Portrait de Frédéric MORLOT (01)

Frédéric Morlot (2001) espace de liberté, espace d’absolu

Dossier : TrajectoiresMagazine N°697 Septembre 2014
Par Pierre LASZLO

Frédéric Mor­lot (2001) est un homme heureux. Enseignant les math­é­ma­tiques en pré­pa à Sainte-Geneviève, à Ver­sailles, aux « meilleurs élèves de France », il vient d’y achev­er sa pre­mière année.

Il adore son méti­er, s’y con­sacre qua­tre-vingts heures par semaine. La pré­pa­ra­tion de ses cours lui prend « env­i­ron trois cents heures pen­dant l’été, et de une à trois heures par jour pen­dant l’année ».

Un rêve un peu fou

Il conçoit son enseigne­ment comme une ini­ti­a­tion à la recherche en maths pour les plus motivés, bien con­scient que par­mi ses élèves se trou­vent quelques-uns des futurs math­é­mati­ciens pro­fes­sion­nels des années 2020.

Mais il se veut aus­si médi­a­teur d’une cul­ture tous azimuts : cos­molo­gie, géo­gra­phie, zoolo­gie, ethno­gra­phie et lin­guis­tique, lors de digres­sions ludiques, pleines d’humour, détentes d’avec les maths pures et dures.

Car Frédéric Mor­lot est d’une curiosité insa­tiable, mul­ti­dis­ci­plinaire, digne du temps des Lumières.

Il rêve « d’un lycée human­iste, où on remette au goût du jour les plus beaux savoirs de l’honnête homme de la Renais­sance : astronomie, latin, grec, anatomie.

« Pour l’instant un rêve un peu fou, mais qui sait, peut-être un jour réal­ité ? En tout cas mon expéri­ence d’enseignant pour­rait y trou­ver un développe­ment inattendu. »

Pour citer l’un des ses élèves, Antoine Kamin­s­ki, « il n’hésite pas à nous faire des petites ‘paus­es cul­tures’ quand il voit que la classe décroche, c’est assez agréable.

Très bon prof qui m’a même con­ver­ti au con­cours de la Fédéra­tion française des jeux math­é­ma­tiques que nous avons passé ensemble. »

La musique, bien sûr

Frédéric Mor­lot ajoute à ces escapades « la musique, bien sûr », car il est vio­loniste, à un niveau qua­si professionnel.

Issu de trois généra­tions de musi­ciens, ayant com­mencé le vio­lon à seule­ment cinq ans, entré à onze ans au con­ser­va­toire de Lyon, il s’initia au jazz à quinze ans, après un séjour en Angleterre, et joue à présent avec des amis, dont François May­er (45), dans dif­férents caveaux parisiens.

C’est au cours d’académies d’été qu’il com­mença à pra­ti­quer lui-même le jazz, avant de devenir un habitué des jam-ses­sions parisiennes.

« Autant à l’aise en jazz manouche qu’en jazz con­tem­po­rain » (dix­it Jean Salmona), il est un digne suc­cesseur de Stéphane Grap­pel­li ou Jean-Luc Pon­ty, bril­lants pio­nniers du genre.

De temps à autre, il rem­place avec leur encour­age­ment les tit­u­laires, Thier­ry Escaich et Vin­cent Warnier, à l’orgue de Saint-Éti­enne-du- Mont. Impro­vis­er sur cet instru­ment lui est une grande joie.

La démar­ca­tion de la musique et des maths lui est claire, la pre­mière est pour lui roy­aume de la lib­erté par l’improvisation, la sec­onde le règne d’une rigueur extrême et de raison­nements parfaits.

« L’amour et la musique sont irré­ductibles aux maths. » Mais l’aspect esthé­tique d’une belle démon­stra­tion a une réso­nance pro­fonde en lui.

Anselme Lanturlu

Né en 1982, fils d’un archi­tecte de Lyon et d’une mère chirurgien, il acquit tôt sa voca­tion pour les maths. Les Lego lui ont don­né le goût de « con­stru­ire les choses dans la tête ».

Il attribue son goût pour les maths à ses lec­tures, comme le pré­cise le préam­bule à sa thèse de doc­tor­at : « J’en prof­ite pour saluer tous les autres guides que j’ai trou­vés sur le chemin des belles math­é­ma­tiques, de Marie-Claude Guillemin pour mes pre­miers pas à mon oncle Jean et aux rédac­teurs de la revue Tan­gente pour ma jeunesse, en pas­sant pas Jean-Pierre Petit, ses énig­ma­tiques illus­tra­tions du retourne­ment de la sphère et ses mer­veilleux albums d’Anselme Lan­turlu. »

“D’abord observer, puis prédire”

Lorsque, après hypotaupe et taupe, vin­rent les con­cours, il se présen­ta, entre autres, à l’X, à l’ENS Lyon et à la rue d’Ulm. Son ambi­tion était en effet d’entrer à l’École nor­male supérieure pour y faire des maths de pointe.

