Banques allemandes et françaises : le poids du passé, la dynamique du futur

Dossier : L'AllemagneMagazine N°531 Janvier 1998
Par Michel PÉBEREAU (61)

I — L’héritage du passé : similitudes et différences

1. Des similitudes dans l’organisation des systèmes bancaires

I — L’héritage du passé : similitudes et différences

1. Des similitudes dans l’organisation des systèmes bancaires

Dans les deux pays, les acteurs du marché ban­caire sont mul­ti­ples. En France, trois groupes d’étab­lisse­ments, mem­bres de l’As­so­ci­a­tion française des ban­ques (AFB), ban­ques mutu­al­istes et caiss­es d’é­pargne se parta­gent, pra­tique­ment à parts égales, le marché des dépôts. Pour les crédits et les prêts, les insti­tu­tions finan­cières spé­cial­isées (IFS) — comme le Crédit Nation­al, le Crédit Fonci­er, la BDPME — jouent un rôle assez important.

À l’in­star de l’évo­lu­tion observée dans d’autres pays, les dif­férences entre les caté­gories d’étab­lisse­ments de crédit ten­dent à s’estom­per, car chaque groupe cherche à élargir sa gamme d’ac­tiv­ités tout en voy­ant ses parts de marché se restrein­dre dans les domaines où jadis il était dom­i­nant (cf. tableaux ci-après).

Une présence très dense car­ac­térise les sys­tèmes ban­caires du con­ti­nent européen, par oppo­si­tion au sys­tème bri­tan­nique : en ter­mes d’a­gences par mil­lion d’habi­tants, la France se situe juste en dessous de la moyenne européenne (462) alors que l’Alle­magne se situe sen­si­ble­ment plus haut (653) ; le Roy­aume-Uni, pour sa part, est net­te­ment plus bas (329).

Le con­cept de banque uni­verselle s’ap­plique dans les deux pays : la licence ban­caire ouvre le droit d’ex­ercer toutes les opéra­tions ban­caires et finan­cières. Les ban­ques com­mer­ciales alle­man­des, comme leurs homo­logues français­es, peu­vent offrir tous les pro­duits et ser­vices ban­caires : col­lecte de l’é­pargne et dis­tri­b­u­tion de crédits, inter­ven­tions sur les marchés financiers, à la fois pri­maires et sec­ondaires, con­seils à la clien­tèle. Il n’y a donc pas de dis­tinc­tion, comme aux États-Unis, entre ban­ques d’in­vestisse­ment (ban­ques de marché) et ban­ques de dépôt.

2. Des différences notables dans les relations avec la clientèle

a) Vis-à-vis de la clien­tèle des entre­pris­es, la pra­tique de la banque uni­verselle en Alle­magne con­duit à un con­cept orig­i­nal : l’Haus­bank, la banque mai­son. Les entre­pris­es alle­man­des entre­ti­en­nent avec leur banque, sou­vent unique, des rela­tions suiv­ies de parte­nar­i­at et lui con­fient la plu­part de leurs opérations.

À pre­mière vue, le sys­tème alle­mand sem­ble plus éparpil­lé, avec quelque 4 000 étab­lisse­ments de crédit (con­tre 1 600 en France). Toute­fois, on peut aus­si regrouper ces étab­lisse­ments en qua­tre ensem­bles assez homogènes :

