Image en fluorescence d’une cellule U2OS RFP-LifeAct

“ Fibres de stress ” et anisotropie : cause ou effet

Dossier : ExpressionsMagazine N°726 Juin/Juillet 2017
Par Anne-Lou ROGUET (13)

Quelques expli­ca­tions sur un stage de 3e année à Berke­ley. Dans ce lab­o­ra­toire, on étudie les bases biologiques de la forme des cel­lules et de leur mobil­ité. L’é­tude a porté sur des cel­lules ayant des fibres de stress qui leur per­me­t­tent d’exercer des forces sur leur environnement.

Le lab­o­ra­toire du pro­fesseur Kumar, à l’université de Cal­i­fornie à Berke­ley, étudie, entre autres, les bases biologiques de la forme des cel­lules et de leur mobilité. 

C’est là que, dans le cadre de mon stage de troisième année, j’ai étudié ces fibres étonnantes. 

LA CELLULE, SES FIBRES DE STRESS ET SON ENVIRONNEMENT


Image en flu­o­res­cence d’une cel­lule U2OS RFP-Life­Act vue du dessus. Les fibres de stress sont fluorescentes.

La forme d’une cel­lule est con­trôlée par son cytosquelette, un ensem­ble de fil­a­ments rigides. On en dis­tingue plusieurs caté­gories, dont les fibres de stress. 

Sur l’image ci-con­tre, les fibres de stress dites ven­trales d’une cel­lule sont ren­dues vis­i­bles par des molécules fluorescentes. 

Ces fibres de stress sont ancrées à leurs deux extrémités dans l’espace qui envi­ronne la cel­lule, la matrice extra-cel­lu­laire, par le biais d’un assem­blage com­plexe de molécules reliant l’intérieur et l’extérieur de la cellule. 

Les fibres de stress sont com­posées de deux élé­ments prin­ci­paux : des fil­a­ments d’actine reliés entre eux par des fil­a­ments de myo­sine, qui peu­vent se con­tracter pour faire gliss­er les fil­a­ments d’actine les uns par rap­port aux autres et ain­si con­tracter la fibre. 

Ain­si, les fibres de stress per­me­t­tent à la cel­lule d’exercer des forces sur la matrice extracellulaire. 

LES FIBRES DE STRESS ET L’ANISOTROPIE DES CELLULES

“ Les fibres de stress permettent à la cellule d’exercer des forces sur son environnement ”

Cer­taines études ont mon­tré que, lorsque la cel­lule est géométrique­ment anisotrope ou polar­isée, c’est-à-dire quand on peut définir un axe long et un axe court, les fibres de stress sont à la manœu­vre pour align­er avec l’axe long de la cel­lule cer­taines struc­tures cel­lu­laires (les « organes » de la cel­lule : les organelles, l’axe de divi­sion cellulaire…). 

Ces phénomènes sont d’autant plus mar­qués que l’écart entre les deux axes est grand. La pre­mière par­tie de mon pro­jet de recherche con­sis­tait à étudi­er com­ment cette anisotropie de la cel­lule se reflète dans les pro­priétés des fibres de stress. 

LE MICROPATTERNING

Cette technique consiste à imprimer des motifs adhésifs de la taille d’une seule cellule sur un fond sur lequel la cellule ne pourrait sinon pas adhérer. Ainsi la forme de la zone sur laquelle la cellule peut s’étaler est maîtrisée, et donc aussi la forme de la cellule.

Pour ce faire, j’ai employé plusieurs tech­niques : le micropat­tern­ing per­me­t­tant de faire vari­er les dimen­sions des cel­lules et la posi­tion des fibres de stress, et l’ablation au laser pour car­ac­téris­er les pro­priétés vis­coélas­tiques des fibres. 

J’ai appliqué simul­tané­ment les deux tech­niques à des fibres de stress situées sur le long et sur le petit côté de cel­lules rec­tan­gu­laires de divers­es dimen­sions : on n’observe pas de dif­férence sig­ni­fica­tive entre les pro­priétés vis­coélas­tiques des fibres situées sur le petit et le long côté du rec­tan­gle, pour toutes les dimen­sions de cel­lules testées. 

