Esquisse des procédures d’expertises judiciaires dans certains pays de la Communauté européenne

Dossier : Juges - Experts - CitoyensMagazine N°610 Décembre 2005Par Michel BRISAC (47)

L’ESPACE QUI nous est impar­ti ne per­met­tra, bien évi­dem­ment, que de don­ner quelques » coups de pro­jec­teur » sur ce sujet qui exi­ge­rait plu­sieurs numé­ros de notre revue pour être trai­té, même dans ses grandes lignes. Ten­tons, mal­gré tout, de don­ner quelques élé­ments majeurs.
Notons, d’a­bord, un point com­mun : c’est, sous quelque forme qu’elle soit pra­ti­quée et dans quelque pays de l’U­nion euro­péenne que ce soit, la défi­ni­tion de l’expertise.

Il s’a­git de don­ner au juge les élé­ments tech­niques rela­tifs à une ques­tion de fait qui, comme le rap­pelle le Nou­veau Code de pro­cé­dure fran­çais (le NCPC), » requiert les lumières d’un tech­ni­cien « .

Cette défi­ni­tion n’est pra­ti­que­ment contre­dite par aucune légis­la­tion étrangère.

» L’é­clai­rer » : il sera donc infor­mé et non lié ;
 » Ques­tion de fait  » : il ne s’a­git pas de trai­ter de points de droit ;
 » L’a­vis d’un tech­ni­cien » : cela sous-entend, bien évi­dem­ment, la com­pé­tence de l’auxi­liaire du juge, fon­de­ment de la confiance qui lui sera accordée.

Les condi­tions dans les­quelles les élé­ments fon­dant cet avis seront recueillis et les pro­cé­dures qui devront être res­pec­tées sont, évi­dem­ment, essen­tielles puisque, selon la for­mule tra­di­tion­nelle : » la forme est garante du fond « .

Principes et procédures : le rôle du juge

Il paraît néces­saire de rap­pe­ler limi­nai­re­ment trois définitions :

  • celle de l’o­bli­ga­tion qui va s’im­po­ser à tous, le res­pect du prin­cipe de la contradiction,
  • et celles des deux pro­cé­dures sus­cep­tibles de s’ap­pli­quer, l’ac­cu­sa­toire et l’inquisitoire.

Disons (en deman­dant par­don aux vrais juristes pour le rac­cour­ci) que le prin­cipe de la contra­dic­tion va impo­ser au juge, à ses auxi­liaires, au nombre des­quels figure l’ex­pert, et aux par­ties, de faire en sorte que tout le monde ait en main les mêmes pièces, docu­ments, résul­tats des consta­ta­tions, et, en même temps, connais­sance des moyens, c’est-à-dire des argu­ments, de tous.

Que la pro­cé­dure accu­sa­toire va pla­cer le juge en posi­tion d’ar­bitre entre les par­ties, libres de leurs moyens et argu­ments, et que si elle est inqui­si­toire, le magis­trat aura, comme on l’i­ma­gine faci­le­ment, une tout autre atti­tude et une tout autre liber­té dans la recherche de la vérité.

Ceux qui vou­draient un mini­mum de détails com­plé­men­taires pour­ront relire l’ar­ticle 6 de la Conven­tion euro­péenne des droits de l’homme et des liber­tés fon­da­men­tales (CEDH) et les articles 14, 15 et 16 du NCPC mais il ne faut pas oublier que les droits de la défense et le prin­cipe de la contra­dic­tion ont valeur consti­tu­tion­nelle tant en France que dans les pays de l’U­nion européenne.

L’o­bli­ga­tion de don­ner au jus­ti­ciable la cer­ti­tude de béné­fi­cier d’un pro­cès équi­table et d’ob­te­nir un juge­ment dans un délai rai­son­nable et à un coût acces­sible relève de la même exigence.

En France, la Cour de cas­sa­tion, cha­cun le sait, y veille.

