Élastomères magnétorhéologiques

La recherche à l’X : nanosciences, matériaux innovants et procédés efficaces

Dossier : ExpressionsMagazine N°715 Mai 2016
Par Patrick Le QUÉRÉ (74)
Par Laurence BODELOT
Par Kees VAN DER BEEK
Par Yvan BONNASSIEUX

Un tour d’ho­ri­zon de trois axes de recherche multidisciplinaires :
​• rendre les maté­riaux « intel­li­gents » (pro­prié­tés dépen­dantes de l’environnement).
​• mettre à pro­fit la supraconductivité.
​• déve­lop­per l’électronique orga­nique flexible (écrans courbes).

There is plen­ty of room at the bot­tom, tel était le titre de l’intervention de Richard Feyn­man en 1959 devant le congrès de l’American Phy­si­cal Society.

Cin­quante ans plus tard, cette vision est deve­nue réa­li­té, en grande par­tie grâce aux pro­grès accom­plis dans la struc­tu­ra­tion de la matière aux échelles nano­mé­triques, dans la métro­lo­gie asso­ciée qui fait appel aux tech­no­lo­gies les plus sophis­ti­quées, ain­si que dans la com­pré­hen­sion des phé­no­mènes domi­nants à ces petites échelles tem­po­relles et spa­tiales, et leurs cou­plages multiphysiques.

DE NOUVELLES PERSPECTIVES

Les labo­ra­toires de l’École poly­tech­nique explorent des voies de recherche aus­si variées que la syn­thèse de nano­tubes de car­bone, de feuillets de gra­phène, de nano­par­ti­cules fonc­tion­na­li­sées, la nano­struc­tu­ra­tion de sur­faces ou de couches minces aux pro­prié­tés extra­or­di­naires, les cou­plages mul­ti­phy­siques, etc.

“ Certaines applications modernes requièrent des matériaux aux propriétés multiphysiques ”

Ils conçoivent ain­si de nou­veaux maté­riaux intel­li­gents ou des sur­faces actives, des dis­po­si­tifs et cap­teurs mul­ti­fonc­tion­nels, des bio­cap­teurs minia­tures auto­nomes, de nou­veaux cata­ly­seurs, etc.

Focus sur quelques-unes des pers­pec­tives offertes par les maté­riaux intel­li­gents, la supra­con­duc­ti­vi­té et l’électronique organique.

DES MATÉRIAUX INTELLIGENTS

Les ingé­nieurs ont aujourd’hui à leur dis­po­si­tion une grande diver­si­té de maté­riaux natu­rels et syn­thé­tiques. Le tra­vail des cher­cheurs en labo­ra­toire vise à amé­lio­rer la résis­tance de ces maté­riaux tout en dimi­nuant leur poids, un enjeu de taille dans la majo­ri­té des sec­teurs industriels.

Pour cela on les « archi­tec­ture », ne rete­nant que les élé­ments néces­saires à la tenue struc­tu­relle requise pour l’application envisagée.

Néan­moins, cer­taines appli­ca­tions modernes requièrent des maté­riaux aux pro­prié­tés plus com­plexes, dites « mul­ti­phy­siques » : une action pro­voque une réac­tion dans un autre domaine phy­sique (par exemple une balance fonc­tion­nant par effet pié­zo­élec­trique), sans perte d’énergie lors de la transition.

Dans le domaine du bio­mé­di­cal et de l’aérospatial par exemple, les maté­riaux doivent pou­voir se défor­mer, non plus seule­ment sous l’action d’une force, mais aus­si sous l’action d’autres sti­mu­li, comme un champ magnétique.

Les maté­riaux pré­sen­tant de telles pro­prié­tés sont géné­ra­le­ment qua­li­fiés de « maté­riaux intelligents ».

MODÉLISER LES INTERACTIONS

En plus de ceux décou­verts à l’état natu­rel, de nom­breux maté­riaux intel­li­gents ont été conçus en labo­ra­toire. Cepen­dant, rares sont ceux qui ont pas­sé le cap de la preuve de concept et atteint le trans­fert technologique.

“ L’emploi d’électroaimants supraconducteurs de grande taille a révolutionné l’IRM ”

C’est notam­ment le cas des élas­to­mères « magné­to­rhéo­lo­giques », com­po­sites archi­tec­tu­rables de sili­cone et de par­ti­cules métal­liques, qui pré­sentent pour­tant un grand inté­rêt dans le domaine des inter­faces actives et du bio­mé­di­cal, en rai­son de leur capa­ci­té à se défor­mer ou se rigi­di­fier sous l’action d’un champ magnétique.

