Épargne-retraite : avons-nous le choix ?

Dossier : Les placements financiersMagazine N°540 Décembre 1998Par : Jean-Paul GIRES, directeur Cardif

La finalité de l’épargne-retraite

La ten­dance à la baisse des ren­de­ments de la retraite par répar­ti­tion, ten­dance iden­ti­fiée par le Livre blanc de 1991, est main­tenant admise. Toutes les pro­jec­tions publiques ou privées con­sta­tent cette ten­dance, qui con­cerne tous les régimes de répartition.

En pre­mier lieu, les taux de rem­place­ment, c’est-à-dire le rap­port entre le mon­tant de la retraite à sa liq­ui­da­tion et le dernier salaire, vont baiss­er forte­ment ; le tableau ci-après en donne un aperçu syn­thé­tique pour qua­tre caté­gories de salariés du secteur privé.

La baisse du taux de rem­place­ment sera bien enten­du d’au­tant plus faible que le salaire est élevé. Ain­si le cadre supérieur âgé actuelle­ment de 45 ans aura à son départ à 65 ans un taux de rem­place­ment de 42 %, au lieu de 51 % pour son alter ego par­tant actuelle­ment à la retraite, soit une baisse de pou­voir d’achat de 18 %. Celui âgé de 25 ans, par­tant à la retraite en 2036, aura un pou­voir d’achat réduit de 27 %. Le taux de rem­place­ment le plus men­acé sera celui des cadres ayant une car­rière forte­ment progressive.

Les prob­lèmes de finance­ment de la répar­ti­tion devenant de plus en plus aigus, les retraites de cadres supérieurs seront nor­male­ment les moins soutenues dans les arbi­trages des années à venir pour chercher à lim­iter l’évo­lu­tion à la baisse des pensions.

Caté­gories Taux de rem­place­ment au départ à la retraite
actuel en 2006 en 2016 en 2026 en 2036
Ouvrier
Employé
Cadre moyen
Cadre supérieur
80%
72%
59%
51%
74%
66%
55%
48%
68%
61%
49%
42%
67%
59%
47%
40%
65%
57%
45%
37%

(Source : Cardif)

En sec­ond lieu, les pen­sions en ser­vice con­tin­ueront à se dégrad­er au cours de la vie du retraité, en ter­mes de pou­voir d’achat, du fait de la baisse atten­due de la valeur de ser­vice des points de retraite par rap­port à l’in­fla­tion. Cette baisse inter­vient déjà dis­crète­ment. C’est ain­si que les pen­sions d’un cadre moyen par­ti à la retraite en 1990 avaient subi en juil­let 1997 une baisse de pou­voir d’achat de 6,4 %.

Le tableau ci-dessous donne des pro­jec­tions de cette dégra­da­tion de pou­voir d’achat pour un cadre supérieur par­tant à la retraite avec un salaire de fin de car­rière de 800 000 F.

Départ
à la retraite
à 65 ans
en
Taux de remplacement
au départ à 75 ans
(+ 10 ans)
à 85 ans
(+ 20 ans)
1996
2006
2016
2026
51%
48%
42%
40%
46% (-10%)
43% (-10%)
40% (-5%)
38% (-5 %)
42% (-18%)
41% (-15%)
39% (-7%)
37% (-8%)
(Source : Cardif)

Ces taux de rem­place­ment sont “bruts” (avant prélève­ments soci­aux). Il faut aus­si s’at­ten­dre à ce que les prélève­ments actuels sur les pen­sions soient pro­gres­sive­ment aug­men­tés, les retraités étant notam­ment les plus impor­tants con­som­ma­teurs des presta­tions de san­té. D’autres fac­teurs pour­ront inter­venir, comme la réduc­tion pro­gres­sive de l’a­bat­te­ment fis­cal spé­ci­fique de 10 % sur les pen­sions, dont le pla­fon­nement baisse périodiquement.

La sortie en rente viagère

La col­lec­tiv­ité aura à faire des efforts très impor­tants de sou­tien aux régimes de retraite par répar­ti­tion. Les réformes passées et futures ont util­isé et utilis­eront un ensem­ble de moyens à car­ac­tère con­traig­nant : aug­men­ta­tion des taux d’ap­pel de coti­sa­tion, sans créa­tion de points nou­veaux cor­re­spon­dants ; mod­i­fi­ca­tions des modes de cal­cul per­me­t­tant d’a­juster à la baisse les presta­tions ; sus­pen­sion ou réduc­tion des taux de revalorisation…

Le relève­ment général des taux de coti­sa­tions serait en revanche dif­fi­cile à utilis­er. Il est admis que de nou­velles aug­men­ta­tions générales, suc­ces­sives et oblig­a­toires des taux de coti­sa­tions ne pour­raient être envis­agées, tout au moins à hau­teur de l’ob­jec­tif de con­sol­i­da­tion des taux de rem­place­ment passés, tant est forte l’aver­sion à une aug­men­ta­tion des prélève­ments obligatoires.

Ces mesures à car­ac­tère oblig­a­toire ne pou­vant suf­fire, l’in­térêt de la col­lec­tiv­ité est d’en­cour­ager les salariés à être prévoy­ants en trans­for­mant volon­taire­ment une par­tie de leur capac­ité d’é­pargne en revenus com­plé­men­taires de retraite.