Une enquête réa­li­sée il y a quelques années dans les dif­fé­rents pays de l’U­nion euro­péenne a mon­tré que, même s’il sub­siste des nuances entre les diverses pro­cé­dures rete­nues, les dif­fé­rences, indis­cu­tables, sont d’im­por­tance bien moindre que les paral­lé­lismes consta­tés. La ten­dance qui se dégage tra­duit un rap­pro­che­ment cer­tain des pra­tiques qui parais­saient les plus éloi­gnées et, d’a­bord bien sûr, de celles des pays de Com­mon Law avec celles des pays de droit civil (ou latino-germanique).

Recueillir et ana­ly­ser, pour les juges qui recourent à eux et dans le res­pect des règles du pro­cès équi­table, les élé­ments fac­tuels, tech­niques et scien­ti­fiques dont ils ont besoin est ain­si une défi­ni­tion géné­rale de l’ex­per­tise dans tous les pays de la Communauté.

Une dis­tinc­tion appa­raît, par contre, dès qu’on ana­lyse les moyens mis en œuvre et les obli­ga­tions de l’expert.

Dans un grand nombre sinon la plu­part des cas, il a une grande liber­té d’ac­tion dans le res­pect, bien sûr, des règles de procédure.

Dans quelques autres, cepen­dant, en Alle­magne par exemple, il doit s’en tenir aux faits qui lui sont sou­mis par le juge qui a, seul, la charge de les recueillir et n’a pas la pos­si­bi­li­té d’en­tendre de témoins à son ini­tia­tive, ce qui serait consti­tu­tif d’une recherche de faits réels ou allé­gués qui n’est pas de sa compétence.

Le juge peut, bien enten­du, s’il en a conve­nance, recher­cher à la demande de l’ex­pert des élé­ments com­plé­men­taires et les lui communiquer.

Il n’est, en quelque sorte, qu’un expert de la vali­di­té scien­ti­fique et tech­nique des seuls faits qui lui sont soumis.

Conflits susceptibles d’être soumis à expertise préalablement aux débats et au jugement ?
L’expertise est-elle obligatoire ?

L’ex­per­tise est pra­ti­que­ment tou­jours facul­ta­tive sauf dans cer­tains pays et dans cer­tains domaines très par­ti­cu­liers où elle est obli­ga­toire comme en Fin­lande quand il s’a­git d’af­faires mari­times ou dans le can­ton de Vaud quand il s’a­git d’es­ti­ma­tions d’immeubles.

Elle est pra­ti­que­ment tou­jours sus­cep­tible d’être ordon­née par le juge, que les par­ties le demandent ou d’of­fice et ce, pra­ti­que­ment, dans tous les domaines.

Si, en France, l’exa­men pour avis des pro­blèmes contrac­tuels est sou­vent deman­dé ou consi­dé­ré comme impli­ci­te­ment com­pris dans la mis­sion (le clas­sique » qui a fait quoi ?  » et » qui devait faire quoi ? » au vu des docu­ments contrac­tuels), tel n’est pas le cas, sauf excep­tions bien sûr, en Angle­terre et en Allemagne.

Il n’est deman­dé, en règle géné­rale, à l’ex­pert que de don­ner son avis sur la vali­di­té scien­ti­fique et tech­nique des élé­ments de preuves qui lui sont soumis.

Un avis de pur droit peut, tou­te­fois, être excep­tion­nel­le­ment deman­dé à l’ex­pert, en Alle­magne, si le contrat en cause a été pas­sé sous l’empire d’un droit étran­ger que le juge ignore et sur lequel il a besoin d’être éclairé.

À l’ex­cep­tion des pays du Bene­lux et, pour ceux aux­quels nous nous inté­res­sons ici, de l’I­ta­lie, il n’est géné­ra­le­ment pas dis­tin­gué, contrai­re­ment à ce qui se passe en France, entre consta­ta­tion, consul­ta­tion et exper­tise (à l’ex­cep­tion de l’I­ta­lie où une pro­cé­dure de constat est pré­vue en cas d’urgence).

L’Al­le­magne connaît un équi­valent de notre exper­tise » in futu­rum « , celle de l’ar­ticle 145 du NCPC, au motif de la conser­va­tion des preuves et de l’in­té­rêt que le plai­deur peut avoir à obte­nir, avant de faire tran­cher le fond du pro­cès, que soient prises des dis­po­si­tions éven­tuel­le­ment pro­vi­soires mais sus­cep­tibles d’é­vi­ter l’ir­ré­mé­diable ou, au moins, la sur­ve­nance de pré­ju­dices irréparables.

