CD : Chansons polyphoniques françaises par l’Ensemble Léonor dirigé par Marielle Cafafa

Paresse ou tension ?

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°734 Avril 2018Rédacteur : Jean SALMONA (56)

Pour une écoute décon­trac­tée : Poly­pho­niques fran­çaises, Ara­rat musiques armé­niennes, Motets à trois voix d’hommes et symphonies.
Pour une écoute atten­tive : Des Kna­ben Wun­de­rhorn et la 7e Sym­pho­nie de Mahler 

Il est deux façons d’écouter une musique chez soi : l’écoute pas­sive, molle, où l’on se laisse péné­trer par la musique sans cher­cher à l’analyser, et l’écoute active, ten­due, avec ou sans la par­ti­tion, où l’on per­çoit chaque mesure comme une infor­ma­tion nou­velle, en cher­chant à dis­tin­guer chaque pupitre et même, en musique de chambre, dans un qua­tuor par exemple, chaque ins­tru­ment (on pas­se­ra sous silence l’écoute en musique de fond, en pra­ti­quant une autre occu­pa­tion, qui est à la musique ce que le fast food est à la gastronomie). 

L’écoute active n’est pas pure­ment intel­lec­tuelle : elle per­met tout de même d’embrasser une ligne mélo­dique et de jouir sen­suel­le­ment d’une œuvre. 

POUR UNE ÉCOUTE DÉCONTRACTÉE

Quel joli disque ! L’Ensemble Léo­nor diri­gé par Marielle Cafa­fa vient d’enregistrer vingt Chan­sons poly­pho­niques fran­çaises du début du XXe siècle1, musiques de plai­sir pur. Les auteurs des poèmes vont de Charles d’Orléans, Marot, d’Aubigné, à Apol­li­naire, Paul Fort, Cendrars. 

Les musiques sont de Rey­nal­do Hahn, Pou­lenc, Ravel, Saint-Saëns, Debus­sy, et aus­si de com­po­si­teurs à décou­vrir comme Lan­glais, Pillois, Lad­mi­rault, Chailley, l’exquise Angèle Ravizé. 

Une belle illus­tra­tion de ce qui aura été l’âge d’or de la musique tonale fran­çaise, éla­bo­rée, sub­tile, mais faite d’abord pour le plai­sir de l’écoute.

CD : Ararat, musiques arméniennes par l’ensemble Canticum Novum dirigé par Emmanuel BardonCD : Motets à trois voix d’hommes et symphonies par l’Ensemble Sébastien de BrossardSous le titre Ara­rat, c’est un flo­ri­lège de musiques armé­niennes qu’interprète l’ensemble Can­ti­cum Novum diri­gé par Emma­nuel Bar­don2.

Il s’agit de chants popu­laires, de musiques reli­gieuses, de can­tiques, de suites de Xe au XIXe siècle, aux­quels s’ajoutent deux romances judéo-espagnoles. 

L’ensemble com­prend, outre les voix, des ins­tru­ments tra­di­tion­nels dont duduk, oud, kamant­cha, vièle, lyre, nyckel­har­pa. Dépas­sé le dépay­se­ment dû à l’exotisme (au sens propre), on se prend au charme indé­fi­nis­sable et à l’étrange dou­ceur de cette musique dia­spo­rique, qui mérite la découverte. 

CD : Wonderful Town de Leonard Bernstein rééditée, dirigée par Simon RattleLouis-Nico­las Clé­ram­bault, « sur­in­ten­dant des Concerts par­ti­cu­liers de Madame de Main­te­non », a lais­sé une œuvre abon­dante dont l’édition des Motets à trois voix d’hommes et sym­pho­nies par l’Ensemble Sébas­tien de Bros­sard3 donne une bonne idée. 

C’est une musique très éla­bo­rée, carac­té­ris­tique du Grand Siècle, et qui s’écoute avec plai­sir comme on laisse fondre dans sa bouche une oublie fragile. 

Leo­nard Bern­stein, l’un des cinq ou six très grands chefs d’orchestre du XXe siècle, a été un com­po­si­teur pro­li­fique : musique sérieuse, musique de film, comé­dies musi­cales dont Won­der­ful Town est réédi­tée, diri­gée par Simon Rat­tle à la tête du Bir­min­gham Contem­po­ra­ry Music Group avec une pléiade de solistes4.

C’est de la jolie, de la joyeuse musique de varié­tés qui valut à la comé­die musi­cale 553 repré­sen­ta­tions consé­cu­tives à Broad­way au début des années 50. 

À ÉCOUTER AVEC UNE GRANDE ATTENTION

War­ner réédite un enre­gis­tre­ment de légende : Des Kna­ben Wun­de­rhorn de Mah­ler, par Eli­sa­beth Schwarz­kopf, Die­trich Fischer-Dies­kau et le Lon­don Sym­pho­ny Orches­tra diri­gé par George Szell (1968)5.

Ce cycle de mélo­dies a une place à part dans l’oeuvre de Mah­ler. Moins connu que les Kin­der­to­ten­lie­der ou Le Chant de la Terre, il est à l’origine de plu­sieurs sym­pho­nies dont les connais­seurs de Mah­ler recon­naî­tront des thèmes dans cer­tains de ces lie­der. Écrit sur des poé­sies popu­laires appré­ciées par Goethe, paraît-il, il pour­rait être léger. 

En réa­li­té, l’orchestration et aus­si l’interprétation très tra­vaillée de ceux qui auront été, selon les cri­tiques de l’époque, « les deux plus grands chan­teurs de lie­der du monde » font de ce disque une petite merveille. 

La 7e Sym­pho­nie, stric­te­ment ins­tru­men­tale, est la plus étrange des sym­pho­nies de Mah­ler – qui la consi­dé­rait comme la meilleure des 7 premières. 

CD : réédition Des Knaben Wunderhorn de Mahler par le London Symphony Orchestra dirigé par George SzellCD : 7e Symphonie de Malher au Royal Concertgebouw Orchestra par Mariss JansonsAprès un pre­mier mou­ve­ment d’une écri­ture très com­plexe et nova­trice, deux très beaux Noc­turnes, dont l’un reprend le thème d’un lied du Kna­ben Wun­de­rhorn, encadrent un Scher­zo dia­bo­lique et la sym­pho­nie se ter­mine par un Finale de tous les excès. 

Mariss Jan­sons est un des grands chefs mah­lé­riens d’aujourd’hui. Il a enre­gis­tré cette sym­pho­nie en concert fin 2016, à la tête du Royal Concert­ge­bouw Orches­tra6.

L’interprétation de cet orchestre au timbre unique et de ce chef exi­geant et pré­cis est un som­met. Renon­cez à écou­ter ce disque d’une oreille dis­traite : dès les pre­mières notes, vous serez accro­ché aux accou­doirs de votre fauteuil. 

Vous sor­ti­rez de cette écoute épui­sé et sub­ju­gué, avec l’impérieux besoin d’un verre d’un très bon pur malt… et la réso­lu­tion de recom­men­cer dès que possible. 

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1. 1 CD Ensemble Léonor
2. 1 CD Ambronay
3. 1 CD Paraty
4. 1 CD Warner
5. 1 CD Warner
6. 1 CD RCO

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