  • les ban­ques com­mer­ciales privées, avec plus de 7 000 suc­cur­sales et agences, com­pren­nent à côté des trois grandes dont la créa­tion remonte à 1871, au moment de la créa­tion de l’É­tat alle­mand (Deutsche Bank, Dres­d­ner Bank et Com­merzbank), 200 ban­ques régionales, dont les plus impor­tantes ont une voca­tion de banque uni­verselle et dis­posent d’une notoriété cer­taine (Bay­erische Vere­ins­bank…), une soix­an­taine de suc­cur­sales de ban­ques étrangères et des étab­lisse­ments spécialisés ;
  • les Caiss­es d’é­pargne, créées ini­tiale­ment pour financer l’im­mo­bili­er, sont dev­enues, dans une large mesure, des ban­ques uni­verselles. Ces étab­lisse­ments de droit pub­lic, qui béné­fi­cient de la garantie des col­lec­tiv­ités ter­ri­to­ri­ales, dis­posent de 19 000 guichets ;
  • les ban­ques du secteur coopératif (2 500 coopéra­tives de crédit) regroupant 13 mil­lions de socié­taires, com­pren­nent les Volks­banken (ban­ques pop­u­laires), qui opèrent en milieu urbain, et les caiss­es de crédit agri­cole mutuel dont le nom­bre dimin­ue à la suite des vagues de fusions. Elles sont dotées, à leur tête, d’un étab­lisse­ment cen­tral de droit pub­lic, la DG Bank (Deutsche Genossenschaftsbank) ;
  • des ban­ques spé­cial­isées jouent un rôle croissant.

 
Il s’ag­it de ban­ques hypothé­caires qui dis­tribuent du crédit fonci­er et des prêts aux col­lec­tiv­ités ter­ri­to­ri­ales à par­tir d’un finance­ment essen­tielle­ment de type oblig­ataire ; d’étab­lisse­ments de crédit fonci­er de droit pub­lic ; de caiss­es d’é­pargne qui dis­tribuent des crédits assor­tis de con­di­tions avan­tageuses pour le loge­ment (boni­fi­ca­tion des mon­tants épargnés, prime d’é­pargne-loge­ment accordée par l’É­tat sous cer­taines con­di­tions) ; de sociétés de cau­tion ou de garantie ; enfin de la banque postale qui offre des ser­vices stan­dard­is­és à tra­vers ses 20 000 guichets.

Les sociétés français­es, en revanche, font appel à plusieurs ban­quiers, et leurs rela­tions sont plutôt celles d’un com­man­di­taire vis-à-vis d’un prestataire. La pra­tique des crédits en pool est courante en France, con­traire­ment aux habi­tudes allemandes.

En out­re, par­mi les grands pays européens, c’est en Alle­magne que les ban­ques finan­cent le plus large­ment les entre­pris­es. Le poids de la Bourse y est plus faible. En 1994, l’en­cours des crédits ban­caires aux sociétés et aux entre­pris­es indi­vidu­elles y représen­tait 77 % du PIB, con­tre 49 % en France, et seule­ment 24 % au Roy­aume-Uni. Depuis, ce ratio a encore bais­sé en France alors qu’il est resté sta­ble en Alle­magne. Les ban­ques alle­man­des recy­clent l’é­pargne col­lec­tée sous forme de dépôts dans les crédits qu’elles con­sen­tent aux entreprises.

Surtout créan­cières, elles sont égale­ment sou­vent action­naires des entre­pris­es, ce qui leur per­met de sur­veiller la ges­tion de leurs débi­teurs. Ain­si, en Alle­magne, les ban­ques uni­verselles déti­en­nent env­i­ron 14 % du marché des actions des entre­pris­es (con­tre 3 % en France). Il ne s’ag­it pas de sim­ple déten­tion d’ac­tions à des fins de place­ment, comme pour la plu­part des ban­ques français­es. On peut dire que les grandes ban­ques alle­man­des sont de véri­ta­bles con­glomérats financiers, alors que les ban­ques français­es lim­i­tent l’essen­tiel de leur action au rôle d’in­ter­mé­di­aire ban­caire et financier.

b) Vis-à-vis de la clien­tèle des par­ti­c­uliers, la gamme de pro­duits et ser­vices offerts est plus large en France qu’en Alle­magne, tant pour les place­ments d’é­pargne que pour les moyens de paiement. Les règle­ments par carte sont moins répan­dus en Alle­magne qu’en France ; cer­tains instru­ments d’é­pargne très répan­dus en France, comme les SICAV moné­taires, vien­nent seule­ment d’y être introduits.