Ces maté­riaux com­plexes mettent en jeu de nom­breux phé­no­mènes phy­siques, qui inter­agissent à dif­fé­rentes échelles. Pour en tirer des appli­ca­tions concrètes, il est indis­pen­sable de com­prendre et modé­li­ser pré­ci­sé­ment ces interactions.

Cette étape, qui couple ana­lyses expé­ri­men­tales et théo­riques, est cru­ciale car elle per­met d’établir les lois de com­por­te­ment de tels matériaux.

C’est le défi lan­cé au labo­ra­toire de méca­nique des solides : la carac­té­ri­sa­tion très fine de ces maté­riaux, car ces lois consti­tuent aujourd’hui le chaî­non man­quant des simu­la­tions numé­riques impli­quées dans la concep­tion de struc­tures effi­caces à par­tir de maté­riaux intelligents.

LES ENJEUX DE LA SUPRACONDUCTIVITÉ

La supra­con­duc­ti­vi­té est un état par­ti­cu­lier de la matière, dans lequel un maté­riau perd sa résis­tance élec­trique en des­sous d’une tem­pé­ra­ture cri­tique, plu­tôt basse, pou­vant ain­si conduire de l’électricité sans perte d’énergie.

Depuis sa décou­verte, la supra­con­duc­ti­vi­té a fait son che­min. Elle inter­vient aujourd’hui dans un très large spectre d’applications. Dans le domaine médi­cal, l’emploi d’électroaimants supra­con­duc­teurs de grande taille a per­mis de révo­lu­tion­ner l’imagerie par réson­nance magné­tique (IRM).

“ On peut acquérir des smartphones et des télévisions aux écrans convexes et concaves ”

Les maté­riaux supra­con­duc­teurs ont éga­le­ment trou­vé des appli­ca­tions dans le sec­teur de l’énergie, du trans­port et des télécommunications.

Ils per­mettent notam­ment de fabri­quer des câbles et limi­teurs de cou­rant, de faire lévi­ter de la matière par sus­ten­ta­tion magné­tique, de déve­lop­per des dis­po­si­tifs ultra­per­for­mants pour la détec­tion et l’amplification de signaux, ou encore de poser les bases pour la concep­tion de l’ordinateur quantique.

Les cher­cheurs du LSI oeuvrent pour étendre le péri­mètre de ces appli­ca­tions et les per­fec­tion­ner. Ils tentent en par­ti­cu­lier de contrô­ler la dis­si­pa­tion élec­trique dans les maté­riaux supra­con­duc­teurs sou­mis à des champs magnétiques.


Élas­to­mères magné­to­rhéo­lo­giques : ces matériaux
intel­li­gents disposen​t d’une capa­ci­té à se déformer
ou se rigi­di­fier sous l’action d’un champ magné­tique.  © LAURENCE BODELOT

Lévitation d’un bloc d’oxyde d’yttrium-barium-cuivre supraconducteur
Lévi­ta­tion d’un bloc d’oxyde d’yttrium-barium-cuivre
supra­con­duc­teur, refroi­di à la tem­pé­ra­ture de l’azote liquide,
au-des­sus d’une piste d’aimants per­ma­nents en néo­dyme-fer­bore. © KEES VAN DER BEEK

Ils étu­dient éga­le­ment, grâce à l’irradiation, l’effet du désordre cris­tal­lin des maté­riaux sur la supra­con­duc­ti­vi­té. Les résul­tats déjà obte­nus sont exploi­tés pour éla­bo­rer de nou­veaux dis­po­si­tifs d’intérêt. En col­la­bo­ra­tion avec le labo­ra­toire Ima­ge­rie par IRM médi­cale mul­ti­mo­da­li­tés (CNRS / uni­ver­si­té Paris-Sud), le LSI conçoit par exemple des antennes supra­con­duc­trices pour IRM. Celles-ci ont la par­ti­cu­la­ri­té de pou­voir com­mu­ter de manière ultra-rapide entre l’état résis­tif et non-résis­tif carac­té­ri­sant les supraconducteurs.

