Ginette : pour un humanisme compétitif

Dossier : Les prépasMagazine N°703 Mars 2015
Par Michel BERRY (63)

Afin de main­tenir un équili­bre de vie – le prin­ci­pal risque d’addiction sem­blant être le tra­vail – et de favoris­er le développe­ment per­son­nel, des rôles orig­in­aux ont été créés pour assur­er un suivi indi­vidu­el et col­lec­tif et met­tre en œuvre la « core­spon­s­abil­ité », con­cept qui résume la nature des rela­tions au sein de l’École.

REPÈRES

Ginette est un établissement privé sous contrat d’association. La rémunération des enseignants, essentiellement des agrégés du public, est prise en charge par l’État.
Avec ses 880 élèves (prépas scientifiques, commerciales et agro-véto), elle équilibre ses comptes avec des droits de 11 000 € par an pour des élèves en pension complète. Pour éviter que l’argent soit un obstacle, une péréquation a été mise en place ainsi que des bourses et des prêts d’honneur.
Le prix annuel effectif varie ainsi de 17 650 € à 5 700 €. Pour les provinciaux (plus de 50 % des élèves) et les élèves venant de l’étranger (environ 15 %), cela dispense du paiement d’un loyer en région parisienne.
Soixante places d’internat de la réussite viennent d’être créées, offrant une gratuité totale à des élèves de familles aux ressources modestes : elles sont financées par la solidarité des anciens élèves.

Le préfet des études

Le préfet est une spé­cial­ité des étab­lisse­ments sco­laires jésuites. Comme un directeur des études, il ani­me les activ­ités péd­a­gogiques, mais sa fonc­tion va bien au-delà : études, san­té, équili­bre de vie.

“ Chaque élève se voit chargé d’une responsabilité au service de la classe ”

Il s’entretient pour cela de façon sys­té­ma­tique trois ou qua­tre fois par an avec chaque élève ; ce sont les « colles préfet » (chaque préfet accom­pa­gne autour de 300 élèves).

Il ren­con­tre tous les quinze jours le bureau de cha­cune de ses class­es, appelé bur­al, petit con­seil de direc­tion. Il com­prend qua­tre élèves per­ma­nents, le PB (père du bur­al) ou la MB (mère du bur­al), respon­s­ables de la classe ; le rab et la rabi­nette qui font le lien avec l’aumônerie ; le chargé du tra­vail qui s’occupe du col­lo­scope, cal­en­dri­er des inter­ro­ga­tions orales.

En dehors de ces qua­tre charges prin­ci­pales, il en existe beau­coup d’autres, chaque élève se voy­ant chargé d’une respon­s­abil­ité au ser­vice de la classe. En deux­ième année, le respon­s­able de la classe prend le nom de « Z », car il a aus­si une respon­s­abil­ité sur la « pré­pa », qui asso­cie une classe de deux­ième année et une classe de pre­mière année.

Le directeur de la vie étudiante

UN ACCOMPAGNEMENT INDIVIDUEL ET COLLECTIF

La mission des aumôniers va bien au-delà de l’animation des activités spirituelles et sociales : ils ont un rôle d’accompagnement individuel et collectif des élèves pour aider chacun à grandir en humanité.
Les correspondants de l’aumônier dans chaque classe sont le rab et la rabinette, dont la première tâche est de veiller à l’ambiance de la classe et de repérer les élèves dont le moral fléchit, afin de leur apporter le soutien nécessaire.
Une heure par semaine est destinée au « rabinage » dans chaque classe de première année. C’est un moment d’activité libre en dehors de toute hiérarchie : débat, invitation de conférenciers, présentation de son pays par un élève étranger, etc.

Le directeur de la vie étu­di­ante super­vise l’internat et la vie cul­turelle. Tous les élèves sont internes, logés générale­ment par cham­bres de deux en pre­mière année et seuls en deux­ième année. Ils sont encadrés par un respon­s­able de l’internat et des sur­veil­lants, peu nom­breux (un pour une cen­taine d’élèves).

Loin d’être des « pio­ns », ceux-ci sont là pour « veiller sur » le respect des règles du bien-vivre ensem­ble et ils sont armés pour soutenir les élèves qui en ressen­tent le besoin.

Les aumôniers

Les aumôniers sont des pères jésuites ou des laïcs, des hommes comme des femmes, ils représen­tent l’équivalent de qua­tre per­son­nes à temps plein. Tous les élèves sont en rela­tion avec l’aumônerie, quelles que soient leurs ori­en­ta­tions religieuses. Les activ­ités qu’elle organ­ise sont, elles aus­si, pris­es en charge par les élèves.

L’aumônerie organ­ise bien sûr les activ­ités spir­ituelles : une messe est célébrée chaque matin avant les cours pour les courageux, et une messe domini­cale est célébrée le dimanche soir, dont l’organisation est con­fiée par roule­ment aux dif­férentes pré­pas. Chaque pré­pa dis­pose aus­si d’un créneau un soir de la semaine pour organ­is­er sa « prière prépa ».

