Les trois grands piliers de la « co-innovation urbaine » pour Efficacity en 2019/20.

Accompagner les territoires dans leur transition énergétique

Dossier : Vie des entreprisesMagazine N°752 Février 2020
Par Michel SALEM-SERMANET (86)

L’ins­ti­tut Effi­ca­ci­ty a pour ambi­tion de deve­nir un acteur de réfé­rence en Europe dans l’accélération des inno­va­tions au ser­vice de la ville durable, en misant sur les par­te­na­riats publics-pri­vés. Ren­contre avec le Direc­teur Géné­ral d’Efficacity, Michel Salem-Ser­ma­net (86).

Vous avez récemment fêté le 5e anniversaire de l’Institut pour la Transition Énergétique de la ville. Dites-nous-en plus sur sa création.

Face à l’urgence cli­ma­tique, l’État a sou­hai­té accé­lé­rer le rythme, par­fois trop lent, du pas­sage de la R&D au déploie­ment d’innovations à grande échelle. Cela signi­fie « faire de la recherche autre­ment », et en par­ti­cu­lier faire mieux tra­vailler ensemble la recherche publique et les entre­prises pri­vées. Pour y par­ve­nir, l’État a ain­si créé en 2013 et 2014 une dizaine d’instituts de R&D publics-pri­vés sur la thé­ma­tique de la tran­si­tion éner­gé­tique. Effi­ca­ci­ty est celui dédié à la tran­si­tion éner­gé­tique de la ville, dont l’enjeu est majeur car la ville est res­pon­sable de 23 des émis­sions de CO2.

Effi­ca­ci­ty est ain­si un regrou­pe­ment d’une tren­taine d’acteurs tra­vaillant en syner­gie et pou­vant, grâce à leurs com­pé­tences com­plé­men­taires, abor­der les défis de la tran­si­tion des villes de manière plu­ri­dis­ci­pli­naire : à la fois de grands indus­triels comme EDF, ENGIE, VEOLIA, VINCI, RATP, IBM France ; de grandes ingé­nie­ries comme ABMI, ARCADIS, ASSYSTEM, INGEROP, SETEC, Suez Consul­ting, TPFI ; et des acteurs aca­dé­miques de pre­mier plan comme le CSTB, le CEREMA, l’IFSTTAR, l’UPEM, l’École des Ponts, l’École des Mines, l’ESIEE, l’EAVT, l’EIVP, etc. dont cer­tains se regroupent pour créer en 2020 la grande Uni­ver­si­té Gus­tave-Eif­fel sur la ville de demain. En plus de ces deux caté­go­ries d’acteurs que sont les entre­prises et la recherche publique, Effi­ca­ci­ty a la par­ti­cu­la­ri­té de tra­vailler avec une troi­sième : les ter­ri­toires. Nous pen­sons que c’est en met­tant en syner­gie entre­prises, recherche publique et ter­ri­toires que nous pour­rons accé­lé­rer l’émergence des solu­tions de demain.

Quels sont les principaux enjeux de la transition énergétique ? Comment les appréhendez-vous ?

Le défi est double : divi­ser par 10 nos émis­sions de CO2 pour atteindre la neu­tra­li­té car­bone d’ici 2050 ; mais aus­si, enga­ger à très court terme cette réduc­tion mas­sive des émis­sions de CO2 car le main­tien des niveaux très éle­vés actuels, ne serait-ce que quelques années de plus, ren­drait presque impos­sible le res­pect de l’objectif des 1.5°C (c’est pour­quoi on parle à juste titre d’urgence cli­ma­tique). Pour y par­ve­nir, nous devons pas­ser réso­lu­ment des bâti­ments bas car­bone aux quar­tiers et aux villes bas car­bone, et pour cela Effi­ca­ci­ty s’investit sur trois grands axes prio­ri­taires : inven­ter de nou­veaux outils d’aide à la concep­tion des pro­jets ; inven­ter de nou­velles méthodes d’évaluation de leurs résul­tats ; et contri­buer au déploie­ment à grande échelle de nou­velles solu­tions opérationnelles.

Tout d’abord, nous déve­lop­pons une nou­velle géné­ra­tion d’outils de simu­la­tion numé­rique pour aider à la concep­tion de quar­tiers à très haute per­for­mance éner­gé­tique : inven­taire exhaus­tif des gise­ments d’énergie renou­ve­lable ou de récu­pé­ra­tion, éva­lua­tion des besoins éner­gé­tiques à court, moyen et long termes, simu­la­tion des flux mul­ti-éner­gies pour cha­cune des nom­breuses stra­té­gies éner­gé­tiques pos­sibles (sources d’énergie, réseaux, formes des bâti­ments, etc.), et choix des meilleures stra­té­gies selon des cri­tères envi­ron­ne­men­taux et économiques.

Ensuite, Effi­ca­ci­ty déve­loppe de nou­velles méthodes visant à sys­té­ma­ti­ser l’évaluation des résul­tats des pro­jets. Cette culture de l’évaluation est encore peu déve­lop­pée en France, et nous pro­fi­tons donc insuf­fi­sam­ment du retour d’expérience des pro­jets réa­li­sés, qu’ils soient des réus­sites ou des échecs.

Enfin, beau­coup de nou­velles solu­tions opé­ra­tion­nelles (tech­no­lo­giques, orga­ni­sa­tion­nelles, contrac­tuelles, etc.) ont besoin d’être tes­tées sur le ter­rain en condi­tions réelles avant d’être déployées à grande échelle. Effi­ca­ci­ty accom­pagne à cet effet des « ter­ri­toires d’expérimentations » (ou « science-based living labs ») des­ti­nés à répondre à ce besoin.

