domi­nent des indus­tries peu inten­sives en R&D ou des ser­vices peu inten­sifs en connaissance.

Complémentarité des différents types d’innovation

Les entreprises qui investissent en R&D et qui sont des pionnières sur leurs marchés conduisent aussi des innovations organisationnelles et de marketing. Innovations technologiques et non technologiques ne doivent donc pas être opposées, même si les secondes sont plus fréquentes, notamment dans les services.
Une étude allemande confirme les interactions positives entre types d’innovation : les innovations marketing coïncident souvent avec des innovations de produits, et les innovations organisationnelles tendent à accompagner des innovations de procédé.

Des com­para­isons entre la France et l’Allemagne mon­trent que la struc­ture sec­to­rielle de l’économie alle­mande, avec notam­ment le poids des indus­tries de moyenne-haute tech­nolo­gie comme l’automobile, explique le dif­féren­tiel d’intensité en R&D entre les deux pays.

Le graphique 2 indique que, si le Japon, l’Allemagne et la Corée avaient la struc­ture sec­to­rielle de la moyenne de la zone OCDE, leur inten­sité en R&D privée serait sen­si­ble­ment plus faible.

Les États-Unis, la France ou les Pays-Bas sont dans une sit­u­a­tion symétrique. Leur struc­ture pro­duc­tive est plus ori­en­tée vers les ser­vices, mais cer­tains de leurs secteurs sont par­ti­c­ulière­ment inten­sifs en R&D. Avec la struc­ture sec­to­rielle moyenne des activ­ités marchan­des de la zone OCDE, la France aurait une inten­sité en R&D privée supérieure à celle de l’Allemagne.

Il s’agit bien sûr d’une sim­u­la­tion qui illus­tre l’importance de la struc­ture sec­to­rielle, mais cette dernière est en par­tie endogène et ne se décrète pas.

GRAPHIQUE 2​
Inten­sité en R&D du secteur marc­hand observée et ajustée pour la struc­ture sec­to­rielle, 2010
Don­nées 2009 pour l’Australie, l’Autriche, la Bel­gique, la Suède, les États-Unis.
Les dépens­es​de R&D sont exprimées en pour­cent­age de la valeur ajoutée. Sont exclus : immo­bili­er, admin­is­tra­tion, édu­ca­tion, activ­ités rel­a­tives à la san­té et au tra­vail social, activ­ités des ménages comme employeurs – qui n’ont en général pas d’activité de R&D.
Source : adap­té de l’OCDE (2013).

La désindustrialisation a pesé sur l’intensité en R&D des entreprises

Le poids de l’industrie man­u­fac­turière a sen­si­ble­ment régressé en France depuis une quin­zaine d’années, la struc­ture de l’économie évolu­ant en faveur des ser­vices, glob­ale­ment moins inten­sifs en R&D. La réduc­tion de la part de la valeur ajoutée de l’industrie man­u­fac­turière a été accen­tuée au cours des crises, en 2001–2002 puis 2008–2010.

Aider la prise de risques

Le risque lié à certains projets constitue une motivation complémentaire d’intervention publique pour financer les dépenses de R&D des entreprises. Ce risque peut être trop important et à trop long terme pour être assumé par un ou quelques acteurs privés dans la mesure où le financement par les marchés de ce type de projet est difficile. De plus, des phénomènes d’asymétrie d’information entre entrepreneurs et créanciers peuvent empêcher des projets de R&D pourtant rentables, d’être financés.

Le graphique 3 mon­tre que la désin­dus­tri­al­i­sa­tion aurait mécanique­ment entraîné une forte réduc­tion de l’intensité en R&D privée de la France si les entre­pris­es n’avaient pas accru leur inten­sité en R&D dans dif­férents secteurs (courbe rouge). Cela a été le cas des secteurs de haute ou moyenne haute tech­nolo­gie comme l’électronique ou l’automobile, et encore plus dans cer­tains secteurs de services.

