Création d’entreprises et Business Angels

Dossier : Le SursautMagazine N°619 Novembre 2006
Par Jean-Michel YOLIN (65)
Par Bernard ZIMMERN (49)

En vingt ans l’emploi mar­chand (non public) n’a pra­ti­que­ment pas bou­gé en France alors qu’en Grande-Bre­tagne, pays de popu­la­tion com­pa­rable (60 mil­lions), il a aug­men­té de 6 millions.

Les Anglais ont actuel­le­ment 24 mil­lions d’emplois mar­chands, nous 16,8 et envi­ron 17,8 si nous comp­tons les emplois aidés.

Cet écart est énorme. Il est impos­sible de redres­ser un pays, de dimi­nuer les impôts, les charges sociales, sans cor­ri­ger ce déséquilibre.

Nous aurions 24 mil­lions d’emplois, les impôts et charges sociales retom­be­raient dans la moyenne euro­péenne et le poids des fonc­tion­naires devien­drait presque accep­table. Et le manque de gazelles explique les deux tiers de notre retard.

La créa­tion d’en­tre­prises s’est redres­sée depuis 2002 mais le suc­cès est limi­té aux entre­prises créées sans sala­riés, le nombre des entre­prises créées avec sala­riés est res­té atone et par­ti­cu­liè­re­ment celui des « gazelles ».

Pour être une gazelle, une entre­prise doit débu­ter avec un capi­tal capable de por­ter un pro­jet de pro­duit ou de ser­vice au niveau natio­nal ou inter­na­tio­nal et pas seule­ment de nour­rir un chômeur.

Dans l’é­tude com­pa­ra­tive France Grande-Bre­tagne, dont les prin­ci­paux résul­tats sont rap­pe­lés ci-des­sous, nous avons adop­té le seuil de 100 000 € comme seuil mini­mum du capi­tal de départ, car même avec ce mon­tant, une entre­prise ne dure pas long­temps et la « love money », la famille, les CCC (copains, cou­sins, cin­glés), per­met rare­ment de réunir ce montant.

Nous ne fabriquons pas assez de gazelles et nous ne leur fournissons pas assez de capitaux

Évolution du capital social moyen en k€ par entrepriseUne enquête menée avec le pH Group en 2003 montre que (voir gra­phique ci-après) la gazelle fran­çaise naît en moyenne avec la moi­tié du capi­tal (ou des fonds propres) de la gazelle anglaise et que l’é­cart s’ag­grave pour dépas­ser le rap­port 4 au bout de sept ans.

Dans nos éco­no­mies modernes for­te­ment capi­ta­li­sées, il ne peut y avoir d’emplois sans capi­taux et inves­tis­se­ments et le manque de capi­taux a un effet direct sur l’emploi moyen par gazelle. Il lui est en gros pro­por­tion­nel avec des effec­tifs employés, moi­tié dans une gazelle fran­çaise à la créa­tion et quatre fois plus faibles au bout de sept ans.

Si au lieu de consi­dé­rer le capi­tal ou l’emploi moyen par gazelle on tota­lise au niveau du pays, on arrive à la conclu­sion que les gazelles anglaises créent chaque année plus de 120 000 emplois de plus que les fran­çaises, parce que les capi­taux de toutes ori­gines mis à la dis­po­si­tion des gazelles sont d’en­vi­ron 1,5 mil­liard d’eu­ros par an en France, de 10 mil­liards en Grande-Bre­tagne (et de l’ordre de 15 à 20 aux USA à popu­la­tion comparable).

Pourquoi les gazelles françaises sont-elles si mal financées ?

Réponse : parce que nous n’avons pas assez de Business Angels, en fait 10 fois moins que les Anglais et proportionnellement 20 fois moins que les Américains.

La botte secrète de l’A­mé­rique, ce sont les dis­po­si­tions fis­cales intro­duites en 1958, qui ont fait se mul­ti­plier les Busi­ness Angels et qui font qu’au­jourd’­hui celui qui veut créer une entre­prise trouve tous les capi­taux nécessaires.
Pour être plus pré­cis, ce sont les dis­po­si­tions du Small Busi­ness Invest­ment Act, notam­ment la créa­tion de la socié­té dite Sub­chap­ter S.