Cepen­dant, la sit­u­a­tion évolue rapi­de­ment, car les place­ments dans les pro­duits d’é­pargne col­lec­tive (fonds com­muns de place­ment en actions, oblig­a­tions et immo­bili­er) y pro­gressent sen­si­ble­ment, au rythme de l’ex­plo­sion de l’of­fre : l’en­cours géré par des fonds mutuels est passé de 130 mil­liards en 1986 à 684 mil­liards de marks à fin 1996 ; en France, la pro­gres­sion cor­re­spon­dante a été moins rapi­de, l’en­cours atteignant 820 mil­liards de francs en 1996 con­tre 412 mil­liards en 1986.

Mais surtout, la tar­i­fi­ca­tion des ser­vices aux par­ti­c­uliers com­porte des dif­férences nota­bles. La France présente dans ce domaine une sit­u­a­tion très spé­ci­fique. Les opéra­tions ban­caires y sont sous-tar­ifées et engen­drent des sub­ven­tions croisées entre pro­duits et ser­vices. La gra­tu­ité des comptes et des chèques est sou­vent con­sid­érée comme la con­trepar­tie de la non-rémunéra­tion — imposée par la régle­men­ta­tion — des dépôts à vue ; mais l’a­van­tage de celle-ci en ter­mes de rentabil­ité a été forte­ment réduit par le développe­ment d’in­stru­ments de col­lecte de l’é­pargne à vue qui sont venus con­cur­rencer ces dépôts : les SICAV moné­taires rémunérées à des taux de marché, et les livrets assor­tis de taux régle­men­tés devenus plus favor­ables encore.

Dans la réal­ité, ce sys­tème, large­ment défici­taire pour les ban­ques français­es, con­stitue l’une des caus­es de leur faible rentabil­ité sur le marché domes­tique. En Alle­magne, les moyens de paiement sont assor­tis fréquem­ment de com­mis­sions à l’u­nité, plus rares en France. La rémunéra­tion des dépôts à vue y est libre mais les taux servis ont tou­jours été très faibles (de l’or­dre de 0,5 %), sans doute parce que l’Alle­magne a en général bien maîtrisé l’in­fla­tion depuis la guerre et que les ban­ques ont su impos­er col­lec­tive­ment leur volonté.

Tableau I
Parts de marché : dépôts de la clien­tèle (1996)​
Allemagne % France %
Ban­ques com­mer­ciales privées
Ban­ques du secteur coopératif
Caiss­es d’épargne
Autres
32
28
31
9
Ban­ques AFB
Ban­ques mutualistes
Caiss­es d’épargne
IFS et divers
32
31
35
1
TOTAL 100 TOTAL 100
Tableau 2
Parts de marché : crédits à la clien­tèle (1996)​
Allemagne % France %
Ban­ques com­mer­ciales privées
Ban­ques du secteur coopératif
Caiss­es d’épargne
Autres
50
22
23
5
Ban­ques AFB
Ban­ques mutualistes
Caiss­es d’épargne
IFS et divers
33
23
17
27
TOTAL 100 TOTAL 100
Sources : Moody’s pour l’Allemagne, BDF pour la France.

3. La rentabilité des activités bancaires est différente des deux côtés du Rhin

Les con­di­tions d’ex­ploita­tion des ban­ques alle­man­des sont plus favor­ables que celles des ban­ques français­es pour les activ­ités ban­caires sur le ter­ri­toire national.

D’abord, la con­cur­rence y est moins forte. La pra­tique du ban­quier unique, qui crée une rela­tion sta­ble avec l’en­tre­prise, con­tribue à assur­er la rentabil­ité du ser­vice aux entre­pris­es, sou­vent défici­taire en France où les marges de crédit, érodées par la con­cur­rence, ne per­me­t­tent pas de cou­vrir à la fois les charges de dis­tri­b­u­tion, le coût du risque et la rémunéra­tion du cap­i­tal immo­bil­isé par les ratios de solvabilité.