En 2011, l’intensité en R & D privée (courbe vio­lette) a ain­si été plus élevée d’un demi-point de PIB que ce qu’elle aurait été en l’absence d’intensification de l’effort de R&D des entreprises.

Le graphique 3 sug­gère que le ren­force­ment des dépens­es de R&D des entre­pris­es présentes fait plus que com­penser l’impact de la désin­dus­tri­al­i­sa­tion à par­tir de 2008. En 2011, la R&D privée s’est élevée à 28,8 mil­liards d’euros, alors que l’effet mécanique de la défor­ma­tion de la struc­ture pro­duc­tive n’aurait généré que 17,7 mil­liards d’euros de R&D. La dif­férence se monte à 11,1 milliards.

Pour cette même année, le crédit d’impôt recherche (CIR) s’est mon­té à 5,2 mil­liards et les finance­ments directs à la R&D des entre­pris­es à 2 mil­liards. Les dépens­es de R&D des entre­pris­es ont donc été plus élevées que la somme des dépens­es sans effet d’intensification sec­to­rielle et des aides publiques de près de 4 mil­liards d’euros. Les pre­miers résul­tats pour 2012 indiquent que l’intensité en R&D a con­tin­ué de croître.

Structure de l’économie nationale et types d’activités de R&D

La structure sectorielle de la France contribue aussi à expliquer la composition des dépenses p​ar type d’activité de R&D. Les dépenses de R&D des entreprises étant largement dédiées au développement expérimental, leur plus faible part dans le total national réduit mécaniquement la part de cette composante par rapport aux activités plus en amont.
Des années 1990 jusqu’en 2008, la réduction de la part du développement expérimental dans la R&D des entreprises en faveur de la recherche appliquée a sans doute aussi été liée à la réduction de la R&D de défense.
GRAPHIQUE 3
Évo­lu­tion de l’in­ten­sité en R&D privée observée et simulée pour l’im­pact de la désin­dus­tri­al­i­sa­tion, 2001–2012
N. B. : les don­nées 2012 sont provisoires.
Source : à par­tir de don­nées MESR, DGESIP-DGRI-SIES.

Renforcer le système d’innovation pour accroître les dépenses de R&D des entreprises

L’intensité en R&D privée de la France est plus faible que celle des lead­ers en matière d’innovation que sont les États-Unis, les pays scan­di­naves, le Japon ou l’Allemagne. Mais elle est plus élevée que dans des pays par­fois con­sid­érés comme plus inno­vants, comme le Roy­aume-Uni ou les Pays-Bas.

L’intensité en R&D privée de la France ne cor­re­spond pas à celle d’un pays bien posi­tion­né dans l’économie de la connaissance.

L’intensité en R&D privée de la France est plus faible que celle des leaders en matière d’innovation

C’est pourquoi les poli­tiques publiques ont ren­for­cé le sou­tien à la R&D privée depuis une dizaine d’années, à tra­vers le fort accroisse­ment du CIR, mais aus­si à tra­vers un sou­tien ren­for­cé aux jeunes entreprises.

L’analyse descrip­tive ci-dessus sug­gère que ces aides publiques ont con­tribué à accroître les dépens­es de recherche et développe­ment des entre­pris­es. Elle con­verge ain­si avec les résul­tats d’études économétriques sur l’impact du CIR et sur les inter­ac­tions pos­i­tives entre le CIR et les pôles de com­péti­tiv­ité par exemple.

Mais, comme l’a souligné cet arti­cle, les aides publiques ne sont qu’une des com­posantes de la dynamique de la R&D privée.

Le total des investisse­ments en recherche et développe­ment des entre­pris­es dépend notam­ment du développe­ment de secteurs inten­sifs en con­nais­sance et donc de l’ensemble du sys­tème d’innovation, y com­pris la qual­ité des ressources humaines et de la recherche académique, ou encore des con­di­tions-cadres de la crois­sance de nou­velles entreprises.

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