Éditorial du président d’X-Environnement

Dossier : Croissance et environnementMagazine N°627 Septembre 2007
Par Jean-Marc JANCOVICI (81)

La réponse de l’époque, fournie en pleines « Trente Glo­rieuses », avait assuré­ment de quoi effray­er : l’é­tude affir­mait que les flux physiques et l’é­conomie ne seraient pas décor­rélés assez rapi­de­ment pour éviter un effon­drement économique mas­sif au cours du XXIe siè­cle, sous le dou­ble effet du manque de ressources et de l’ex­cès de pol­lu­tion, et la chute serait d’au­tant plus dure que la crois­sance préex­is­tante aurait été forte. L’ar­gu­ment majeur était sim­ple : dès lors que l’é­conomie se nour­rit de la dépré­ci­a­tion du cap­i­tal naturel et non de ses seuls intérêts, ce qui est de plus en plus le cas, la dégra­da­tion cumu­la­tive du cap­i­tal naturel résul­tant de la crois­sance économique en cours fini­ra « un jour » par inter­dire autre chose qu’une décrois­sance struc­turelle de l’ac­tiv­ité d’ho­mo industrialis.


Alpin­istes au som­met du Mont Blanc, Haute-Savoie, France (45°50’ N – 6°53’ E).
Les Alpes, la plus impor­tante chaîne mon­tag­neuse d’Europe, sont nées il y a env­i­ron 65 mil­lions d’années. À 4 807 m, le Mont-Blanc est leur som­met le plus élevé. Con­nu au XVIe siè­cle sous le nom de « mon­tagne Mau­dite », il représen­tera pour les habi­tants de la val­lée un chaos de rochers et de glac­i­ers stériles jusqu’en 1786, quand les alpin­istes Jacques Bal­mat et Michel Pac­card atteignent les pre­miers son som­met. Depuis, les ascen­sions se sont mul­ti­pliées. À la moti­va­tion sci­en­tifique du siè­cle des Lumières, ont suc­cédé la recherche de l’exploit, puis main­tenant le tourisme.
Le som­met, équipé pour les ran­don­neurs, attire près de 10 000 per­son­nes chaque année. Pre­mière ressource économique locale, le site, frag­ile, se dégrade. Le tourisme, lorsqu’il devient une des pre­mières sources de revenus d’une région, entraîne en effet une arti­fi­cial­i­sa­tion générale des sites. Pour exem­ple, la général­i­sa­tion des canons à neige, qui équipent 80 % des sta­tions alpines per­turbe l’écosystème et les paysages : il faut 4 000 m3 d’eau douce – stock­és dans des lacs arti­fi­ciels de retenue – pour pro­duire un hectare de neige.

Trente-cinq ans de pro­grès sci­en­tifiques et tech­niques n’ont hélas pas ren­du cette crainte caduque, bien au con­traire : les lim­ites de la planète et les échéances étant de mieux en mieux cernées, la ques­tion du « décou­plage » est donc plus que jamais brûlante d’ac­tu­al­ité. Le récent rap­port Stern, par exem­ple, indique que faute d’or­gan­is­er délibéré­ment la baisse de nos émis­sions de CO2, le prin­ci­pal dan­ger n’est pas de faire hurler les opposants à l’é­conomie de marché, mais bien de faire implos­er cette dernière.

Les temps rede­vi­en­nent peut-être prop­ices à un débat appro­fon­di : le « Grenelle de l’en­vi­ron­nement », que le gou­verne­ment organ­ise dans quelques semaines, remet, finale­ment, le Club de Rome au goût du jour. Il s’a­gi­ra de trac­er les con­tours d’une « économie écologique », qui ne sup­pose pas une trans­gres­sion des lim­ites, tout en main­tenant un relatif niveau de prospérité, au sur­plus trans­férable au reste de l’hu­man­ité qui le réclame légitime­ment. N’est-ce pas revenir dans la pra­tique sur la ques­tion des « lim­ites de la croissance » ?

Pour sus­citer un max­i­mum d’at­ten­tion à cette ques­tion cru­ciale, nous avons reçu un ren­fort de tal­ent : celui de Yann Arthus-Bertrand, qui nous a offert de quoi illus­tr­er mer­veilleuse­ment ce numéro, et que je remer­cie vive­ment pour avoir ren­du pos­si­ble cette pre­mière pour notre hon­or­able revue. Et grâce soit aus­si ren­due à tous ceux qui ont per­mis la réal­i­sa­tion de ce numéro, bien sûr, soit en faisant la chas­se à l’au­teur2, soit en faisant par­tie de ces derniers, qui — oserais-je finir par un bon mot ? — n’ont pas ménagé leur peine pour essay­er de nous en éviter plus tard. Mer­ci infin­i­ment à eux, et bonne lecture !

1. Le titre anglais The lim­its to growth a été traduit — on se demande bien pourquoi- en Halte à la crois­sance ? (qui au sur­plus est sou­vent cité en rem­plaçant le point d’in­ter­ro­ga­tion par un point d’exclamation).
2. Alain Grand­jean et Guil­laume de Smedt (coor­di­na­tion), Marie-Véronique Gaudu­chon, Benoit Leguet, Franck Le Gall, Jérôme Perrin.

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