Dans la même veine, le LSI étu­die avec Thales Research & Tech­no­lo­gy la pos­si­bi­li­té d’utiliser des élé­ments supra­con­duc­teurs comme pro­tec­tions pour les cir­cuits élec­tro­niques (contre des sur­charges de réseau, ou des impul­sions élec­tro­ma­gné­tiques de puis­sance). Les deux par­te­naires cherchent éga­le­ment à iden­ti­fier la limite ultime de réso­lu­tion de filtres supra­con­duc­teurs pour les télécommunications.

Les pers­pec­tives de déve­lop­pe­ment des appli­ca­tions sont vastes, pour la méde­cine, les télé­com­mu­ni­ca­tions, les trans­ports, le sto­ckage de l’énergie, grâce à des archi­tec­tures nou­velles des maté­riaux, aus­si bien à l’échelle macro­sco­pique que micro voire nanométrique.

On espère tou­jours, en outre, voir appa­raître un maté­riau supra­con­duc­teur à tem­pé­ra­ture cri­tique ambiante.

ÉLECTRONIQUE ORGANIQUE, LA FLEXIBILITÉ EN MARCHE

La micro­élec­tro­nique est l’une des plus belles aven­tures scien­ti­fiques et tech­no­lo­giques de ces cin­quante der­nières années. C’est grâce aux évo­lu­tions de ses com­po­sants que nous avons décu­plé la puis­sance de nos ordi­na­teurs, déve­lop­pé les télé­com­mu­ni­ca­tions et géné­ra­li­sé les écrans plats. Et l’électronique conti­nue sa marche pour aller encore plus loin.

Bien­tôt, elle pour­ra être inté­grée à tous les objets les plus usuels de notre quo­ti­dien, nous connec­tant par là même tou­jours un peu plus au réseau.

Flexi­bi­li­té et réduc­tion des coûts sont les deux ingré­dients essen­tiels qui per­met­tront cette conquête de l’Internet des objets connec­tés. Sans ces deux condi­tions, l’incrustation d’écrans dans nos vête­ments res­te­rait par exemple impensable.

FABRIQUER SON ÉLECTRONIQUE CHEZ SOI

D’un point de vue tech­no­lo­gique, les maté­riaux orga­niques semblent être la brique élé­men­taire d’une élec­tro­nique flexible, ver­sa­tile et à faible coût.

Les plas­tiques intel­li­gents, les nano­tubes de car­bone ou encore le gra­phène pré­sentent en effet une struc­ture en couches minces, d’une dizaine de nano­mètres à quelques micro­mètres d’épaisseur, qui leur confère des pro­prié­tés intrin­sèques remarquables.

Ils sont ain­si natu­rel­le­ment conduc­teurs, iso­lants ou semi-conduc­teurs mais aus­si flexibles, enrou­lables, voire pliables. La mise en solu­tion de ces maté­riaux sous la forme d’encres impri­mables est même envisageable.

Diode électroluminescente flexible
Diode élec­tro­lu­mi­nes­cente orga­nique uti­li­sée dans le cadre de l’électronique orga­nique flexible. © YVAN BONNASSIEUX

Les scien­ti­fiques y tra­vaillent ardem­ment, dans l’optique de riva­li­ser avec le concept de « FabLab ». Ils tentent ain­si de mettre à dis­po­si­tion du public des « Elec­tro­Lab », pour que cha­cun puisse un jour des­si­ner, fabri­quer, impri­mer son élec­tro­nique chez soi.

L’électronique orga­nique flexible fait l’objet de recherches intenses depuis la fin des années 1980. Elle arrive peu à peu sur le mar­ché, en par­ti­cu­lier avec les écrans OLED. Ces diodes élec­tro­lu­mi­nes­centes orga­niques qui les com­posent brisent pour la pre­mière fois le dogme des écrans uni­que­ment plats. On peut désor­mais acqué­rir des smart­phones et des télé­vi­sions aux écrans convexes et concaves. La course à l’électronique flexible est lancée.

Outre les écrans flexibles ou pliables, on pour­ra déve­lop­per des lunettes offrant de la réa­li­té aug­men­tée ; des cap­teurs sur la peau, des « patches », ou sur des stents « intel­li­gents », ou encore cou­lés dans le béton pour mesu­rer les défor­ma­tions d’ouvrages d’art (avec l’Ifsttar) ; des cel­lules solaires ou des éclai­rages flexibles, etc

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