Après la fête

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°612 Février 2006Rédacteur : Jean SALMONA (56)

En musique, comme en gas­tro­no­mie – deux arts bien proches – la satié­té est le dan­ger qui guette l’amateur trop gour­mand. Après une période d’excès, le sage s’impose un régime comme une péni­tence, et, alors qu’il comp­tait s’ennuyer, il y découvre par­fois des plai­sirs nouveaux.

Rebel

Dans la musique baroque, le pire côtoie le meilleur. Comme dans tous les domaines, le culte de la musique ancienne a géné­ré ses fon­da­men­ta­listes et ses aya­tol­lahs, dont la rigueur dog­ma­tique nous insup­porte. Mais il a aus­si don­né nais­sance à des petits ensembles de musi­ciens joyeux, libres et sub­tils, comme “ L’Assemblée des Hon­nestes Curieux ”, qui vient d’enregistrer six Sonates pour vio­lon et basse conti­nue de Jean-Fer­ry Rebel1. Rebel, a dit un chro­ni­queur du Grand Siècle, a mis dans ses sonates “ le feu ita­lien (…) tem­pé­ré par la sagesse et la dou­ceur fran­çaises ”, et, sur­tout, il a été un créa­teur à l’innovation auda­cieuse. Cha­cune de ces sonates est comme une épure raf­fi­née et com­plexe, et le phra­sé très recher­ché, aux inflexions sen­suelles, de la vio­lo­niste Aman­dine Beyer (dont on avait signa­lé ici les sonates de CPE Bach) est un élé­ment majeur de notre plaisir.

Trombone

Le trom­bone, qui est un des piliers des ensembles de jazz – et pas seule­ment dans le jazz tra­di­tion­nel – est rare­ment soliste en musique clas­sique. Tom­my Dor­sey, dont l’orchestre de jazz tem­pé­ré a fait, comme celui de Glenn Mil­ler, les beaux jours du Broad­way des années qua­rante, avait été le dédi­ca­taire et le créa­teur d’un Concer­to pour trom­bone et orchestre com­man­dé par Leo­pold Sto­kows­ki au com­po­si­teur de musiques de film Natha­niel Shil­kret, concer­to retrou­vé récem­ment et enre­gis­tré par le Sué­dois Chris­tian Lind­berg2 et l’Orchestre Sym­pho­nique de Sao Pau­lo. C’est une musique cha­leu­reuse et agréable, dans la lignée directe de celle de Ger­sh­win, ins­pi­rée du jazz au pre­mier degré (et non subli­mé comme chez Ravel, Mil­haud ou Stra­vins­ki). Sur le même disque figurent deux œuvres tou­jours tonales mais plus ambi­tieuses, le Concer­to pour trom­bone et orchestre “Le retour de Kit Bones” de Fre­drik Hök­berg, pièce inté­res­sante qui reven­dique son appar­te­nance au monde de la musique de film, et Heli­kon Wasp pour trom­bone et orchestre de Chris­tian Lind­berg, très jolie pièce bien ryth­mée et pleine d’humour (ama­teurs de musique céré­brale s’abstenir).

DVD Richard Strauss

Les opé­ras de Strauss sont une sin­gu­la­ri­té dans la musique du xxe siècle : ils sont faits avant tout pour plaire à l’auditeur, ils se réclament de l’héritage du xviiie siècle plus que du Roman­tisme, ils font appel à des libret­tistes majeurs (Von Hof­manns­thal, Zweig), et, sans l’once d’une recherche for­melle, qu’ils soient drôles, tendres, ou tra­giques, ils déclenchent l’enthousiasme de l’amateur éclai­ré comme celui du béotien.Comme la mise en scène et l’appareil théâ­tral jouent un rôle essen­tiel dans les opé­ras de Strauss, le DVD en est le sup­port idéal, si le met­teur en scène est de qua­li­té et les solistes de vrais acteurs. Ain­si, la publi­ca­tion en DVD de l’enregistrement public au Fes­ti­val de Salz­bourg, en 1992, de La Femme sans Ombre, sous la direc­tion de Georg Sol­ti avec le Phil­har­mo­nique de Vienne et des solistes par­mi les­quels Tho­mas Moser, Che­ryl Stu­der, Eva Mar­ton3, est un modèle du genre. Mais la palme revient à cet égard à Capric­cio, don­né au Palais Gar­nier il y a peu, et que cer­tains d’entre vous ont peut-être eu la chance de voir sur la chaîne Mez­zo, fil­mé in situ. Der­nier opé­ra de Strauss, c’est aus­si son chef‑d’œuvre abso­lu, une musique exquise, un “ caprice ” digne du siècle des Lumières sur la créa­tion en art ; et la beau­té de Renée Fle­ming et d’Anne Sophie von Otter (et leurs voix, bien sûr), une mise en scène pro­pre­ment géniale, qui s’appuie non seule­ment sur le dis­po­si­tif scé­nique de Gar­nier mais sur les esca­liers, le foyer, etc., font de cet adieu à la musique une perle rare que seul l’enregistrement numé­rique a ren­du pos­sible (dis­po­nible depuis peu dans le commerce).

_________________________________
1. 1 CD ZIGZAG ZZT051102.
2. 1 SACD BIS 1448.
3. 2 DVD sur­round DECCA 071 425 9.

Poster un commentaire