CD : au piano Sokolov

Grandes et petites musiques

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°726 Juin/Juillet 2017Rédacteur : Jean SALMONA (56)

Sokolov joue Rach­mani­nov, Lud­mil­la Guil­mault et Jean-Noël Dubois jouent Erik Satie, La Créa­tion ora­to­rio de Haydn direc­tion Kara­jan et Le Roi David d’Arthur Honeg­ger par l’Orchestre de la Suisse romande. 

Il est des moments où l’on préfère écouter Siegfried Idyll plutôt que le Ring, d’autres où l’on sera plus enclin à enten­dre Un Requiem alle­mand que les Liebeslieder Walz­er, d’autres enfin où l’on sera ému par Bil­lie Hol­i­day dans Soli­tude et non par Fis­ch­er- Dieskau dans Le Roi des aulnes.

Aus­si, il n’est pas de grandes et de petites musiques : il n’y a que celle qui vous touche, sur l’instant.

PIANO

Grig­o­ry Sokolov, surnom­mé « L’inapprochable », est un des plus secrets des pianistes con­tem­po­rains, et l’objet de mul­ti­ples légen­des, dont celle selon laque­lle il con­naî­trait par cœur les numéros de série de tous les Stein­way sur lesquels il a joué. 

Au-delà de ces anec­dotes, Sokolov est un des grands maîtres de l’école russe du piano. Il se dis­tingue de ses pairs non par sa tech­nique – tous ces grands pianistes russ­es pos­sè­dent cette tech­nique d’acier – mais par son jeu intéri­or­isé, expres­sif, par­fois aérien. 

Le 3e Con­cer­to de Rach­mani­nov, l’absolu chef‑d’œuvre de sa musique pour piano, con­stitue une pierre de touche : le niveau tech­nique qu’il requiert laisse en général peu de place à l’interprétation.

CD : Œuvres de piano d'Erik SatieSokolov, lui, se joue de la tech­nique et priv­ilégie le touch­er et la couleur, dans l’enregistrement réal­isé en juil­let 1995 à l’Albert Hall de Lon­dres avec le BBC Phil­har­mon­ic dirigé par Yan Pas­cal Torte­lier1. Sur le même disque, accom­pa­g­né d’un DVD sur Sokolov, fig­ure égale­ment le Con­cer­to 23 (la majeur) de Mozart. 

On pour­rait dif­fi­cile­ment imag­in­er musique plus éloignée des jail­lisse­ments pyrotech­niques et du néoro­man­tisme du Rach­mani­nov 3 que celle des morceaux min­i­mal­istes ou bur­lesques d’Erik Satie, dont deux pianistes français, Lud­mil­la Guil­mault et Jean-Noël Dubois, jouent un flo­rilège2 : pièces con­nues comme Véri­ta­bles préludes flasques pour un chien, Esquiss­es et sketch­es mont­martrois, les Gnossi­ennes, et, moins sou­vent jouées, des pièces à qua­tre mains : Trois petites pièces mon­tées, La Belle excen­trique. Petites musiques de plaisir. 

DEUX ORATORIOS

CD : La création de Haydn par KarajanLa Créa­tion, ora­to­rio de Haydn, fig­ure par­mi ces grands chefs‑d’œuvre mon­u­men­taux intem­porels, avec Le Messie de Haen­del et la Messe en si et les Pas­sions de Bach, que l’on abor­de avec la crainte de l’académisme : et si l’on allait s’ennuyer ? C’est tou­jours le choix des solistes qui fait la différence. 

La ver­sion enreg­istrée en 1969 par Kara­jan avec le Phil­har­monique de Berlin3 en 1969 est con­sid­érée par la cri­tique comme la ver­sion de référence, et cela s’explique aisé­ment par une dis­tri­b­u­tion de rêve : Gun­du­la Janowitz, Christa Lud­wig, Diet­rich Fis­ch­er-Dieskau, Wal­ter Berry et, last but not least, Fritz Wun­der­lich (qui n’enregistra mal­heureuse­ment qu’une par­tie de l’œuvre avant de dis­paraître acci­den­telle­ment et fut rem­placé par Wern­er Krenn). 

Si l’on ajoute que les vents du Phil­har­monique sont qua­si divins, que le chœur est le Wiener Singvere­in et que la direc­tion de Kara­jan est évidem­ment grandiose, comme on pou­vait s’y atten­dre, on a tous les élé­ments d’un enreg­istrement de légende. 

CD : Le roi David d'honnegerEn 1923, Arthur Honeg­ger com­pose Le Roi David, ora­to­rio sur des psaumes bibliques conçu à l’origine pour un théâtre pop­u­laire. L’Ensemble vocal de Lau­sanne et l’Orchestre de la Suisse romande, dirigés par Daniel Reuss, vien­nent de l’enregistrer avec qua­tre solistes et un réc­i­tant4, dans la ver­sion d’origine avec 17 instru­ments (et non tout l’orchestre) dont des instru­ments à vent, un har­mo­ni­um, une con­tre­basse, un piano, un céles­ta, des percussions. 

On redé­cou­vre enfin aujourd’hui, avec Le Roi David, la musique d’ Honeg­ger, longtemps con­tenue sous la chape de plomb que fai­saient peser sur les com­pos­i­teurs du Groupe des Six, les mol­lahs de la musique sérielle : une musique très inven­tive, d’une grande audace har­monique, puis­sante et fraîche à la fois, alter­nant tonal­ité et qua­si-atonal­ité, des­tinée à émou­voir par-dessus tout – et qui y parvient. 

Petite musique, grande musique ? 

______________________________________
1. 1 CD + 1 DVD Deutsche Grammophon
2. 1 CD TRITON
3. 2 CD Deutsche Grammophon
4. 1 CD MIRARE

Poster un commentaire