“ Pendant le Ramadan, l’École organise le souper et l’accueil des élèves musulmans. ”

L’aumônerie organ­ise égale­ment quelques grandes célébra­tions qui ryth­ment l’année, un pèleri­nage à Chartres, ain­si que des activ­ités sociales le jeu­di après-midi. Ces activ­ités sont libres et ouvertes à tous, et y assis­tent nom­bre de non-catholiques.

Par ailleurs, pen­dant le Ramadan, l’École organ­ise le souper et l’accueil des élèves musulmans.

Une retraite de trois jours est pro­posée en fin de pre­mière année, entre le con­cours blanc et la journée con­clu­sive. C’est un moment de prise de recul qui est pré­cieux, et dif­férentes modal­ités sont pro­posées afin de répon­dre aux divers types d’attente : près des deux tiers des élèves choi­sis­sent d’y participer.

Selon les aumôniers, les années de pré­pa sont des moments d’épreuves, mais elles peu­vent être en même temps fac­teurs de crois­sance spir­ituelle, au sens large. Il s’agit d’y aider les élèves par des activ­ités col­lec­tives et des échanges personnels.

Le con­tact indi­vid­u­al­isé se fait par des « colles aumônier » deux fois dans l’année, les échanges dépas­sant le religieux. Le terme de reli­gion est ain­si pris au sens orig­i­nal re-ligere, reli­er les per­son­nes entre elles.

L’aumônerie organ­ise chaque année un pèleri­nage à Chartres.

UNE HEURE DE LIBERTÉ

Dans chaque classe, un élève est chargé d’organiser des activités culturelles, par exemple des sorties dans les musées, au concert, au théâtre. Un événement est organisé chaque mois à l’École : conférences et concerts. Un concours d’éloquence annuel mobilise les élèves et les professeurs qui sont membres des jurys.
Pour permettre aux élèves de préserver une heure de liberté pour des activités personnelles, en particulier le sport qui tient une grande place, ils déjeunent tous en même temps en vingt minutes (pas de self où il faudrait faire la queue).

Le corps enseignant

Cer­tains pro­fesseurs avaient enten­du dire, avant de pos­tuler, qu’ils devraient assis­ter à la messe tous les jours, faire le catéchisme, ou qu’ils seraient les rouages d’une machine à faire du chiffre tout en étant mieux payés.

Ils ont en fait la même rémunéra­tion que dans les lycées publics, et ils ont décou­vert un sys­tème struc­turé qui les aide dans leur mis­sion tout en respec­tant leur lib­erté. Ils peu­vent ain­si aller au-delà d’une sim­ple rela­tion péd­a­gogique, ce qui paraît très gratifiant.

“ Les prépas constituent souvent une famille de substitution pour les élèves ”

Ils ont des rela­tions con­viviales avec leurs élèves, par­tic­i­pant avec eux à des activ­ités sportives ou théâ­trales, à des ate­liers bridge ou cui­sine, sans que leur autorité ne soit entamée. Les pré­pas con­stituent sou­vent une famille de sub­sti­tu­tion pour les élèves, dimen­sion accen­tuée par le pen­sion­nat pour tous et l’importance accordée à toutes les dimen­sions de la personne.

Pour les con­cours, les préfets dis­cu­tent avec chaque élève, en rela­tion avec les pro­fesseurs, du choix des écoles qu’ils vont présen­ter. On n’accepte pas qu’un bon élève ne présente que l’X et Nor­male, il devra aus­si con­courir à Cen­trale et aux Mines. S’il n’est pas reçu à l’X mais à l’une de ces écoles, on ne le repren­dra pas en 5/2.

Pour les autres élèves, il en est de même : ils sont incités à éviter de choisir unique­ment des con­cours dif­fi­ciles pour eux.

Il reste toute­fois des 5/2, autour de 12 %. Comme ils ont déjà vu les cours et les prin­ci­paux exer­ci­ces et qu’ils con­nais­sent toutes les étapes de la sco­lar­ité, il leur est attribué des respon­s­abil­ités de représen­ta­tion et d’animation.

Les rites de travail collectif

Les élèves sont poussés à s’entraider pour les études elles-mêmes. Ils sont con­sti­tués en trinômes, réu­nis­sant un fort et deux plus faibles. Leur con­sti­tu­tion est ini­tiée par les préfets et les pro­fesseurs, qui étab­lis­sent une liste de têtes de trinômes. Ce sont ensuite les burals qui con­stituent les groupes.

Ginette à Versailles
Les années de pré­pa peu­vent être fac­teurs de crois­sance spirituelle.

Ceux-ci se réu­nis­sent deux heures par semaine, après dîn­er. Ce dis­posi­tif aide ceux en dif­fi­culté, mais aus­si les bons élèves : aider autrui à com­pren­dre est une excel­lente manière d’apprendre.