L’ob­jec­tif de l’é­pargne-retraite est ain­si de pou­voir con­stituer des revenus récur­rents com­plé­men­taires, pour les retraités et pour leurs con­joints sur­vivants, tout au long de leur vie, dont la durée con­tin­uera à s’al­longer. Il ne s’ag­it pas d’un besoin d’é­pargne liq­uide sor­tant en cap­i­tal, qui est déjà sat­is­fait par le nom­bre élevé de pro­duits diver­si­fiés déjà disponibles. Tous les salariés sont en quelque sorte con­damnés à cet effort de trans­for­ma­tion de leur épargne vers le long terme.
Pour con­stituer ces revenus récur­rents, les rentes sont le seul instru­ment appro­prié, du fait de leur péren­nité viagère et de la garantie de cap­i­tal et de reval­ori­sa­tion don­née sur très longue péri­ode, y com­pris pen­dant les années où le béné­fi­ci­aire ou son con­joint sur­vivant pour­rait avoir per­du ses moyens de ges­tion d’é­pargne (sinon être en état de dépendance).

L’al­ié­na­tion du cap­i­tal qui car­ac­térise les rentes viagères per­met en par­ti­c­uli­er d’u­tilis­er effi­cace­ment les nou­velles oblig­a­tions du Tré­sor indexées sur l’in­fla­tion mais surtout des emplois impor­tants en actions. Il serait pos­si­ble, du fait de la dura­tion très longue de l’é­pargne-retraite, d’en aug­menter sub­stantielle­ment le ren­de­ment par l’emploi des actions. Les investisse­ments con­sid­érables en actions accu­mulés par les fonds de pen­sion améri­cains mon­trent claire­ment le chemin.

Le niveau de l’effort d’épargne-retraite

Pour com­penser la baisse de ren­de­ment des retraites par répar­ti­tion, l’ef­fort opti­mum d’é­pargne devrait être de l’or­dre de 6 % du revenu des ménages salari­aux, quelles que soient les caté­gories professionnelles.

Cet effort est-il com­pat­i­ble avec la capac­ité d’é­pargne des ménages ? Le taux d’é­pargne finan­cière, c’est-à-dire la part du revenu disponible brut des ménages employée par ceux-ci pour leur accu­mu­la­tion finan­cière, a été de 8,1 % en 1995, de 6,7 % en 1996, de 10,1 % en 1997 (représen­tant un flux de plus de 400 mil­liards de francs).

Les ménages salari­aux ont ain­si une large capac­ité d’ori­en­ter à leur con­ve­nance une par­tie de leur épargne liq­uide vers une épargne-retraite longue.

Le soutien de l’État : une ardente obligation

Cepen­dant, cet effort de con­sti­tu­tion d’un revenu récur­rent dif­féré, sous forme de rente viagère, vient en con­cur­rence avec les autres pro­duits d’é­pargne, tous plus ou moins rapi­de­ment liq­uides. La renon­ci­a­tion à la liq­uid­ité sup­pose une con­trepar­tie apportée par la col­lec­tiv­ité. L’en­cour­age­ment le plus effi­cace passe par un avan­tage fis­cal et social sur les verse­ments, c’est-à-dire au moment de l’ef­fort d’é­pargne. Il s’ag­it pour la col­lec­tiv­ité d’un dif­féré de recettes, les presta­tions servies étant ensuite imposées et taxées nor­male­ment comme des pen­sions. Le sys­tème existe déjà pour de nom­breuses pro­fes­sions : fonc­tion­naires et assim­ilés, pro­fes­sions libérales, com­merçants, arti­sans, exploitants agri­coles (cf. la récente loi du 18 novem­bre 1997), sauf pour les salariés du secteur privé…

Ce sou­tien est aus­si souhaitable à terme pour la col­lec­tiv­ité. Faute d’é­pargne-retraite, il est prévis­i­ble que les retraités, pour main­tenir un niveau sat­is­faisant de con­som­ma­tion, devraient non seule­ment cess­er d’é­pargn­er mais aus­si dés­tock­er de façon sig­ni­fica­tive leur épargne con­sti­tuée. Cette épargne dés­tock­ée ne pour­ra être reprise par les salariés, faute pour eux aus­si de capac­ité suff­isante à épargn­er. La mise en place rapi­de de l’é­pargne-retraite devrait ain­si con­tribuer à réduire d’au­tant l’ef­fet réces­sion­niste qui devrait résul­ter de la baisse générale de la capac­ité à épargner.

Pour sa part, l’en­tre­prise, lieu de légitim­ité recon­nu des salariés pour la con­sti­tu­tion de leurs revenus dif­férés de retraite, a le devoir moral d’en­cour­ager par un abon­de­ment un tel effort d’é­pargne sur le long terme.

La retraite des salariés se définit comme un ensem­ble de flux de revenus viagers : aux revenus réguliers des salaires pen­dant la vie active se sub­stituent, au départ à la retraite, des revenus de rem­place­ment, les pen­sions, pen­dant toute la durée de vie du retraité et de son con­joint (réver­sion). L’é­pargne-retraite a comme final­ité de lim­iter la baisse atten­due du ren­de­ment des pen­sions. Sa prob­lé­ma­tique n’est pas celle de la ges­tion de l’é­pargne liq­uide ou d’élé­ments du pat­ri­moine, mais de la con­sti­tu­tion de revenus com­plé­men­taires récurrents.

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