“Nous développons une nouvelle génération d’outils
de simulation numérique pour aider à la conception de quartiers
à très haute performance énergétique.”

La R&D est au cœur de votre raison d’être. Quels sont les sujets que vous privilégiez dans ce cadre ?

Nous avons mis en place un comi­té scien­ti­fique inter­na­tio­nal de haut niveau com­po­sé d’experts euro­péens, nord-amé­ri­cains et asia­tiques, qui nous aide à prio­ri­ser les bons sujets de R&D. En par­ti­cu­lier, nous déve­lop­pons des outils de simu­la­tion éner­gé­tique dyna­mique (SED) avec une ambi­tion mul­ti-éner­gies (chaleur/froid/électricité/gaz), ce qui repré­sente un enjeu scien­ti­fique et opé­ra­tion­nel majeur, per­met­tant de trou­ver l’optimum sur chaque pro­jet en termes de sobrié­té, d’efficacité et de mix éner­gé­tique. Nous tra­vaillons sur l’optimisation des dis­po­si­tifs de sto­ckage d’énergie, qui sont néces­saires pour mobi­li­ser des éner­gies renou­ve­lables inter­mit­tentes mais dont le coût peut être rédhibitoire. 

Effi­ca­ci­ty déve­loppe des méthodes inno­vantes sur l’analyse du cycle de vie (ACV) à l’échelle du quar­tier afin d’objectiver l’impact envi­ron­ne­men­tal des pro­jets. Nous tra­vaillons sur l’instrumentation des quar­tiers avec des cap­teurs de nou­velle géné­ra­tion pour en amé­lio­rer la qua­li­té pour les usa­gers en termes d’îlots de cha­leur, de qua­li­té de l’air, etc. à la fois en phase de concep­tion et en phase de moni­to­ring. Et de façon tota­le­ment plu­ri­dis­ci­pli­naire, nous déve­lop­pons des méthodes visant à quan­ti­fier les résul­tats d’un pro­jet urbain, du point de vue de ses béné­fices pour le ter­ri­toire, de son effi­cience au vu des finan­ce­ments mobi­li­sés, de sa péren­ni­té et de sa répli­ca­bi­li­té ; ce tra­vail se fait avec la Banque des ter­ri­toires, qui est l’opérateur du plus grand pro­gramme natio­nal d’innovations urbaines, le pro­gramme « Ville de demain », riche de près de 500 pro­jets répar­tis sur une tren­taine d’Eco-Cités.

Vous collaborez aussi bien avec vos membres fondateurs publics et privés, qu’avec vos partenaires acteurs territoriaux. Qu’en est-il ? Quels sont les projets qui vous mobilisent dans ce cadre ?

Notre méthode est fon­dée sur la syner­gie entre les trois grands acteurs de l’innovation urbaine ou plus exac­te­ment de la « co-inno­va­tion urbaine » : entre­prises, recherche publique et ter­ri­toires. Mais les ter­ri­toires ont peu l’habitude d’innover en codé­ve­lop­pe­ment avec des labo­ra­toires publics et des entre­prises, et il nous a fal­lu plu­sieurs années pour conso­li­der cette méthode. Nos efforts ont por­té leurs fruits et nous avons réus­si à déployer cette démarche dans plu­sieurs régions, notam­ment en Île-de-France avec Paris-La-Défense, Paris-Saclay, Marne-la-Val­lée (EPA­Marne), à Mar­seille avec Euro­mé­di­ter­ra­née, à Tou­louse avec Euro­po­lia, avec la Prin­ci­pau­té de Mona­co, bien­tôt avec l’Éco-Cité TCO de La Réunion, etc. La mise en réseau de ces ter­ri­toires enga­gés dans des par­te­na­riats de R&D sera éga­le­ment très riche à moyen terme.

Qu’en est-il de vos enjeux et de vos objectifs pour les prochaines années ?

Notre ambi­tion est de deve­nir un acteur de réfé­rence en Europe pour déve­lop­per cette « co-inno­va­tion urbaine » entre entre­prises, recherche publique et ter­ri­toires. Par cette méthode, qui est véri­ta­ble­ment notre ADN, Effi­ca­ci­ty repré­sente une ini­tia­tive fran­çaise inédite. Nous allons nous déve­lop­per en co-opé­rant avec cer­tains acteurs euro­péens qui nous res­semblent, notam­ment nos homo­logues alle­mands (ins­ti­tuts Fraun­ho­fer) et bri­tan­niques (Cata­pult centres). 

Par ailleurs, nous devrons conti­nuer de ren­for­cer notre approche plu­ri­dis­ci­pli­naire de la tran­si­tion des villes, car la com­plexi­té de l’urbain nous oblige à inno­ver non pas sur un seul front mais sur plu­sieurs fronts com­plé­men­taires : déve­lop­per des inno­va­tions tech­no­lo­giques, mais aus­si ima­gi­ner de nou­veaux modèles éco­no­miques et contrac­tuels, et enfin mieux anti­ci­per les évo­lu­tions de la ville et les attentes de ses usa­gers sur les moyen et long termes. Si nous rele­vons ces défis, nous pour­rons, je l’espère, appor­ter une contri­bu­tion signi­fi­ca­tive à la tran­si­tion éner­gé­tique des villes, et ce fai­sant nous met­trons en valeur l’immense savoir-faire de nos membres et par­te­naires publics et pri­vés au niveau international.


A lire aus­si : Marne-la-Val­lée, ville durable et dési­rable du XXIe siècle, La Jaune et la Rouge n°706, juin/juillet 2015

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