En out­re, en France, les activ­ités ban­caires subis­sent de nom­breux hand­i­caps du fait de lég­is­la­tions spé­ci­fiques et des priv­ilèges con­sen­tis à cer­tains com­péti­teurs, qui n’ont pas d’équiv­a­lent en Alle­magne, non plus d’ailleurs que dans les autres grands pays européens.

L’e­sprit de dis­ci­pline des ban­ques alle­man­des per­met une tar­i­fi­ca­tion sys­té­ma­tique des ser­vices ren­dus aux clients et évite les com­porte­ments de ventes à perte, qui affectent le niveau des recettes des ban­ques français­es. Enfin les risques de crédit nationaux sont plus faibles pour les ban­ques d’outre-Rhin en rai­son de la plus grande solid­ité du bilan des entre­pris­es alle­man­des, plus rich­es en fonds pro­pres, et d’une lég­is­la­tion des fail­lites qui respecte le droit du créanci­er, alors que la loi et la jurispru­dence français­es sont plus défa­vor­ables aux prê­teurs, et notam­ment aux banques.

La lég­is­la­tion fait peser sur les ban­ques français­es des charges fis­cales par­ti­c­ulières qui renchéris­sent les coûts de main-d’œu­vre : la taxe sur les salaires et la con­tri­bu­tion des insti­tu­tions finan­cières. Elle les con­traint à con­sen­tir aux béné­fi­ci­aires de crédits immo­biliers à taux fixe un droit au rem­bourse­ment anticipé sans pénal­i­sa­tion équitable, qui pèse lour­de­ment sur leur compte d’ex­ploita­tion en cas de baisse des taux.

Elle fait per­sis­ter des priv­ilèges au prof­it de réseaux jadis spé­cial­isés (ce qui avait jus­ti­fié l’in­stau­ra­tion de ces avan­tages), mais dont l’ac­tiv­ité a été banal­isée au cours des quinze ou vingt dernières années, et qui sont désor­mais des com­péti­teurs de plein exer­ci­ce pour les grandes ban­ques com­mer­ciales : monopoles de dis­tri­b­u­tion de livrets d’é­pargne dont les intérêts sont défis­cal­isés pour l’é­pargnant (livret A pour les Caiss­es d’é­pargne et La Poste, livret bleu pour le Crédit Mutuel), mono­pole de col­lecte des dépôts des notaires à taux fixe de 1 % (pour la Caisse des dépôts et le Crédit Agricole).

Les finances publiques sont enfin mas­sive­ment mobil­isées en France pour la sauve­g­arde des entre­pris­es publiques finan­cières mis­es en dan­ger par des erreurs de ges­tion sans que soit imposée à celles-ci de lim­i­ta­tion de leurs activ­ités ultérieures, ce qui empêche l’a­juste­ment des capac­ités de production.

Out­re-Rhin, les activ­ités ban­caires ne subis­sent guère de lég­is­la­tions dis­crim­i­na­toires ou pénal­isantes. La prin­ci­pale dis­tor­sion de con­cur­rence est la garantie dont béné­fi­cient les Caiss­es d’é­pargne alle­man­des, qui per­met surtout d’amélior­er leur nota­tion, et donc leurs con­di­tions de refinancement.

Enfin, la con­jonc­ture a été plus favor­able, ces dernières années, aux ban­ques alle­man­des qu’aux ban­ques françaises.

Alors que l’en­cours des crédits est en stag­na­tion en France, en rai­son notam­ment du niveau très élevé du taux d’aut­o­fi­nance­ment des entre­pris­es français­es (plus de 100 % depuis trois ans) et de la mau­vaise tenue du marché immo­bili­er, la demande de crédit en Alle­magne pro­gresse sur un rythme de plus de 5 % l’an, en dépit du ralen­tisse­ment con­jonc­turel observé depuis 1994. La demande de crédit est restée forte du fait des besoins de finance­ment nés de l’u­ni­fi­ca­tion. Certes, la demande émanant des entre­pris­es s’est affaib­lie, mais elle a été relayée par les besoins du secteur pub­lic et par le finance­ment de l’im­mo­bili­er, soutenu par des besoins de loge­ments tou­jours impor­tants dans les nou­veaux Länder.

