François VALIRON (43)

François VALIRON (43) 1923–2004

Dossier : ExpressionsMagazine N°597 Septembre 2004
Par Jacques BOURDILLON (45)
Par Jean-Louis OLIVER (60)

Fran­çois Vali­ron nous a quit­tés le 16 février 2004 à l’âge de 80 ans après avoir sa vie durant ser­vi son pays et notre pla­nète de manière exem­plaire. Ren­dons d’a­bord hom­mage à sa géné­ro­si­té, à sa fidé­li­té en ami­tié et à la très grande richesse de sa per­son­na­li­té. Il fut d’a­bord et avant tout un hydrau­li­cien de très grande classe ou plu­tôt un ges­tion­naire des res­sources en eau, mais aus­si, et c’est moins connu, un amé­na­geur plu­ri­dis­ci­pli­naire et un fervent pro­mo­teur du déve­lop­pe­ment des pays du Sud. 

À sa sor­tie de l’É­cole natio­nale des ponts et chaus­sées, en 1948, il est affec­té en Tuni­sie encore sous le régime du Pro­tec­to­rat ; il y ren­contre un maître en hydrau­lique en la per­sonne de Jean Tixe­ront (19 N) qui sera son men­tor dans ce domaine, et il va s’oc­cu­per de l’hy­drau­lique tuni­sienne pen­dant près de dix ans. 

À son retour de Tuni­sie, après l’in­dé­pen­dance, il entre dans le groupe de la Caisse des Dépôts où de grands pro­jets sont en préparation. 

Fran­çois Bloch-Laî­né, assis­té de Léon-Paul Leroy (35), a en effet déci­dé que sa grande Ins­ti­tu­tion appor­te­rait sa contri­bu­tion à notre pays en pleine recons­truc­tion dans les domaines de l’a­mé­na­ge­ment et du loge­ment social. Pour y par­ve­nir, ils viennent de créer deux outils per­for­mants : la Scet et la Scic, qui, diri­gés res­pec­ti­ve­ment par Fran­çois Par­fait (42) et par Michel Saillard (48), vont modi­fier consi­dé­ra­ble­ment le visage de la France métropolitaine. 

Ayant besoin d’hommes com­pé­tents et dyna­miques, ils recrutent Fran­çois Vali­ron qui, affec­té à la Scet à Lyon, lance aus­si­tôt l’a­mé­na­ge­ment du quar­tier de la Part-Dieu. 

Mais il n’y a pas que l’Hexa­gone, le pay­sage inter­na­tio­nal s’est aus­si pro­fon­dé­ment modi­fié : la Tuni­sie et le Maroc viennent d’ac­cé­der à l’in­dé­pen­dance, le géné­ral de Gaulle reve­nu aux affaires décide d’ac­cor­der l’in­dé­pen­dance à nos anciennes colo­nies d’A­frique. Le groupe de la Caisse des Dépôts doit contri­buer à la nou­velle poli­tique de coopé­ra­tion (rue Mon­sieur), à la trans­mis­sion du savoir-faire fran­çais à l’é­tran­ger (quai d’Or­say, quai Bran­ly), enfin au déve­lop­pe­ment des dépar­te­ments et ter­ri­toires d’Outre-Mer (rue Oudi­not). Deux nou­velles filiales sont alors créées : la Sedes et la Scet Coopé­ra­tion dont est char­gé Fran­çois Valiron. 

Sa pre­mière mis­sion est la construc­tion de Nouak­chott, nou­velle capi­tale de la Mau­ri­ta­nie, dont la res­pon­sa­bi­li­té sera confiée à Jean Redon­net. Dans le même temps, il ins­talle quatre agences de la Scet-Coop : à Tunis, Abid­jan, Tana­na­rive et Pointe-à-Pitre, qui seront confiées res­pec­ti­ve­ment à Jacques Denantes (49), Ber­nard Char­py, Guy Euverte et Roger Bac. 