Rôle, situation et statut de l’expert

Il faut, ici, dis­tin­guer la situa­tion des pays de Com­mon Law (Angle­terre, Pays de Galles et Irlande notam­ment) et ceux de droit civil.

Dans ces der­niers, l’ex­pert, dési­gné par le tri­bu­nal ou la Cour, n’a de comptes à rendre qu’au juge mandant.

Il est consi­dé­ré, le plus sou­vent, comme auxi­liaire du juge (Alle­magne, Espagne et France notam­ment) et est dési­gné, géné­ra­le­ment, par réfé­rence à des listes exis­tantes sans qu’il y ait, là, d’o­bli­ga­tion contrai­gnante, au moins dans le cas de l’ex­per­tise dans la matière civile.

En France, de telles listes sont éta­blies au niveau des cours d’ap­pel et de la Cour de cassation.

En Ita­lie, il en existe au niveau des pro­vinces, sur les­quelles les tech­ni­ciens sont ins­crits après avoir satis­fait à des exa­mens d’É­tat devant des Com­mis­sions de magis­trats et de professionnels.

Dans un grand nombre de pays, l’Al­le­magne par exemple, les listes dont se sert le juge sont éta­blies par les Chambres de com­merce, d’in­dus­trie ou de métiers, les orga­nismes pro­fes­sion­nels ou les Ordres pour ce qui concerne les pro­fes­sions réglementées.

En Espagne, l’ex­pert peut être un membre du per­son­nel admi­nis­tra­tif de la jus­tice, appar­te­nir à un corps d’ex­perts sous contrat avec la Chan­cel­le­rie ou, tech­ni­cien diplô­mé ou non, selon l’ob­jet de l’ex­per­tise, être à ce titre col­la­bo­ra­teur occa­sion­nel de la jus­tice (comme, en France, quand il est com­mis par la jus­tice administrative).

Il peut être inté­res­sant de noter que ce n’est qu’en Alle­magne que l’ins­crip­tion sur ces listes » pro­fes­sion­nelles » est sou­mise à un exa­men orga­ni­sé à la dili­gence de l’ins­ti­tu­tion qui les éta­blit et que ce n’est qu’a­près y avoir réus­si que l’ex­pert est recon­nu comme » expert publi­que­ment recon­nu et asser­men­té » et a droit à l’u­sage d’un sceau mar­quant sa recon­nais­sance. Ces listes existent dans cha­cun des Län­der et l’é­ven­tua­li­té de l’é­ta­blis­se­ment d’une liste fédé­rale est, appa­rem­ment, exa­mi­née mais aucune déci­sion ne serait encore prise.

Le cas des pays de Com­mon Law est évi­dem­ment dif­fé­rent et, tra­di­tion­nel­le­ment, n’exis­taient que les experts des par­ties, experts témoins (l’ex­pert wit­ness) dont la recon­nais­sance (leurs rap­ports seront remis à la Cour) n’ex­clut, bien enten­du, pas que dans tous les cas les par­ties puissent avoir recours à tels autres conseils tech­niques qu’elles sou­hai­te­raient consulter.

Ces experts témoins sont conseils de ceux qui les ont choi­sis, liés à eux par un contrat de pres­ta­tions de ser­vices, mais sont, par ailleurs, débi­teurs vis-à-vis de la Cour ou des Tri­bu­naux d’une obli­ga­tion de com­pé­tences et de dili­gences, de neu­tra­li­té et d’in­dé­pen­dance, morales et éco­no­miques, et, à l’é­gard de leurs clients, d’ob­jec­ti­vi­té et de disponibilité.

Le res­pect de ces cri­tères est d’a­bord gage de leur cré­di­bi­li­té vis-à-vis du juge.

Leur déon­to­lo­gie est défi­nie et contrô­lée par les asso­cia­tions ou ordres aux­quels ils appar­tiennent ou dont ils dépendent.

Leur Com­mis­sion, à la dili­gence des Sol­li­ci­tors et Bar­ris­ters, est subor­don­née à une auto­ri­sa­tion expli­cite de la Cour qui peut en limi­ter le nombre.