La baisse des taux d’in­térêt, en val­orisant l’im­por­tant porte­feuille d’ac­t­ifs financiers qu’elles déti­en­nent dans leurs bilans, est plutôt favor­able à la rentabil­ité des ban­ques alle­man­des, d’au­tant que les activ­ités sur les marchés financiers sont aus­si plus floris­santes pen­dant les péri­odes de baisse des taux.

En France, en revanche, la plu­part des ban­ques subis­sent plutôt un rétré­cisse­ment des marges à chaque baisse des taux : la part des ressources à taux admin­istrés est impor­tante dans le bilan des ban­ques de dépôt, et le coût de ces ressources (notam­ment des livrets à régime régle­men­té) est assez rigide, alors que le ren­de­ment des emplois suit plus rapi­de­ment la baisse des taux.

Par exem­ple, depuis novem­bre 1996, les taux du marché moné­taire sont passés en dessous de 3,5 %, qui est le taux servi à cer­tains livrets, d’autres béné­fi­cient d’un taux de 4,75 % (livret d’é­pargne pop­u­laire et livret jeune). Il s’est donc créé une inver­sion de l’é­cart entre les taux du marché moné­taire et la rémunéra­tion de l’é­pargne liq­uide admin­istrée. Ce phénomène atyp­ique aggrave aus­si les dis­tor­sions de la con­cur­rence, et incite les ban­ques à pren­dre des risques de taux accrus.

Enfin la baisse des taux provoque en France des rem­bourse­ments anticipés de crédits à taux fixe en faisant peser très large­ment sur les ban­ques le coût actu­ar­iel des intérêts restant à courir du fait de la lég­is­la­tion lim­i­tant les pénal­ités dues par l’emprunteur qui décide d’in­ter­rompre uni­latérale­ment le con­trat de crédit, pour les crédits immobiliers.

La sta­bil­ité des résul­tats et un niveau moins élevé des risques ont con­féré aux ban­ques alle­man­des leur image de solid­ité. Leur rat­ing a moins bais­sé que celui des ban­ques dans d’autres pays, en par­ti­c­uli­er en France, bien que leur rentabil­ité, certes plus sta­ble, soit actuelle­ment inférieure à la per­for­mance des ban­ques anglo-sax­onnes. Le taux moyen de rentabil­ité des fonds pro­pres des ban­ques alle­man­des est supérieur de deux à trois points à celui des ban­ques français­es, tout en restant très inférieur à celui des ban­ques anglo-saxonnes.

II — Perspectives : monnaie unique et convergence bancaire

La glob­al­i­sa­tion finan­cière à l’échelle du monde a ini­tié un pre­mier mou­ve­ment de libéral­i­sa­tion, de réformes et d’in­no­va­tions, très vis­i­ble en France dès les pre­mières années de la décen­nie qua­tre-vingts. Par la suite, la con­struc­tion de l’Eu­rope moné­taire a accéléré le proces­sus, et l’Alle­magne a emboîté le pas, avec un cer­tain retard, mais aus­si avec la forte volon­té de rat­trap­er le temps perdu.

1. Des réformes convergentes

En France, les réformes du sys­tème ban­caire et des marchés financiers ont com­mencé dès le début des années qua­tre-vingts, avec la pro­mul­ga­tion en 1984 d’une nou­velle loi ban­caire. Les dif­férents com­par­ti­ments du marché financier, à court et à long terme ont été unifiés. Des pro­duits nou­veaux ont été créés : titres de créances négo­cia­bles (cer­ti­fi­cats de dépôt, bil­lets de tré­sorerie), fonds com­muns de créances. Des marchés ont été ouverts : le marché à terme d’in­stru­ments financiers (MATIF), le sec­ond et le nou­veau marchés.

