Henri MALCOR (24)

Henri MALCOR (24), 1906–1998

Dossier : ExpressionsMagazine N°544 Avril 1999Par : André Legendre (37)

Hen­ri Mal­cor nous a quit­tés le 13 novembre 1998. Né en 1906 à Mada­gas­car où ses parents ont séjour­né quelques années, il fit ses études à Mar­seille jus­qu’en 1924 date de son entrée à l’É­cole poly­tech­nique dont il sor­tit dans le corps des Mines en même temps que Louis Armand avec lequel il avait noué des liens de très grande ami­tié. À sa sor­tie de l’É­cole des Mines il fut nom­mé au Ser­vice des Mines de Caen où il est res­té dix-huit mois.

Dès 1931 il « pan­tou­fla » à la Com­pa­gnie des Forges et Acié­ries de la Marine et Homé­court (dont le nom a été modi­fié à plu­sieurs reprises, au fur et à mesure des fusions aux­quelles elle a par­ti­ci­pé) dans laquelle il a effec­tué toute sa car­rière industrielle.

À cette époque « Marine-Homé­court » exploi­tait d’une part direc­te­ment un cer­tain nombre d’u­sines, implan­tées essen­tiel­le­ment en Lor­raine (Homé­court) et dans la Loire (Saint-Cha­mond, Onzion et Assailly), d’autre part avait dans la sidé­rur­gie et les mines de fer des par­ti­ci­pa­tions com­munes avec « Pont-à-Mous­son » et « Miche­ville » en Lor­raine (Rom­bas), au Luxem­bourg (Dif­fer­dange) et en Sarre (Dilling), enfin contrô­lait un cer­tain nombre de filiales pro­duc­trices d’a­cier, soit en amont, soit en aval.

Hen­ri Mal­cor pas­sa ses pre­mières années dans « Marine-Homé­court », d’a­bord à Homé­court puis dans la Loire à Saint-Cha­mond et Assailly comme ingé­nieur d’ex­ploi­ta­tion et en par­tie au labo­ra­toire. Il en gar­da une expé­rience tech­nique assez excep­tion­nelle par­mi ses pairs. Puis il vint à Paris en 1937 où il diri­gea un cer­tain nombre de filiales.

Mobi­li­sé fin août 1939 comme ins­truc­teur à l’É­cole d’ap­pli­ca­tion d’ar­tille­rie de Fon­tai­ne­bleau, il est appe­lé dès le 15 sep­tembre au Cabi­net du ministre de l’Ar­me­ment, Raoul Dau­try, qui le char­gea de s’oc­cu­per des aciers spé­ciaux et déci­da en avril 1940 de l’en­voyer aux États-Unis pour négo­cier l’a­chat de ces pro­duits. Hen­ri Mal­cor s’embarqua le 18 mai pour New York où se trou­vaient les mis­sions d’a­chat fran­çaise et anglaise. Au cours de ses contacts avec les indus­triels amé­ri­cains il eut l’oc­ca­sion de leur apprendre à fabri­quer des blin­dages mou­lés. Reve­nu en France, où se trou­vaient sa femme et ses quatre jeunes enfants, en octobre, il fut char­gé de gérer une filiale située dans la région pari­sienne, Saint-Cha­mond-Gra­nat, la cou­pure de la France en dif­fé­rentes zones lui inter­di­sant d’al­ler à Homé­court et com­pli­quant les contacts avec les usines de la Loire.

Pen­dant cette période il eut par ailleurs à plu­sieurs reprises l’oc­ca­sion d’al­ler en Hol­lande et en Alle­magne, en par­ti­cu­lier dans la région d’Aix-la-Cha­pelle où « Marine-Homé­court » pos­sé­dait une mine de char­bon. Ces voyages lui per­mirent de recueillir diverses infor­ma­tions, en par­ti­cu­lier en 1941 sur les pré­pa­ra­tifs d’une attaque en Rus­sie. Il put ain­si trans­mettre des ren­sei­gne­ments à la Résis­tance par son beau-frère et par Louis Armand.

Par ailleurs, le Comi­té d’or­ga­ni­sa­tion de la sidé­rur­gie se pré­oc­cu­pait de la pré­pa­ra­tion de l’a­ve­nir de cette indus­trie et son pré­sident Jules Aubrun fit nom­mer Hen­ri Mal­cor pré­sident du Centre de docu­men­ta­tion sidé­rur­gique en 1943 puis le char­gea de prendre la pré­si­dence du Centre de recherche qui devint l’IR­SID (Ins­ti­tut de recherche de la sidé­rur­gie). Lorsque Louis Armand, qui diri­geait la Résis­tance-Fer, fut arrê­té fin juin 44, Hen­ri Mal­cor consa­cra l’es­sen­tiel de son temps à aider la famille de celui-ci et à obte­nir le maxi­mum d’in­for­ma­tion sur son sort jus­qu’à sa libé­ra­tion le 18 août.