Alter­na­ti­ve­ment, depuis la réforme pro­mue par Lord Wolff, en avril 1999, le juge peut dési­gner, comme dans les pays de droit civil, son expert et, appa­rem­ment au moins, recourt à cette solu­tion dans les cas les plus simples où il est par­ti­cu­liè­re­ment impor­tant d’é­vi­ter des batailles d’ex­perts, un allon­ge­ment des délais et un accrois­se­ment des coûts. Le juge se voit ain­si confié plus que dans la solu­tion tra­di­tion­nelle la maî­trise et la conduite du procès.

Il est inté­res­sant de noter ain­si que sans qu’elle soit très pré­ci­sé­ment codi­fiée, la déon­to­lo­gie de l’ex­pert com­mis par le tri­bu­nal, comme celle de l’ex­pert témoin, révèle un consen­sus en Europe sur les élé­ments à respecter :

  • la com­pé­tence et la diligence,
  • la neu­tra­li­té et l’indépendance,
  • l’ob­jec­ti­vi­té,
  • la dis­po­ni­bi­li­té.

Cri­tères aux­quels s’a­joute tout ou par­tie de ceux rat­ta­chés à la pos­ses­sion des diplômes, à la durée d’exer­cice de la pro­fes­sion, à la situa­tion éco­no­mique et dans cer­tains cas, comme en France depuis la réforme de 2004, la connais­sance de la pro­cé­dure expertale.

Seule, l’Al­le­magne, nous l’a­vons dit, a mis au moins en prin­cipe une condi­tion d’âge expli­cite (plus de 35 ans) et rap­pe­lé que les par­ties avaient le droit abso­lu de connaître, au moment où il est dési­gné, les qua­li­fi­ca­tions tech­niques et morales de l’expert.

En Espagne, une for­ma­tion par­ti­cu­lière à la pro­cé­dure exper­tale est don­née à ceux qui font par­tie du ser­vice de l’ad­mi­nis­tra­tion de la justice.

Les domaines où l’ex­pert est répu­té com­pé­tent sont plus ou moins larges selon les pays et, à cet égard, sont défi­nis avec une par­ti­cu­lière pré­ci­sion en Alle­magne et en Italie.

Quelques cas par­ti­cu­liers pour­raient être encore cités comme celui de l’An­gle­terre où, dans le domaine des pro­blèmes mari­times, l’ex­pert peut inter­ve­nir comme juge » pro­fane » ou » asses­seur tech­nique » du juge.

Dans tous les cas, pra­ti­que­ment, cette acti­vi­té au ser­vice du tri­bu­nal est consi­dé­rée comme une acti­vi­té de mis­sion et non une pro­fes­sion, bien qu’exer­cée sous forme libé­rale et ce, que l’ex­pert soit, ou non, salarié.

Les pro­cé­dures sui­vies pour la com­mis­sion de l’ex­pert sont, bien enten­du, variées mais, dans la majo­ri­té des cas, cette dési­gna­tion est à la dis­cré­tion des juges éven­tuel­le­ment au vu des pro­po­si­tions des par­ties qui ne les lient pas.

En Alle­magne, la Cour est liée par l’ac­cord des par­ties sur le nom d’un expert.

En Espagne, le juge cherche à obte­nir cet accord sinon il désigne trois experts entre les­quels on pro­cède à un tirage au sort.

Dans la plu­part des cas (Alle­magne, Ita­lie, France, etc.), les cas de récu­sa­tion de l’ex­pert sont les mêmes que pour ce qui concerne les juges tant sur le fond (liens avec les par­ties sous une forme ou sous une autre, connais­sance anté­rieure de l’af­faire, etc.), que sur la forme (dans un bref délai, après leur dési­gna­tion ou la révé­la­tion de la situa­tion en cause). Cette déci­sion est, en géné­ral, sans recours encore qu’en Alle­magne et en Espagne, il est pos­sible d’en for­mer un si le juge rejette la demande de récu­sa­tion présentée.

Dans les pays de Com­mon Law, la situa­tion se pré­sente évi­dem­ment dif­fé­rem­ment compte tenu du poids de la juris­pru­dence et de la rare­té, au moins en l’é­tat, de la dési­gna­tion d’ex­perts par la Cour, dési­gna­tion qui est tou­jours faite après consul­ta­tion des parties.

