Fusions et acquisitions : rapprocher les hommes avant de rapprocher les entreprises

Dossier : L'AllemagneMagazine N°531 Janvier 1998Par : Pierre De BARTHA et Jochen-Peter BREUR, JPB – La Synergie franco-allemande

Hambourg, en Allemagne
Ham­bourg © OFFICE NATIONAL ALLEMAND DE TOURISME

Beau­coup d’en­tre­pris­es français­es en ont fait la mal­heureuse expéri­ence. Prin­ci­pale rai­son : nous sommes ici en présence de deux mon­des que tout oppose d’un point de vue cul­turel : édu­ca­tion, his­toire, reli­gion, etc. Certes, ces diver­gences ne sont pas respon­s­ables de tous les prob­lèmes. La coopéra­tion est déjà assez dif­fi­cile entre deux sociétés du même pays. Plusieurs fac­teurs déter­mi­nants et indépen­dants ont en effet une inci­dence directe sur l’is­sue d’un rap­proche­ment : cul­ture de l’en­tre­prise (méti­er, valeurs et styles de man­age­ment), per­son­nal­ité des respon­s­ables (affinités, ger­manophiles, francophiles).

Sans oubli­er les mécan­ismes mêmes d’une coopéra­tion qui sont val­ables dans le monde entier comme la peur de l’autre ou la ten­ta­tion d’obtenir un peu plus que lui. En fait, les dif­férences inter­cul­turelles ont un effet catal­y­seur, car elles accentuent les dif­fi­cultés d’une coopéra­tion. L’in­ter­dépen­dance de ces élé­ments ne crée donc pas un ter­rain favor­able d’un point de vue rela­tion­nel ; les Français se méfient des Alle­mands… et les Alle­mands se méfient des Français.

Et la méfi­ance est l’en­ne­mie numéro un de la pro­duc­tiv­ité. Tout comme les préjugés. Résul­tat, lorsqu’une entre­prise française prend le con­trôle d’une société alle­mande, les attaques et les reproches fusent de part et d’autre (voir encadré 1 les reproches clas­siques des maisons mères français­es et des fil­iales allemandes).

Encadré 1

Les reproches clas­siques des maisons mères françaises

Les reproches clas­siques des fil­iales en Allemagne.

  • Pes­simisme : “ils en font des montagnes”
  • Manque d’en­ver­gure : les objec­tifs ne sont pas assez ambitieux
  • Arrière-pen­sées : “que se cache-t-il der­rière ces nom­breuses justifications ?”
  • Ton pro­fes­so­ral : “les Alle­mands veu­lent nous mon­tr­er qu’ils sont les meilleurs !”
  • Quête d’indépen­dance : “le man­age­ment alle­mand veut plus de pou­voir, à nous de repren­dre la sit­u­a­tion en main !”
  • Trop de détails : “nous dis­cu­tons sans cesse de sujets mineurs !”
  • Rigid­ité : “les Alle­mands s’en tien­nent à leurs procé­dures au lieu de s’adapter aux nou­velles circonstances !”
  • Pré­textes : “les Alle­mands se ser­vent de lois et de normes pour éviter d’exé­cuter nos instructions !”
  • Manque de rigueur : les straté­gies français­es man­quent de prag­ma­tisme et de réalisme
  • Assu­jet­tisse­ment : pas d’e­sprit de parte­nar­i­at ; “les Français ne veu­lent que des col­lab­o­ra­teurs qui dis­ent tou­jours oui !”
  • Trop de général­istes : manque de con­nais­sances spé­cial­isées et mécon­nais­sance de notre marché
  • Pas de con­fi­ance : “nos sug­ges­tions ne sont même pas pris­es en considération”
  • Cen­tral­isme et dirigisme : “les Français déci­dent à dis­tance sans même nous consulter”
  • Pas de con­ti­nu­ité : les straté­gies et déci­sions sont sans cesse remis­es en cause
  • Manque de clarté : déf­i­ni­tion insuff­isante des attri­bu­tions, tâch­es et flux d’information
  • “Réorganomanie” : “nos inter­locu­teurs changent sans cesse !”
  • État d’ur­gence per­ma­nent : actions de dernière minute, faute de plan­i­fi­ca­tion et de coordination