La ges­tion de la dette publique a été mod­ernisée avec le lance­ment des OAT, les oblig­a­tions assim­i­l­ables du Tré­sor, et la créa­tion des SVT, les spé­cial­istes en valeurs du Tré­sor. Le marché financier français a mod­ernisé ses tech­niques (dématéri­al­i­sa­tion des titres, sys­tème infor­ma­tique de règle­ment, livrai­son des titres…). De nom­breux cir­cuits spé­cial­isés de finance­ment ont été banal­isés, même si ce proces­sus reste inachevé.

L’Alle­magne ne s’est engagée que plus récem­ment dans les réformes de fond en rai­son de la pri­or­ité absolue don­née à la sta­bil­ité des prix par la Bun­des­bank, mais sans doute aus­si d’un cer­tain con­ser­vatisme. Le marché financier alle­mand souf­frait de cer­tains hand­i­caps cul­turels : des investis­seurs privés peu friands des investisse­ments directs en actions, des fonds de pen­sion peu famil­iarisés avec les pro­duits sophis­tiqués. Jusqu’à une date récente, la Bourse alle­mande a été pénal­isée par plusieurs facteurs :

— les ménages sont moins attirés par les actions que dans d’autres pays ; en 1994, seule­ment 5,5 % des foy­ers étaient action­naires, con­tre 22 % aux États-Unis et au Roy­aume-Uni, et 16 % en France ;
— les liens forts entre la banque et l’in­dus­trie blo­quaient quelque peu le marché ;
— les trans­ac­tions étaient éparpil­lées entre huit places finan­cières, ayant cha­cune ses régle­men­ta­tions propres.

Le marché financier alle­mand n’est pas pour autant fer­mé : les investis­seurs inter­na­tionaux déti­en­nent plus de 40 % de la dette négo­cia­ble alle­mande, car l’é­pargne nationale disponible est inférieure à l’in­vestisse­ment total depuis l’unification.

Les réformes ont finale­ment été plus tar­dives qu’en France : le pre­mier pro­duit dérivé a été lancé en 1990 ; les lois bour­sières n’ont été mod­ernisées que depuis 1990 ; l’or­gan­isme nation­al de con­trôle des opéra­tions bour­sières (BAWe) a été créé en 1995, soit cinquante ans après la SEC améri­caine et vingt-cinq ans après la Com­mis­sion des opéra­tions de Bourse française ; l’a­ban­don des réserves oblig­a­toires sur les pen­sions livrées, l’au­tori­sa­tion pour l’É­tat fédéral d’émet­tre des titres à court terme, l’in­tro­duc­tion du démem­bre­ment des oblig­a­tions, l’émis­sion plus régulière des titres à cinq ans et à trente ans ne sont inter­venus que récem­ment. Grâce à l’u­til­i­sa­tion rapi­de des out­ils infor­ma­tiques, le développe­ment des opéra­tions à terme a été très rapi­de. En 1996, le chiffre d’af­faires du marché alle­mand (DTB) a dépassé celui du MATIF.

Toute­fois, Franc­fort, comme Paris, présente encore cer­tains hand­i­caps par rap­port au grand cen­tre financier de Londres :

— une fis­cal­ité plus lourde, comme en France : le taux mar­gin­al supérieur d’im­po­si­tion en Alle­magne, soit 53 % con­tre 40 % au Roy­aume-Uni, devrait cepen­dant baiss­er après les réformes fiscales ;
— une notoriété insuff­isante, sans doute inférieure à celle de Paris : c’est à Lon­dres qu’on ren­con­tre le plus d’in­vestis­seurs insti­tu­tion­nels, ayant une forte cul­ture financière ;
— des rigid­ités sociales comme en France ;
— une faib­lesse de la part des trans­ac­tions sur des pro­duits libel­lés en devis­es : 24 % pour les changes (84 % à Lon­dres), 2 % pour les actions (54 % à Londres).

Franc­fort reste donc une grande place “domes­tique”, plus sans doute que Paris, alors que Lon­dres est plus attrac­t­if pour les opéra­tions inter­na­tionales. Les grandes ban­ques alle­man­des, comme la Deutsche Bank ou la Dres­d­ner Bank, ont d’ailleurs acquis des struc­tures anglo-sax­onnes (respec­tive­ment Mor­gan Gren­fell et Klein­wort Ben­son) et délo­cal­isé à Lon­dres leurs opéra­tions inter­na­tionales qui ne sont pas libel­lées en Deutsche Mark.