Pra­ti­que­ment dans tous les pays, l’ex­pert est libre de refu­ser cette dési­gna­tion, mais en Alle­magne et en Ita­lie, l’ex­pert pres­sen­ti a obli­ga­tion d’ac­cep­ter sa mis­sion sauf rai­son légi­time, de la nature de celle qui per­met­trait à un témoin de refu­ser de témoi­gner, et à défaut, dans le second cas, l’ex­pert peut encou­rir une amende.

En Alle­magne, en Espagne et en France, le juge peut dési­gner une per­sonne morale qui aura elle-même la charge de dési­gner l’ex­pert en son sein à moins (Alle­magne) qu’ils ne le soient simultanément.

En Angle­terre et en Ita­lie, l’ex­pert ne peut être qu’une per­sonne physique.

La mission de l’expert

Nous avons dit ci-avant que, dans la plu­part des cas, l’ex­per­tise est rare­ment ordon­née en réfé­ré contrai­re­ment à ce que consta­té en France (hors le cas de simples constats).

Au moment de défi­nir sa mis­sion, le juge a donc en mains les dos­siers struc­tu­rés des par­ties, il est en mesure de savoir ce dont il aura ulté­rieu­re­ment besoin et peut défi­nir la mis­sion de l’ex­pert au vu de ces ques­tions et, bien sûr, de celles posées par les parties.

En Alle­magne, il trans­met en tota­li­té les dos­siers des par­ties à l’ex­pert qui n’a pas, en prin­cipe, à recher­cher d’autres docu­ments ni, a for­tio­ri, d’autres faits que ceux exposés.

En Espagne, les ques­tions posées sont celles pro­po­sées par les par­ties au juge qui les reprend dans la mission.

En Ita­lie, après concer­ta­tion avec les par­ties, le juge fixe la mis­sion à par­tir des listes de ques­tions répu­tées per­ti­nentes qui lui ont été remises.

Notons, à cet égard, qu’en ce qui concerne les juri­dic­tions euro­péennes, la mis­sion doit être contra­dic­toi­re­ment débat­tue devant le juge en pré­sence des par­ties et, le cas échéant, du Minis­tère public avant la dési­gna­tion de l’expert.

Dans les pays de Com­mon Law, ce sont les ques­tions posées par l’une et l’autre par­tie qui déli­mitent la mis­sion et le juge pour­ra la com­plé­ter à leur demande mais rare­ment à sa seule initiative.

Inci­dem­ment, notons que l’ex­ten­sion de mis­sion, pos­sible en France avec l’ac­cord écrit de toutes les par­ties, n’a, appa­rem­ment, pas d’é­qui­valent dans les autres pays de l’U­nion euro­péenne (sauf, tou­te­fois, au Danemark).

En ce qui concerne le serment de l’expert

En Alle­magne, il est prê­té lors de l’ins­crip­tion sur la liste et, comme en France, n’a pas à être réitéré.

En Espagne et en Ita­lie, l’ex­pert prête ser­ment au moment où il accepte sa mis­sion ou lors de l’ou­ver­ture de ses opé­ra­tions, ora­le­ment ou par écrit.

C’est lors­qu’il dépose devant la Cour, par contre, qu’il prête ser­ment dans les pays de Com­mon Law.

Règles de procédure à respecter pendant l’exécution de la mission

Après avoir sou­li­gné le res­pect géné­ral en Europe du prin­cipe de la contra­dic­tion, nous avons dis­tin­gué ci-avant la
pro­cé­dure accu­sa­toire (cas géné­ral de la Com­mon Law, et, pour par­tie, au moins de la France dans la matière civile), de la pro­cé­dure inqui­si­toire (cas dans la matière pénale en France). La dis­tinc­tion n’y est, tou­te­fois, pas très tran­chée dans la mesure où la réforme de 1971 a ren­for­cé le rôle de direc­tion du pro­cès civil confié au juge. On peut se deman­der si l’on ne se trouve pas ain­si, chez nous, à mi-che­min entre la pro­cé­dure accu­sa­toire, domi­nante dans les pays de Com­mon Law, et la pro­cé­dure inquisitoire.