Après la guerre, l’in­fluence d’Hen­ri Mal­cor sur le plan pro­fes­sion­nel s’exer­ça essen­tiel­le­ment dans les deux direc­tions suivantes :

1) la recherche à carac­tère col­lec­tif c’est-à-dire l’IR­SID ; il créa le labo­ra­toire de Saint-Ger­main-en-Laye, puis la sta­tion d’es­sais de Mai­zières-les-Metz, assu­ra le recru­te­ment de cet orga­nisme et les liens contrac­tuels avec des labo­ra­toires uni­ver­si­taires. Le déve­lop­pe­ment des agglo­mé­ra­tions de mine­rais, la dimen­sion des hauts-four­neaux et l’u­ti­li­sa­tion de la cou­lée conti­nue étaient ses prin­ci­paux objectifs ;

2) les regrou­pe­ments et les ratio­na­li­sa­tions des entre­prises sidé­rur­giques ; Hen­ri Mal­cor a été membre de la Com­mis­sion de la moder­ni­sa­tion de la sidé­rur­gie dès le 1er Plan Mon­net. Il était per­sua­dé de la néces­si­té d’une part de grou­per, pour les moder­ni­ser, les usines qui avaient beau­coup souf­fert depuis une quin­zaine d’an­nées de la crise éco­no­mique puis de la guerre et de l’oc­cu­pa­tion, et d’autre part de construire en France des grands ensembles modernes tels qu’ils exis­taient aux États-Unis, notam­ment des trains conti­nus à bandes. C’est ain­si qu’il joua un rôle essen­tiel dans la créa­tion en 1949 de Sol­lac dont les lami­noirs étaient des­ti­nés à rem­pla­cer les ins­tal­la­tions pro­duc­trices de tôles minces et de fer blanc des usines lor­raines et de Dilling, puis dans celle de Sidé­lor, consti­tuée en 1950 autour des Acié­ries de Rom­bas aux­quelles « Marine-Homé­court », « Miche­ville » et « Pont-à-Mous­son » appor­tèrent leurs usines sidé­rur­giques de Lor­raine ain­si que les mines de fer qui y étaient liées.

Lors­qu’en 1952 Léon Daum fut nom­mé repré­sen­tant de la France à la haute auto­ri­té de la CECA, Hen­ri Mal­cor lui suc­cé­da à la direc­tion géné­rale de « Marine-Homé­court » dont le pré­sident était alors Théo­dore Laurent. Cette même année vit l’ab­sorp­tion des Acié­ries de Saint-Étienne par « Marine-Homé­court », pre­mière étape du regrou­pe­ment des usines de la Loire.

Dès l’an­née sui­vante furent enga­gées les négo­cia­tions rela­tives à la consti­tu­tion de la Com­pa­gnie des ate­liers et forges de la Loire (CAFL) qui abou­tit à l’ab­sorp­tion au 1er jan­vier 1954 par les Éta­blis­se­ments Jacob-Holt­zer (Unieux) de toutes les usines de « Marine-Saint-Étienne » (nom qui résul­tait de la fusion de 1952) et de l’u­sine de Fir­mi­ny (appor­tée par les Acié­ries de Fir­mi­ny). Hen­ri Mal­cor fut nom­mé pré­sident de CAFL dont « Marine-Saint-Étienne » était le prin­ci­pal actionnaire.

Dans un second temps, en 1960, les Acié­ries de Fir­mi­ny appor­tèrent à CAFL leurs deux autres usines, les Dunes à proxi­mi­té de Dun­kerque et Saint-Ché­ly-d’Ap­cher en Lozère, et simul­ta­né­ment fusion­nèrent avec « Marine-Saint-Étienne » qui devint ain­si « Marine-Fir­mi­ny » dont Hen­ri Mal­cor prit la présidence.

Dans l’in­ter­valle, en 1958, Hen­ri Mal­cor avait été nom­mé pré­sident du Conseil de sur­veillance de Dilling, socié­té dans laquelle il inter­ve­nait déjà très direc­te­ment depuis plu­sieurs années et qu’il mar­qua for­te­ment de son empreinte. Cette nomi­na­tion inter­vint au moment de l’in­tro­duc­tion dans cette socié­té de la coges­tion, à la suite du rat­ta­che­ment de la Sarre à la Répu­blique fédé­rale d’Allemagne.

Les années 1960, très dif­fi­ciles dans l’en­semble pour la sidé­rur­gie, virent suc­ces­si­ve­ment des ratio­na­li­sa­tions dans les pro­duits longs en Lor­raine avec la créa­tion de l’u­sine de Gan­drange (Saci­lor) et la fusion Wen­del-Sidé­lor en 1967.

Enfin en 1970, pour des rai­sons finan­cières et sous la pres­sion du gou­ver­ne­ment, Hen­ri Mal­cor, sans enthou­siasme, eu égard aux ava­tars fran­co-belges du groupe Schnei­der, réa­li­sa la fusion de CAFL et de la SFAC dans Creu­sot-Loire dont il fut le pre­mier président.

Hen­ri Mal­cor quit­ta la pré­si­dence de « Marine-Fir­mi­ny » et de Creu­sot-Loire en 1972, et celle du Conseil de sur­veillance de Dilling en 1976.

Ses der­nières années furent attris­tées par plu­sieurs deuils fami­liaux dont le décès de son épouse sur­ve­nu en 1995.

Hen­ri Mal­cor frap­pait ses inter­lo­cu­teurs par sa sim­pli­ci­té, sa modes­tie, sa capa­ci­té d’é­coute de ceux qui venaient lui deman­der conseil, sa dis­cré­tion, son dés­in­té­res­se­ment, son sou­ci de l’in­té­rêt géné­ral, et sa grande clairvoyance.

Ser­vi par une excel­lente mémoire, une forte capa­ci­té de tra­vail et une grande rapi­di­té d’a­na­lyse et de déci­sion, il savait sai­sir les occa­sions qui se pré­sen­taient, sans aucun à prio­ri, pour faire avan­cer les pro­blèmes qu’il vou­lait résoudre.

Enfin, très culti­vé, il lisait beau­coup, sur­tout depuis qu’il avait quit­té la vie pro­fes­sion­nelle active et s’in­té­res­sait par­ti­cu­liè­re­ment à l’Histoire.

C’est le sou­ve­nir que conservent de lui tous ceux qui, à titres divers, ont eu la chance de tra­vailler auprès de lui.

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