Pour les con­cours, on dit par­fois que ce ne sont pas des élèves qui passent les épreuves mais un col­lec­tif. De fait, lorsque les épreuves sont loin de Ginette, une organ­i­sa­tion col­lec­tive est mise en place. Pour le con­cours de Nor­male Cachan, l’École affrète des cars. Pour les épreuves de l’X au Parc flo­ral de Vin­cennes, les élèves réser­vent des cham­bres pour loger à plusieurs.

Cela évite la soli­tude du can­di­dat, dont le moral con­naît for­cé­ment des hauts et des bas. Après chaque oral, ils rem­plis­sent une fiche et la classent de façon à ce que leurs cama­rades puis­sent en tir­er profit .

Aupar­a­vant, ils repéraient les habi­tudes des exam­i­na­teurs et fai­saient cir­culer l’information mais main­tenant ils n’en con­nais­sent pas à l’avance le nom.

CHERCHER UN ÉQUILIBRE

Les professeurs contribuent, en relation avec les préfets et la direction, à la sélection des élèves. Celle-ci se traite sur dossiers, et l’exercice n’est pas facile car les bonnes notes ne sont pas très significatives. Les participations aux olympiades sont particulièrement appréciées car elles manifestent un goût pour la matière. Les candidats sont classés en quatre catégories, A, B, C, D.
Les A ne prêtent guère à discussion. Pour les autres, certains professeurs cherchent un équilibre. De bonnes notes en français et en philosophie laissent préjuger un esprit logique, et la différence aux concours se fait souvent sur ces matières. D’autres cherchent plutôt à privilégier de bons élèves de milieux sociaux en difficulté, ou de lycées éloignés de classes préparatoires (zones rurales), car ils savent qu’ils leur donnent une vraie chance. On cherche à éviter de recruter des élèves qui n’auraient pas le potentiel : ce serait les mettre en situation d’échec très préjudiciable pour eux.
Quand un candidat au profil intéressant mais risqué est retenu, il lui est attribué un tuteur qui va surveiller ses débuts en première année. En cas de difficultés majeures, il sera soutenu jusqu’à la fin de la première année pour avoir une équivalence et entrer à l’université en deuxième année de DEUG, si c’est la réorientation qu’il choisit. Mais ces cas sont très rares : pas plus d’un ou deux élèves sur 100 admis.

Bienveillance

Nous avons pu échang­er libre­ment avec une dizaine de Z et nous avons été frap­pés par leur adhé­sion au mod­èle, tout en ayant une grande ouver­ture d’esprit : on ne se sent pas dans un sys­tème qui organ­ise une clô­ture par rap­port à l’extérieur. D’après eux d’ailleurs, les « phénomènes », par exem­ple les sur­doués en maths, ne sont pas étouffés.

Ils ont évo­qué un cas d’élève qui s’est pris au jeu d’aider beau­coup de ses cama­rades. Il en est devenu très pop­u­laire et s’est ain­si trou­vé val­orisé. Pour ceux qui ont un prob­lème rela­tion­nel, il sem­blerait que la bien­veil­lance des rap­ports les aide à s’ouvrir.

Il se crée à Ginette des liens d’amitié pro­fonde qui per­durent bien au-delà du temps de la prépa.

Savoir jouer collectif

Ce dis­posi­tif con­vient man­i­feste­ment à beau­coup d’élèves dans un moment dif­fi­cile de leur vie et à un âge où l’on cherche la con­vivi­al­ité. Il n’est pas sûr qu’il soit adap­té à tous.

Du reste, lors des recrute­ments, l’importance du col­lec­tif est pré­cisée aux can­di­dats, afin que ceux qui préfèrent vivre de façon indi­vidu­elle ne pos­tu­lent pas à Ginette.

Récipro­que­ment, il est recom­mandé aux élèves de Ginette qui intè­grent une grande école de ne pas trop affich­er leur adhé­sion à leur précé­dent col­lec­tif, car cela pour­rait indis­pos­er cer­tains de leurs nou­veaux camarades.

Distractions à Ginette
Il se crée à Ginette des liens d’amitié pro­fonde qui dépassent la pré­pa.

LES « GROUPES DE PÂQUES »

Un moment fort de travail collectif est le déroulement des « groupes de Pâques », soit peu avant les concours. Les élèves se regroupent par quatre ou cinq dans une maison pouvant les loger tous.
Pendant deux semaines, le rythme est le suivant : composition de 7 h 30 à 11 h 30, débriefing de 11 h 30 à 12 h 30. Déjeuner, puis révisions personnelles l’après-midi avant de prendre une pause tous ensemble à une heure choisie par le « maître du temps », qui gère le timing des activités.
Après dîner, café littéraire où l’on discute des œuvres au programme.

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