Dans le domaine de la Com­mon Law, l’ex­pert de la Cour, s’il y en a eu un de dési­gné, mène ses opé­ra­tions comme il l’en­tend et peut se rendre seul sur les lieux sans convo­quer les par­ties. L’ap­pré­cia­tion de ses opé­ra­tions est essen­tiel­le­ment effec­tuée à l’au­dience où inter­ro­ga­toires et contre-inter­ro­ga­toires se suc­cèdent. La pro­duc­tion des pièces (dis­co­ve­ry) est fon­da­men­tale même si elles doivent être défa­vo­rables à celui qui les com­mu­nique. Ne pas le faire ouvre la porte à une éven­tuelle injonc­tion du juge à la demande de l’autre par­tie et, en tout cas, empêche qu’il en soit fait état ultérieurement.

L’Al­le­magne (cf. ci-des­sus) connaît un sys­tème de type contra­dic­toire sous réserve qu’il n’est pas exclu que l’ex­pert tra­vaille entiè­re­ment et exclu­si­ve­ment sur les dos­siers qui lui ont été remis par le juge sans jamais ren­con­trer les par­ties. S’il se rend sur les lieux, c’est, tou­te­fois, avec elles, dûment convo­quées et qui peuvent se faire assis­ter par avo­cats et conseils techniques.

En Espagne, le contrôle des opé­ra­tions d’ex­per­tise est, en fait, de la res­pon­sa­bi­li­té des par­ties et leur convo­ca­tion, consi­dé­rée comme sou­hai­table, n’est pas impo­sée. Les docu­ments néces­saires sont remis à l’ex­pert par le juge ou par les experts des par­ties et celui com­mis par le tri­bu­nal peut leur deman­der direc­te­ment les élé­ments com­plé­men­taires qui lui sont néces­saires et entendre qui il veut sur des points tech­niques sans avoir à en rendre compte.

En Ita­lie, les opé­ra­tions d’ex­per­tise sont rigou­reu­se­ment contra­dic­toires. Le juge convoque la pre­mière réunion et l’ex­pert, les réunions sui­vantes avec obli­ga­tion de pré­ve­nir les par­ties de toutes ses opé­ra­tions pour qu’elles puissent y assis­ter. L’ex­pert demande les docu­ments dont il a besoin mais nul, même le juge, ne peut obli­ger les par­ties à les remettre même par voie d’injonction.

C’est cer­tai­ne­ment en France que les modes opé­ra­toires et les condi­tions pro­cé­du­rales à res­pec­ter sont le plus détaillés et offrent à l’ex­pert des pos­si­bi­li­tés par­ti­cu­liè­re­ment larges dans le strict res­pect du contradictoire.

Conditions dans lesquelles l’expert peut se faire assister et contribuer, ou non, à la conciliation des parties ? Délais impartis

Ce qui est pres­crit à cet égard est pra­ti­que­ment iden­tique dans tous les pays de l’U­nion européenne.

La mis­sion est stric­te­ment per­son­nelle et l’ex­pert est com­mis intui­tu per­sonæ.

Il ne peut recou­rir au concours de ses assis­tants ou col­la­bo­ra­teurs que pour des actions secon­daires et mineures et, bien enten­du, sous son contrôle et sa res­pon­sa­bi­li­té. On peut noter, tou­te­fois, que les pos­si­bi­li­tés de faire appel à des col­la­bo­ra­teurs d’un cer­tain niveau sont plus larges en pays de Com­mon Law (pour ce qui concerne l’ex­pert de la Cour), que le recours au » Sapi­teur « , terme d’ailleurs ancien et pour par­tie obso­lète – c’est-à-dire le recours, par l’ex­pert com­mis, à un tech­ni­cien assis­tant com­pé­tent dans un domaine dif­fé­rent du sien et sur un point par­ti­cu­lier – est inter­dit en Alle­magne qui ne connaît que le co-expert dési­gné par le juge. La situa­tion est la même en Ita­lie encore que, dans ce der­nier cas, le recours direct à un labo­ra­toire ou à un centre de cal­culs est pos­sible sur déci­sion de l’ex­pert qui devra, tou­te­fois, recueillir l’au­to­ri­sa­tion du juge.