Jacques Bour­dillon est char­gé de créer une cin­quième agence, celle de Rabat, com­mune à la Scet-Coop et à la Sedes. Il eut la double chance de tra­vailler avec Fran­çois Vali­ron durant les années soixante (d’a­bord au titre de chef de l’a­gence du Maroc, ensuite comme son adjoint direct à Paris), puis de lui suc­cé­der lors­qu’il fut appe­lé à créer et diri­ger l’A­gence de Bas­sin Seine-Normandie. 

Jacques Bour­dillon évoque ci-après ces dix années pas­sées au ser­vice tant des pays fran­co­phones qui venaient d’ac­cé­der à l’in­dé­pen­dance, que des dépar­te­ments et ter­ri­toires d’Outre-Mer, enfin de cer­tains pays fort dési­reux de béné­fi­cier du savoir-faire fran­çais : Bré­sil, Argen­tine, Syrie, Iran, Liban… 

Pour Fran­çois Vali­ron, la Scet-Coop, c’é­tait à la fois » la Scet et la Scic, outre-mer et à l’é­tran­ger « , mais aus­si » l’a­mé­na­ge­ment rural, les mar­chés gares, les grands amé­na­ge­ments hydroa­gri­coles » : il se réfé­rait volon­tiers à la Ten­nes­see Val­ley Autho­ri­ty, et aux com­pa­gnies fran­çaises d’a­mé­na­ge­ment régio­nal (Com­pa­gnie natio­nale du Rhône, Bas-Rhône Lan­gue­doc, Canal de Pro­vence, Coteaux de Gas­cogne). Son par­ti pris était réso­lu­ment la plu­ri­dis­ci­pli­na­ri­té, d’où la pré­sence au sein de la Scet-Coop d’in­gé­nieurs (génie civil, génie rural, fores­tiers, agro­nomes), d’é­narques, de juristes et d’administrateurs. 

Son œuvre mul­ti­forme est impres­sion­nante : des loge­ments éco­no­miques un peu par­tout (notam­ment au Séné­gal, Côte-d’I­voire, Mada­gas­car, Came­roun, Mali), des opé­ra­tions d’a­mé­na­ge­ment urbain ou hydroa­gri­cole, Nouak­chott, la réno­va­tion de la ville de Pointe-à-Pitre en Gua­de­loupe, l’a­mé­na­ge­ment du lac Alao­tra, à Mada­gas­car, l’o­pé­ra­tion Yabas­si-Bafang au Came­roun, la construc­tion des uni­ver­si­tés afri­caines (notam­ment Abid­jan et Yaoun­dé), la réno­va­tion de l’in­dus­trie sucrière en Gua­de­loupe (dont la sucre­rie de Marie- Galante), le mar­ché gare de Bue­nos Aires, l’a­mé­na­ge­ment hydroa­gri­cole du Nord-Est bré­si­lien, l’a­mé­na­ge­ment de la Saba­na de Bogotá en Colom­bie. Toutes ces opé­ra­tions des plus diver­si­fiées (et il en manque), Fran­çois Vali­ron les a ini­tiées, ses suc­ces­seurs se sont atta­chés à les mener à bon terme. 

Jean-Louis Oli­ver peut ensuite témoi­gner per­son­nel­le­ment de l’in­fluence consi­dé­rable que Fran­çois Vali­ron n’a ces­sé d’exer­cer au sein de la com­mu­nau­té natio­nale et inter­na­tio­nale de l’eau, depuis le milieu des années soixante jus­qu’à aujourd’­hui. Durant plus de dix ans à la tête de l’A­gence de l’Eau Seine-Nor­man­die qu’il a créée de toutes pièces pour en faire un pro­to­type cen­tral de » l’É­cole fran­çaise de l’Eau « , il a été à la fois tech­ni­cien, finan­cier, admi­nis­tra­teur, mais sur­tout stra­tège et négo­cia­teur hors pair. Son dyna­misme vision­naire lui a per­mis de dépas­ser les cloi­son­ne­ments tra­di­tion­nels et de fédé­rer usa­gers, pro­fes­sion­nels, élus et fonc­tion­naires au sein d’ins­ti­tu­tions de bas­sin hydro­gra­phique nova­trices et efficaces. 