2. Les mutations attendues

Pour les activ­ités ban­caires et finan­cières, la mise en œuvre de la mon­naie unique au début de 1999 va accélér­er l’émer­gence d’un marché européen plus inté­gré même si en matière fis­cale, juridique et compt­able, et dans la régle­men­ta­tion des rela­tions des ban­ques avec leurs clients, chaque pays va con­serv­er, dans un pre­mier temps, bon nom­bre de spécificités.

À terme, le proces­sus de con­ver­gence devrait résul­ter de l’achève­ment des réformes, à la fois en France et en Alle­magne, mais aus­si des change­ments de com­porte­ments des ban­ques et de leurs clients.

a) L’achève­ment des réformes. En France, après l’ab­ro­ga­tion récente du décret de 1937, qui créait des rigid­ités spé­ci­fiques pour l’or­gan­i­sa­tion du tra­vail pour les ban­ques AFB, divers­es spé­ci­ficités de la lég­is­la­tion et de la régle­men­ta­tion pénalisent la rentabil­ité des activ­ités ban­caires et cer­tains réseaux con­tin­u­ent à béné­fici­er de priv­ilèges, comme on l’a vu. En out­re, tous les acteurs ne sont pas soumis à la même con­trainte de rentabil­ité des fonds pro­pres. Cer­tains peu­vent se sat­is­faire de taux de ren­de­ment très faibles, et ne craig­nent donc pas de faire des opéra­tions pro­mo­tion­nelles fortes pour pren­dre des parts de marché aux banques.

On peut penser que la rigid­ité des taux admin­istrés sera abolie : l’É­tat français ne sera pas en mesure d’of­frir des taux nets d’im­pôts à toute la pop­u­la­tion européenne, alors que, dans les autres pays européens, le champ d’ap­pli­ca­tion des taux admin­istrés est beau­coup plus lim­ité. On peut espér­er en out­re que les pou­voirs publics s’emploieront à faire dis­paraître les fis­cal­ités et régle­men­ta­tions spé­ci­fiques qui hand­i­capent les ban­ques français­es par rap­port à leurs con­cur­rents européens.

Une plus grande trans­parence des prix des pro­duits et des ser­vices favoris­era les ban­ques com­mer­ciales privées. Actuelle­ment, les tar­ifs des ban­ques français­es sont par­mi les plus bas d’Eu­rope : la faib­lesse des com­mis­sions et l’étroitesse des marges d’in­térêt des crédits le mon­trent bien. Cette sit­u­a­tion est provo­quée par les rentes de sit­u­a­tion dont béné­fi­cient cer­tains réseaux, qui finan­cent ain­si des ventes à perte. Dans un marché européen inté­gré, ces rentes de sit­u­a­tion devront dis­paraître assez rapidement.

En Alle­magne, de nom­breux pro­jets de lois sont en cours d’élab­o­ra­tion. Pour les opéra­tions finan­cières, une loi de mod­erni­sa­tion est actuelle­ment en pré­pa­ra­tion, pour adapter Franc­fort aux défis de l’Eu­rope finan­cière de demain. Les pro­jets fis­caux en ges­ta­tion, qui devraient aboutir à des allége­ments d’im­pôts à la fois pour les entre­pris­es et les par­ti­c­uliers, sont si impor­tants qu’ils ont été qual­i­fiés de “réforme fis­cale du siècle”.
D’in­spi­ra­tion anglo-sax­onne, ces réformes visent l’ou­ver­ture, la glob­al­i­sa­tion, la pri­vati­sa­tion, la libéralisation.

b) Une mod­i­fi­ca­tion des com­porte­ments. En France, les acteurs économiques sont de plus en plus con­scients des effets per­vers de l’ab­sence de vérité des prix ban­caires et des dis­tor­sions de con­cur­rence qui seront inten­ables dans un grand marché ban­caire européen.

