Giuseppe Verdi : Don Carlo

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°702 Février 2015Par : Festival de Salzbourg, Jonas Kaufmann, Anja Harteros, Orchestre philharmonique de Vienne, direction Antonio PappanoRédacteur : Marc DARMON (83)Editeur : 1 DVD ou un Blu-Ray SONY88843005779

Don Car­lo (Don Car­los dans la ver­sion ori­gi­nale en fran­çais pour l’Opéra de Paris) est un opé­ra colos­sal de Ver­di, très insuf­fi­sam­ment valorisé.

Le drame de Schil­ler (1787) dont il s’inspire est déjà à l’origine d’une très grande force dra­ma­tique : l’infant d’Espagne Car­los, pro­mis à Éli­sa­beth de Valois, fille du roi de France Hen­ri II, se voit dépos­sé­dé de sa pro­mise par son père le roi d’Espagne Phi­lippe II, fils de Charles Quint.

Les deux jeunes prince et prin­cesse ont eu le temps de se jurer amour éter­nel avant qu’Élisabeth ne devienne la belle-mère de l’infant.

Mais l’intrigue clas­sique d’amour contra­rié et d’adolescence rebelle se déroule en sur­im­pres­sion d’une situa­tion poli­tique com­plexe : révolte des Flandres, influence déter­mi­nante de l’Inquisition sur la monar­chie et la cour de Madrid, l’émancipation des grands d’Espagne.

Lors de la com­po­si­tion de l’opéra, près de quatre-vingts ans après l’oeuvre lit­té­raire, après la Révo­lu­tion fran­çaise et le Prin­temps des peuples, de nom­breux élé­ments du drame ont natu­rel­le­ment évo­lué en signi­fi­ca­tion, et les per­son­nages de Ver­di sont bien plus sub­tils que ceux de Schil­ler, trop sim­plistes et prévisibles.

Plu­sieurs ver­sions de l’opéra existent, en fran­çais ou en ita­lien. Chaque fois il faut com­men­cer par faire le choix de la ver­sion (et de la langue) qui va être mon­tée. La ver­sion en ita­lien pro­duite et fil­mée au fes­ti­val de Salz­bourg en août 2013 est très com­plète, en 5 actes (et donc quatre heures).

Notam­ment le pre­mier acte, dit « de Fon­tai­ne­bleau », est abso­lu­ment com­plet, avec même un chœur ini­tial de dix minutes rare­ment don­né (cou­pé avant la créa­tion), qui per­met de mieux com­prendre l’importance de la paix entre la France et l’Espagne, et le choix du sacri­fice d’Élisabeth qui accepte d’épouser le roi au lieu de l’infant, pour sau­ver la paix et les pauvres de France.

La dis­tri­bu­tion est idéale. Anja Har­te­ros, la sopra­no la plus deman­dée aujourd’hui (sauf à Paris !), et Jonas Kauf­mann, ténor qui enchaîne suc­cès sur suc­cès (Par­si­fal, Wer­ther) forment un couple qui se retrouve régu­liè­re­ment dans les plus grandes pro­duc­tions d’opéra, comme Netreb­ko-Vil­la­zon il y a dix ans et Ala­gna-Gheor­ghiu il y a quinze ans.

Ils sont magni­fiques, alter­nant noblesse du chant (et des sen­ti­ments) et déchi­re­ment. Mat­ti Sal­mi­nen, grande basse fin­lan­daise désor­mais en fin de car­rière, campe un Phi­lippe II auto­ri­taire, mémo­rable dans son célèbre mono­logue « Elle ne m’aime pas » et dans son air de lamen­ta­tions pour la mort du mar­quis de Posa, où l’on trouve les thèmes que Ver­di réuti­li­se­ra dans le Lacry­mo­sa du Requiem, com­po­sé cinq ans plus tard.

Le célèbre bary­ton Tho­mas Hamp­son est remar­quable en Posa, l’ami et confi­dent de l’infant (et du roi), un rôle extrê­me­ment com­plexe où se sont illus­trés les plus grands (Fischer- Dies­kau, Cap­puc­cil­li, Gob­bi). La mez­zo qui chante Ebo­li est moins célèbre que les quatre stars pré­cé­dentes, mais ne démé­rite pas.

Les cinq artistes prin­ci­paux sont excel­lents et ont de plus par­fai­te­ment les phy­siques de leurs rôles, ce qui, avec les cos­tumes réa­listes mais élé­gants de la pro­duc­tion de Peter Stein, rend le spec­tacle abso­lu­ment cré­dible et donc poignant.

Notons éga­le­ment des coif­fures et cos­tumes par­faits, par exemple les Dames d’Espagne font en per­ma­nence pen­ser aux tableaux de Vélas­quez. Et la beau­té de la pro­duc­tion est ren­for­cée par les très beaux décors (par exemple la forêt de Fon­tai­ne­bleau où a lieu la pre­mière ren­contre des amants, le tom­beau de Charles Quint tou­jours han­té par le vieil empereur).

L’orchestre (le Phil­har­mo­nique de Vienne !) est superbe, diri­gé avec contraste et finesse par Anto­nio Pap­pa­no, le chef d’opéra le plus actif ces der­niers temps, et qui enre­gistre le plus. Rare­ment, vous l’avez com­pris, un opé­ra aura été ain­si ser­vi, avec une dis­tri­bu­tion idéale, des décors et des cos­tumes par­faits et d’une très grande beau­té, et une mise en scène riche et passionnante.

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