Homme de réflexion et d’ac­tion, Fran­çois Vali­ron était aus­si homme de cœur, très atta­ché à la cause du déve­lop­pe­ment et de la coopé­ra­tion avec les pays du Sud. 

Après avoir mis son grand talent de péda­gogue au ser­vice de l’É­cole natio­nale des ponts et chaus­sées où il a ins­ti­tué le pre­mier cours de ges­tion des eaux, il a créé en 1978, dans la ville nou­velle de Sophia-Anti­po­lis, le CEFIGRE, Centre d’é­tude et de for­ma­tion à la ges­tion des res­sources en Eau, qui devien­dra en 1991 l’Of­fice inter­na­tio­nal de l’Eau pour fusion­ner avec la Fon­da­tion de l’Eau de Limoges et l’As­so­cia­tion fran­çaise pour l’é­tude des Eaux (AFEE) à Paris. Peu après il crée le Centre d’é­tude et de recherche sur la ges­tion ration­nelle de l’En­vi­ron­ne­ment et de l’Eau (CERGRENE, deve­nu aujourd’­hui CEREVE), ins­ti­tu­tion judi­cieu­se­ment com­mune à l’ENPC et à l’ENGREF. 

De 1979 à 1983, il assume la pré­si­dence du pôle Ingé­nie­rie de la Lyon­naise des Eaux, dont la SAFEGE, l’un des pre­miers bureaux d’é­tudes fran­çais dans le domaine de l’eau au niveau inter­na­tio­nal où il déploie à nou­veau tous ses talents, aus­si bien dans l’Hexa­gone que dans de nom­breux pays étran­gers, notam­ment au Magh­reb, et en Afrique sub­sa­ha­rienne, mais aus­si en Amé­rique latine, puis bien­tôt en Asie du Sud-Est. Jean-Louis Oli­ver y fut son adjoint, puis son successeur. 

Enfin au début des années 1990, Fran­çois Vali­ron s’en­gage, à plus de 70 ans, mais tou­jours avec la même pas­sion et la même effi­ca­ci­té, dans le lan­ce­ment de l’A­ca­dé­mie de l’Eau, ins­ti­tu­tion plu­ri­dis­ci­pli­naire ori­gi­nale qui s’ouvre à toutes les spé­cia­li­tés des sciences exactes aux sciences humaines et sociales pour pro­po­ser une approche nou­velle plus » trans­ver­sale » de la ges­tion de l’eau, en France et à l’é­tran­ger. Ce fut son der­nier com­bat, dans le droit fil de toute sa car­rière, où Jean-Louis Oli­ver eut à nou­veau la chance de secon­der ce bâtis­seur infa­ti­gable, tou­jours au ser­vice de l’in­té­rêt général. 

Il est stu­pé­fiant de consta­ter aujourd’­hui le nombre et la qua­li­té des anciens élèves de l’X, fran­çais et étran­gers, répar­tis sur plu­sieurs géné­ra­tions, qui ont, d’une manière ou d’une autre, été pro­fon­dé­ment mar­qués par la forte per­son­na­li­té, la hau­teur de vue, la curio­si­té intel­lec­tuelle, la créa­ti­vi­té, alliées à la puis­sance de tra­vail et à la volon­té sans faille qui ont ani­mé Fran­çois Vali­ron jusque dans les der­niers jours de sa vie. 

Nous lui devions ce grand mer­ci pour avoir lar­ge­ment ouvert à tous de nou­veaux che­mins d’a­ve­nir très prometteurs. 

Pour hono­rer la mémoire de leur fon­da­teur com­mun, Fran­çois Vali­ron, l’A­gence de l’Eau Seine-Nor­man­die et l’A­ca­dé­mie de l’Eau ont déci­dé d’or­ga­ni­ser ensemble un col­loque met­tant en valeur les prin­ci­pales pro­blé­ma­tiques et réa­li­sa­tions qui ont illus­tré sa réflexion et son action, le ven­dre­di 25 juin 2004, à l’Ins­ti­tut océa­no­gra­phique, 195, rue Saint-Jacques, 75005 Paris.

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