En Alle­magne, de même, cer­tains courants de pen­sée, à droite comme à gauche, com­men­cent à met­tre en cause les pou­voirs sup­posés ou réels du sys­tème ban­caire et à soulign­er les risques poten­tiels de l’ac­cu­mu­la­tion des moyens d’in­flu­ence des ban­ques. Les par­tic­i­pa­tions croisées entre la banque et l’in­dus­trie con­stituent la base du cap­i­tal­isme alle­mand. Pour cer­tains poli­tiques, les fonc­tions d’ac­tion­naire et de créanci­er ne sont plus compatibles.

Le gou­verne­ment entend lim­iter le pou­voir des ban­ques dans les entre­pris­es dont elles sont action­naires. Cer­tains songent même à pla­fon­ner les par­tic­i­pa­tions indus­trielles. Les réformes en cours faciliteront l’évo­lu­tion des com­porte­ments. À titre d’ex­em­ple, les par­tic­i­pa­tions sont enreg­istrées dans les bilans ban­caires à des valeurs his­toriques très bass­es. Or, les plus-val­ues sont aujour­d’hui imposées à 60 %. La réforme fis­cale va se traduire par un allége­ment de cette tax­a­tion et chang­er pro­fondé­ment la façon dont les ban­ques alle­man­des gèrent leurs par­tic­i­pa­tions. Elles auront désor­mais la pos­si­bil­ité de con­sid­ér­er ces par­tic­i­pa­tions comme un porte­feuille liq­uide et de les gér­er dans une optique financière.

Des change­ments de com­porte­ments se dessi­nent donc dans les deux pays, ce qui va rap­procher encore les car­ac­téris­tiques et les per­for­mances des banques.

Conclusion

La spé­ci­ficité des ban­ques alle­man­des est d’or­dre cul­turel, alors que des pesan­teurs admin­is­tra­tives et des priv­ilèges hérités de l’his­toire pèsent encore sur les ban­ques français­es. Le mod­èle alle­mand de banque-indus­trie a été le fruit de choix rela­tion­nels entre les acteurs économiques. Le sys­tème français de cir­cuits admin­istrés de finance­ment est une sur­vivance des poli­tiques économiques de l’après-guerre.

La con­ver­gence en cours est d’abord un phénomène mon­di­al : le développe­ment des marchés, la dérégu­la­tion des économies, l’émer­gence des fonds de pen­sion mod­i­fient le paysage ban­caire et con­tribuent à une “glob­al­i­sa­tion” désor­mais inéluctable. Dans ce con­texte, la mon­naie unique est avant tout un catal­y­seur et un accéléra­teur du change­ment. L’eu­ro, en con­duisant chaque entre­prise à définir avec pré­ci­sion sa stratégie et à sélec­tion­ner ses spé­cial­ités, sus­cite de nou­velles oppor­tu­nités de rap­proche­ment, d’al­liances et de restruc­tura­tions, qui auront, pour les ban­ques alle­man­des comme français­es, des retombées for­cé­ment positives.

Mais surtout, ban­ques français­es et ban­ques alle­man­des vont béné­fici­er de l’eu­ro et de la poli­tique moné­taire européenne. La sta­bil­ité de l’eu­ro favoris­era une pente pos­i­tive plus fréquente de la courbe des taux et per­me­t­tra aus­si une util­i­sa­tion plus exten­sive, et avec moins de risque, de la trans­for­ma­tion, qui est une activ­ité de base du méti­er ban­caire. L’eu­ro sera un moteur de la créa­tion d’un grand marché financier européen inté­gré, qui con­stituera un pôle d’at­trac­tion pour l’é­pargne et les investis­seurs du monde entier. Enfin, les ban­ques européennes auront accès à un priv­ilège jusqu’alors réservé aux ban­ques améri­caines : avoir pour out­il de tra­vail une grande mon­naie de référence et d’usage dans les échanges internationaux.

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