De l'esclave au serveur informatique : étymologie du mot service.

Étymologie :
À propos de la donnée au service de l’environnement

Dossier : La donnée au service de l’envi­ronnementMagazine N°789 Novembre 2023
Par Pierre AVENAS (X65)

Le mot environnement est con­stru­it autour de l’ancien français viron, désig­nant le pays d’alentour, et remon­tant au verbe latin vibrare « agiter », d’où vibr­er, vir­er (cf. Éty­mologiX d’avril 2019). Quant au mot don­née, c’est une forme de don­ner, du verbe latin donare « faire un don », lui-même de dare « don­ner », dont le par­ticipe passé devient datum « don », au pluriel data emprun­té tel quel en anglais, data « don­nées », comme dans data base, open data, big data

Il reste à expli­quer le mot ser­vice. 

Le service porte le lourd passé de l’esclavage

Le point de départ est le latin servus, désig­nant d’abord l’esclave, par oppo­si­tion à l’homme libre, puis aus­si en bas latin l’adorateur de Dieu. De servus vient le verbe servire « être esclave », puis au sens fig­uré « être dévoué à, ador­er », d’où servi­tium « con­di­tion d’esclave, sujé­tion, dépen­dance », en bas latin servi­tor « qui se dévoue à Dieu ». Ces mots sont passés en français, à com­mencer par servus devenant serf, le nom du paysan inféodé au seigneur dans le sys­tème du ser­vage, une forme à peine atténuée de l’esclavage qui a pré­valu en Europe au Moyen Âge. De servire, servi­tium, servi­tor vien­nent servir, ser­vice, servi­teur, dont l’usage s’est banal­isé en s’éloignant de l’esclavage, tout en gar­dant un sens d’engagement fort dans des cas comme ceux du ser­vice religieux ou du ser­vice mil­i­taire. Du latin vien­nent aus­si servile, servi­tude ou asservir, dont l’usage s’étend à la tech­nique : un asservisse­ment, par exem­ple avec un ser­vomécan­isme (élé­ment ser­vo- du latin servus). Enfin, le français a créé ser­vante et ser­vant (mil­i­taire), ain­si que son dou­blet, ser­gent (du latin serviens), serveuse et serveur (au café ou en infor­ma­tique) et même servi­ette (de table, de bain, en cuir…) !

Cer­tains auteurs ont ten­té de rap­procher le latin servus de ser­vare « être atten­tif, garder », un verbe d’origine indo-européenne (cf. en français, observ­er, conserv­er, préserv­er), en sup­posant que les pre­miers gar­di­ens de trou­peaux au ser­vice des pro­prié­taires aient été leurs esclaves. Cela n’est pas démon­tré, et servus reste d’origine incer­taine, aucune racine indo-européenne spé­ci­fique à l’esclavage n’étant con­nue. Ain­si le grec dou­los « esclave » sem­ble être un emprunt ori­en­tal. Enfin, la mère de Servius Tul­lius, roi étrusque de Rome au VIe siè­cle avant J.-C., avait été mise en esclavage. Est-ce le signe d’une orig­ine étrusque pour servus ?

Et à pro­pos, d’où vient le mot esclave ? 

Les vicissitudes du mot Slave

Le mot Slave vient du vieux slave (cf. le russe sla­va « gloire » ou slo­vo « mot, parole » ?) par le latin Slavus, qui a pris la forme Sclavus en latin médié­val. Puis, à cause du grand nom­bre de Slaves réduits en esclavage par les Ger­mains et les Byzan­tins au Moyen Âge, sclavus a désigné l’esclave en général, devenant en ital­ien schi­a­vo, en français esclave, en espag­nol escla­vo, en anglais slave, en alle­mand Sklave.

Dans les langues slaves, l’esclave est désigné autrement : ain­si en russe, rab « esclave » est lié à une racine indo-européenne exp­ri­mant la pri­va­tion, le dénue­ment. De là vient le russe rab­o­ta « tra­vail » (à l’origine « tra­vail for­cé »), et le nom du robot (par le tchèque, cf. Éty­mologiX de déc. 2019), qui est en quelque sorte un esclave artificiel.

Épilogue

En France, cer­tains dis­ent ser­vice ! pour mer­ci. En Autriche et dans le sud de l’Allemagne, on se salue en dis­ant Servus ! alors que le ser­vice se dit en alle­mand der Dienst, d’une racine ger­manique sig­nifi­ant « esclave », et d’ailleurs en ital­ien, de schi­a­vo vient ciao !


En illus­tra­tion : Un serveur infor­ma­tique, dont le nom trou­ve son orig­ine dans le latin servus, esclave.

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