J’en ai con­clu que les pro­priétés vis­coélas­tiques étaient intrin­sèques à la fibre de stress et ne dépendaient pas de sa posi­tion dans la cel­lule. Bien que la forme de la cel­lule et l’organisation du réseau des fibres de stress soient anisotropes, cette pro­priété n’est pas reflétée dans les pro­priétés d’une fibre isolée. 

Les cir­cuits de l’information con­cer­nant l’anisotropie de la cel­lule ne passent donc pas par les pro­priétés vis­coélas­tiques des fibres de stress. 

COMMENT LES CELLULES S’APPUIENT SUR LEUR MATRICE

La sec­onde par­tie de mon tra­vail visait à com­pren­dre com­ment l’anisotropie de la cel­lule se tradui­sait dans les forces exer­cées par la cel­lule sur sa matrice extracellulaire. 

Forces exercées par une cellule sur sa matrice
Inten­sité des forces exer­cées (3) par une cel­lule sur sa matrice (1) grâce à ses fibres de stress (2).

Pour cela, j’ai util­isé une méth­ode appelée « Micro­scopie des forces de trac­tion », qui con­siste à observ­er le déplace­ment de billes flu­o­res­centes embar­quées dans une matrice extra­cel­lu­laire de forme rec­tan­gu­laire lorsque l’on retire la cellule. 

Un algo­rithme per­met ensuite de remon­ter aux forces exer­cées par la cel­lule sur la matrice avant qu’elle ne soit détachée. 

À pre­mière vue, il m’avait sem­blé que les forces étaient con­cen­trées sur les bor­ds courts du rec­tan­gle lorsque la cel­lule était forte­ment polar­isée. Cepen­dant, une mod­éli­sa­tion minu­tieuse de la valeur des efforts selon l’axe court de la cel­lule m’a mon­tré que les zones d’efforts élevés se situ­aient tou­jours aux 4 angles du rectangle. 

Lorsque le petit côté devient trop court, les deux pics se rap­prochent et se con­fondent, car la réso­lu­tion de la méth­ode employée est trop faible pour les distinguer. 

J’ai remar­qué que les fibres de stress des courts et longs côtés avaient des pro­priétés vis­coélas­tiques sim­i­laires, bien qu’elles soient situées dans des envi­ron­nements très dif­férents en ter­mes de forces exer­cées. En effet, les extrémités des fibres des petits côtés sont situées en plein cœur des zones de forte ten­sion, alors que celles des longs côtés sont dans des zones où les forces exer­cées sont plutôt faibles… 

J’en ai déduit que les pro­priétés des fibres de stress dépendaient peu de leur environnement. 

LES FIBRES DE STRESS SERAIENT-ELLES INDIFFÉRENTES À L’ANISOTROPIE ?

ABLATION AU LASER

L’ablation au laser consiste à couper la fibre de stress à laquelle on s’intéresse en son milieu et à observer la cinétique de la rétraction des extrémités coupées. En comparant cette cinétique à un modèle viscoélastique, on obtient deux grandeurs caractérisant les propriétés de la fibre : la distance de rétraction et le temps caractéristique de la rétraction.

Je prends ces résul­tats avec pru­dence, car la vari­abil­ité entre les cel­lules est élevée et la com­plex­ité du pro­to­cole provoque un cer­tain sous-échan­til­lon­nage. Cepen­dant, ils sem­blent indi­quer que les pro­priétés d’une fibre de stress ne reflè­tent pas l’anisotropie des phénomènes dans lesquels elle est impliquée : forme de la cel­lule, organ­i­sa­tion du réseau des fibres de stress, forces exer­cées, migra­tion, divi­sion cellulaire… 

Les fibres de stress ne sem­blent donc pas sim­ple­ment exercer des forces à leurs extrémités, mais elles pour­raient plutôt con­tribuer à la mise sous ten­sion glob­ale du réseau qu’elles forment.

Poster un commentaire