En Alle­magne, en Espagne et en France, l’ex­pert n’a pas pour mis­sion de conci­lier les par­ties et n’est pas non plus inci­té à le faire. Il lui revient seule­ment, si d’a­ven­ture la situa­tion se pré­sente, d’en faire rap­port au juge qui seul peut le des­sai­sir… ce qui ne l’empêche pas, bien sûr, d’y contri­buer par l’ex­pres­sion d’un avis moti­vé de qualité.

En Ita­lie (sous réserve d’un régime par­ti­cu­lier pour les exper­tises comp­tables où l’ex­pert peut rece­voir une telle mis­sion et signe­ra le pro­cès-ver­bal en cas de suc­cès), la règle est la même, mais l’ex­pert peut col­la­bo­rer avec le juge dans la ten­ta­tive qu’il fait de conci­lier les parties.

Les délais impar­tis à l’ex­pert pour l’exé­cu­tion de sa mis­sion et, ipso fac­to, la date de dépôt du rap­port ou celle de l’au­dience où il en sera débat­tu, sont très géné­ra­le­ment fixés dans la déci­sion ini­tiale, par le juge qui, seul, sur demande moti­vée de l’ex­pert et éven­tuel­le­ment des par­ties, peut les pro­ro­ger s’il l’es­time acceptable.

En Alle­magne, tou­te­fois, le délai com­plé­men­taire est, en géné­ral, seule­ment de trente jours et n’est renou­ve­lable qu’une fois.

En Espagne, pour ce qui concerne le troi­sième expert (com­mis par le juge à côté des experts des par­ties), une dili­gence par­ti­cu­lière lui est deman­dée faute de quoi il risque d’être des­sai­si. Les délais sont fixés par le juge qui peut les modi­fier même sans accord des par­ties comme en France où, comme en Ita­lie, les demandes moti­vées peuvent éma­ner tant de l’ex­pert que des parties.

Déroulement des opérations d’expertise et dépôt du rapport

Alors qu’en France, où le juge n’est pas des­sai­si par la dési­gna­tion de l’ex­pert, il a été ins­ti­tué pra­ti­que­ment par­tout un juge du contrôle de l’ex­per­tise qui peut d’ailleurs, sauf déci­sion par­ti­cu­lière, n’être ni celui qui a com­mis l’ex­pert ni celui qui juge­ra du litige, dans beau­coup de pays de l’U­nion euro­péenne, le tri­bu­nal sai­si au fond, ou un juge rap­por­teur en son sein exerce ce contrôle tant en ce qui concerne le res­pect des règles de pro­cé­dure que les méthodes ou moyens mis en œuvre en cas de plainte des parties.

En Alle­magne et en Espagne, au moins en prin­cipe et sauf cas par­ti­cu­lier, l’ex­pert n’a pas à faire rap­port au juge de l’a­van­ce­ment de ses opérations.

En Ita­lie, le juge décide de l’op­por­tu­ni­té de rap­ports inter­mé­diaires et, au moins en prin­cipe, se fait faire rap­port de l’a­van­ce­ment des opé­ra­tions d’expertise.

Dans les pays de Com­mon Law, le juge ne contrôle pra­ti­que­ment que le res­pect des délais impar­tis et s’en remet aux par­ties pour le reste.

Dans le cas le plus géné­ral et dans tous les pays, le rap­port, adres­sé au tri­bu­nal qui le dif­fuse aux par­ties, est écrit et n’a valeur que de ren­sei­gne­ment pour le juge qui n’est pas lié et n’a pas à moti­ver par­ti­cu­liè­re­ment sa déci­sion s’il ne suit pas l’a­vis de l’expert.

Contrai­re­ment à ce qui se passe en France, en Alle­magne il est pré­vu, à la demande des par­ties ou du juge, une dépo­si­tion de l’ex­pert à l’au­dience, ce qui, par contre, est très rare­ment envi­sa­gé en Espagne et en Italie.