Pour éviter qu’une coopéra­tion tourne à la cat­a­stro­phe, mieux vaut donc avoir une con­nais­sance pro­fonde des valeurs, des idées pré­conçues et des moti­va­tions du parte­naire avant l’ac­qui­si­tion d’une entité alle­mande, en d’autres ter­mes, se pré­par­er à éviter les sept péchés cap­i­taux (encadré 2).

Encadré 2

Les sept péchés cap­i­taux des entre­pris­es français­es lors de l’acquisition de sociétés allemandes

  • 1. Focal­i­sa­tion sur les aspects tech­niques de l’intégration : sous-estimer les fac­teurs cul­turels et relationnels
  • 2. Pilotage intu­itif et réac­t­if : non-for­mal­i­sa­tion de l’organisation nou­velle et absence d’un véri­ta­ble man­age­ment de la coopération
  • 3. Non-respect du rôle des syn­di­cats : ne pas jouer le jeu de la cogestion
  • 4. Dirigisme et cen­tral­isme : démo­tiv­er les Alle­mands par une “non-con­cer­ta­tion ” et un manque de délé­ga­tion de pouvoirs
  • 5. Pas de trans­parence : absence de com­mu­ni­ca­tion interne et externe
  • 6. Change­ments per­pétuels : volte-face stratégiques, remise en cause de déci­sions et de pro­jets engagés, change­ments d’interlocuteurs…
  • 7. État d’urgence per­ma­nent : pres­sion con­stante et change­ments de dernière minute

On a trop sou­vent ten­dance à ignor­er que le sort d’une coopéra­tion se joue aus­si bien au niveau de la réal­ité matérielle que de la réal­ité immatérielle. Der­rière la réal­ité matérielle, on trou­ve les con­traintes de marché, les poten­tiels financiers et struc­turels. La réal­ité immatérielle ren­ferme quant à elle tout le vécu et le quo­ti­di­en de la coopéra­tion, c’est-à-dire les moti­va­tions, les com­porte­ments, les idées pré­conçues ou encore les incom­pat­i­bil­ités rela­tion­nelles des uns et des autres.

L’ex­péri­ence prou­ve que cette dimen­sion affec­tive et humaine l’emporte tou­jours sur la réal­ité matérielle et influ­ence au moins autant le suc­cès d’une coopéra­tion que la tech­nolo­gie et la qual­ité d’un pro­duit. Il faut rap­procher les hommes avant de rap­procher les entre­pris­es. Si la plu­part des respon­s­ables sont con­scients de ces dif­férences cul­turelles et de style de man­age­ment, ils ne parvi­en­nent pas à en maîtris­er les effets. Pire encore, les con­séquences sont sou­vent sous-estimées et cachées par une hyper­ac­tiv­ité pour tenir les plannings.

Un con­seil extérieur peut alors aider à sur­mon­ter ce cap cul­turel. Sa mis­sion est triple : iden­ti­fi­er et analyser les dys­fonc­tion­nements rela­tion­nels ; aider les entre­pris­es à com­pren­dre et à accepter leurs diver­gences cul­turelles et man­agéri­ales et accom­pa­g­n­er la mise en place de véri­ta­bles synergies.

Mais, atten­tion, en aucun cas, le con­sul­tant ne doit impos­er un mod­èle d’or­gan­i­sa­tion ou de stratégie car celui-ci sera vécu comme une con­trainte générale­ment boy­cottée par les pro­tag­o­nistes. Par con­tre, si, véri­ta­ble médi­a­teur, il exprime tout haut et for­malise les non-dits et les rancœurs avec la plus grande neu­tral­ité, une fois le pas­sif his­torique déminé, la con­fi­ance est établie et les prob­lèmes de fond pour­ront alors être réglés.

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