Mais il échoua à la rue d’Ulm, la planche de physique fut désas­treuse : « Je suis passé dans les derniers, fin juil­let. Cela m’avait per­mis de me tenir au courant des sujets chauds.

« Toute la semaine avant fut con­sacrée à la mécanique, un de mes thèmes de prédilec­tion. Mal­heureuse­ment, je suis tombé sur les trans­ferts ther­miques, sur lesquels j’avais à peu près com­plète­ment fait l’impasse.

La désta­bil­i­sa­tion due à mes efforts pour rassem­bler quelques bribes de sou­venirs sur le sujet, la fatigue accu­mulée pen­dant les oraux précé­dents ont eu rai­son de moi. J’ai enchaîné bourde sur bourde. Mag­nanime, l’examinateur m’a coupé au bout de trente min­utes, me deman­dant si j’avais fait l’impasse sur le sujet.

Si mes sou­venirs sont bons il m’a mis 09/20, ce qui était réd­hibitoire. Mon plus grand regret est d’avoir déçu mon pro­fesseur de spé­ciale en physique, pour lequel j’ai une admi­ra­tion et main­tenant une ami­tié sans réserve. »

Le sanctuaire des maths

Admis à l’X et à l’ENS Lyon, il eut quelque peine à choisir. En défini­tive, il entra à l’X. Il choisit l’aviron, comme sec­tion sportive, qui lui lais­sa d’excellents sou­venirs. Il s’y pas­sion­na pour les cours de maths, enseignés par Jean Lannes, Fran­cis Comets, Philippe Robert, Jean Barge, Pierre Colmez, Jean-Michel Bony ; ain­si que Jean Salençon, en mécanique.

Il y prit goût pour des math­é­ma­tiques ori­en­tées par des appli­ca­tions à la vie réelle, mod­éli­sa­tions prob­a­bilistes, réseaux de com­mu­ni­ca­tion, représen­ta­tions diverses.

Sor­ti de l’École dans le corps des Télé­com­mu­ni­ca­tions, son appé­tence pour les math­é­ma­tiques intacte et même accen­tuée, il opta pour une for­ma­tion par la recherche.

Il pré­para une thèse de doc­tor­at en géométrie sto­chas­tique – il acquit le goût des prob­a­bil­ités de Thomas Bonald, l’un de ses pro­fesseurs –, sous la super­vi­sion de François Bac­cel­li qu’il con­nais­sait pour avoir, ado­les­cent, lu ses arti­cles dans Pour la sci­ence.

Bac­cel­li tra­vail­lait à l’École nor­male supérieure. Frédéric Mor­lot accé­dait enfin à ce « sanc­tu­aire » de la recherche en maths.

Il y étu­dia les mou­ve­ments de foule dans les grandes villes, aux­quels la télévi­sion nous habit­ua ces dernières années : « D’abord observ­er, puis prédire » les rassem­ble­ments dits spon­tanés, incités par des francs-tireurs, des dissidents.

Un autodidacte multiple

Il pas­sa par un cab­i­net min­istériel, con­seiller tech­nique de NKM, secré­taire d’État au numérique. Il se décou­vrit tar­di­ve­ment, à vingt-cinq ans, une bien réelle voca­tion pour l’enseignement ; puis se présen­ta à vingt-neuf ans à l’agrégation de math­é­ma­tiques, et la réus­sit sans s’y être investi à fond, car acca­paré par la vie pro­fes­sion­nelle (ingénieur chez Orange, et fin de thèse) ; puis fut recruté pro­fesseur en pré­pa à Sainte-Geneviève.

Pour dire un mot de son rel­a­tive­ment bref pas­sage comme ingénieur chez France Télé­com, son car­ac­tère chaleureux lui fit de nom­breux amis tout autour de lui : « Salah et sa rigueur math­é­ma­tique, Benoît, son sourire et sa disponi­bil­ité, Zwi, sa clar­inette et son sax­o­phone, Olfa et ses pâtis­series, Arturo et son cognac, Jean-Bap­tiste et ses anec­dotes, Jean-Marc et sa mon­tagne, Berna et sa chorale, Frédéric et ses cig­a­res, Max et son rire, Zbig­niew et son flegme, Thomas et son jazz, Ana-Maria et sa palin­ka, Cezary et sa vod­ka, Fabi­en et son whisky, Math­ieu et ses balles à jon­gler, Frédérique et ses chocolats. »

Les cama­rades de lab­o­ra­toire à l’INRIA furent tout aus­si nom­breux à l’apprécier. Frédéric Mor­lot est en effet à la fois un extraver­ti et un garçon épris de soli­tude ; d’où ses mul­ti­ples appren­tis­sages en autodidacte.

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