Que ce soit en Alle­magne, en Espagne, en Ita­lie et d’ailleurs en France, la demande, après dépôt du rap­port, d’un com­plé­ment d’ex­per­tise ou d’une contre-exper­tise est pos­sible mais sou­mise à la sou­ve­raine appré­cia­tion du juge et, en fait, rare­ment ordonnée.

Cette éven­tua­li­té est essen­tiel­le­ment envi­sa­gée en cas d’ex­per­tise incom­plète ou fon­dée sur des bases erro­nées ou encore si des contra­dic­tions internes sont notées dans le rap­port (Alle­magne), si les règles de pro­cé­dure n’ont pas été res­pec­tées (Alle­magne et Ita­lie) ou encore en cas de non-dépôt du rap­port ou de col­lu­sion avec les par­ties qui entraî­ne­rait la nul­li­té de l’ex­per­tise (Espagne).

Dans les pays de Com­mon Law, le juge, qui reste tota­le­ment libre de sa déci­sion, ne pren­dra géné­ra­le­ment une telle mesure que s’il constate d’im­por­tantes contra­dic­tions de fond entre les rap­ports qui lui sont sou­mis et dont il aura été débat­tu. Tel est le cas, en par­ti­cu­lier, s’il relève des contra­dic­tions entre les rap­ports de deux témoins experts d’une même partie.

Risques inhérents à la fonction et responsabilités encourues

Sous l’empire de la Com­mon Law, s’a­gis­sant tant du témoin expert (expert wit­ness) que de l’ex­pert des par­ties, sa res­pon­sa­bi­li­té vis-à-vis du client est d’ordre contrac­tuel et donc traditionnel.

Dans de rares cas, des pour­suites ont été enga­gées pour faux témoi­gnages, insultes à la Cour et autres délits graves.

Pour ce qui concerne les experts dési­gnés par les cours et tri­bu­naux, ceux, donc, qua­li­fiés d’ex­perts judi­ciaires, les risques encou­rus au titre des vices du rap­port et des fautes per­son­nelles com­mises sans volon­té de nuire ni vio­la­tion du ser­ment, s’il y en a eu, sont très géné­ra­le­ment de nature délic­tuelle. À ce titre, ils sont sou­mis au droit com­mun et les consé­quences des res­pon­sa­bi­li­tés encou­rues assu­rables au titre de leur res­pon­sa­bi­li­té civile.

Le cri­tère le plus géné­ra­le­ment rete­nu est le fait, pour l’ex­pert, d’a­voir mis en œuvre des connais­sances insuf­fi­santes par rap­port à celles qu’au­rait dû mettre en œuvre un expert nor­ma­le­ment actif et diligent.

Les éven­tuels dom­mages cau­sés aux par­ties par erreurs, retards, refus injus­ti­fiés d’ac­cep­ta­tion de sa mis­sion ou autres seront pris en compte dans les mêmes condi­tions. L’ex­pert est, bien enten­du, res­pon­sable de ses collaborateurs.

Si, en France, les rap­ports à ce titre entre la Cour et l’ex­pert res­sortent à l’Ordre judi­ciaire alors qu’ils sont de droit public en Alle­magne, ceux entre l’ex­pert et les par­ties res­sortent pra­ti­que­ment dans tous les cas de la com­pé­tence des Tri­bu­naux de l’Ordre judiciaire.

Compléments en ce qui concerne les règles de déontologie applicables

Au-delà de ce qui est dit ci-avant, il est pro­ba­ble­ment inté­res­sant d’in­sis­ter sur trois cri­tères majeurs dont le res­pect s’im­pose à l’ex­pert avec force et dont il doit véri­fier qu’il lui sera pos­sible d’y satis­faire avant même d’ac­cep­ter la mis­sion que lui pro­pose le juge.
Il s’a­git de :

  • sa dis­po­ni­bi­li­té ? : pour­ra-t-il rai­son­na­ble­ment res­pec­ter les délais impartis ?
  • sa com­pé­tence ? : est-il en mesure de consi­dé­rer que la sienne est réelle et recon­nue dans le domaine tech­nique où il lui est pro­po­sé d’intervenir ?
  • sa non-récu­sa­bi­li­té ? : son indé­pen­dance est-elle assu­rée au regard de l’i­den­ti­té des par­ties (et, plus, l’ap­pa­rence de cette indépendance).

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