Nous avons com­mis une énorme erreur intel­lec­tuelle de croire que la mutua­li­sa­tion du risque, à l’o­ri­gine des légis­la­tions FCPI, FIP, etc., et d’une façon plus géné­rale, l’en­cou­ra­ge­ment au capi­tal-risque était la solu­tion au finan­ce­ment des créa­tions d’en­tre­prises. Déjà en 1958, les Amé­ri­cains avaient réa­li­sé – ce que confirment tous les capi­taux-ris­queurs – que le capi­tal-risque n’in­ves­tit pas sauf excep­tion dans les créa­tions d’en­tre­prises car c’est trop ris­qué et les mon­tants à inves­tir sont trop faibles pour être rentables.

Le capi­tal-risque veut bien entrer dans le capi­tal ou faire des prêts à long terme sans les garan­ties (hypo­thèques, etc.) dont s’en­tourent les cir­cuits finan­ciers nor­maux mais il veut au moins voir deux ou trois comptes d’ex­ploi­ta­tion pour s’as­su­rer que le pro­duit ou le ser­vice ont un mar­ché, que l’é­quipe de direc­tion n’est pas un panier per­cé, etc.
L’ex­pé­rience leur a mon­tré qu’un inves­tis­se­ment d’en­vi­ron 2 mil­lions d’eu­ros est le seuil mini­mum en des­sous duquel il n’est plus ren­table en rai­son de tous les coûts asso­ciés à l’investissement.

Or plus de 95 % des gazelles se créent dans l’in­ter­valle 100 000 – 1,5 mil­lion. Et là où le capi­tal-risque baisse les bras, les orga­nismes publics n’ont aucune chance d’être plus effi­caces (cf. gra­phique page suivante).

Il existe donc un trou de finan­ce­ment dans cet inter­valle et seuls les Busi­ness Angels ont prou­vé qu’ils pou­vaient le com­bler avec suc­cès parce que leurs frais sont très faibles : pas de rap­ports d’ex­perts, ils le sont géné­ra­le­ment dans les sec­teurs où ils inves­tissent ; pas de conseil d’ad­mi­nis­tra­tion à convaincre, leur temps n’est pas fac­tu­ré (ils inves­tissent autant pour l’ex­ci­ta­tion du jeu que pour l’argent).

Mais il faut sur­tout sou­li­gner qu’un Busi­ness Angel n’est pas seule­ment un appor­teur de capi­taux ; c’est d’a­bord un coen­tre­pre­neur :
capable de com­prendre le busi­ness (donc un indus­triel, pas un financier),
 capable d’ap­pré­cier humai­ne­ment l’en­tre­pre­neur : la rela­tion de confiance per­son­nelle étant vitale (une struc­ture n’a pas de sen­ti­ments, or à ce stade ceux-ci doivent jouer le rôle majeur),
 capable par son expé­rience d’en­tre­pre­neur de prendre des déci­sions plus per­ti­nentes que ce qui peut res­sor­tir d’une ana­lyse de Busi­ness plan + due dili­gence + comi­té d’investissement,
 capable de prendre des déci­sions non conformes à la dic­ta­ture de la mode (une entre­prise qui réus­sit est en géné­ral non un « me too » mais prend le contre-pied des évi­dences : ce qu’un inves­tis­seur ins­ti­tu­tion­nel ne peut pas se per­mettre sous peine de mort professionnelle),
 capable d’ap­por­ter une com­pré­hen­sion du mar­ché… et des clients,
 capable d’ai­der à recru­ter pour com­plé­ter l’é­quipe de direc­tion grâce à la qua­li­té de son car­net d’adresses,
 capable de jouer le rôle de coach parce qu’il est « pas­sé par là »,
• … et capable d’ap­por­ter, grâce à sa répu­ta­tion vis-à-vis des inves­tis­seurs et sa connais­sance des acteurs, les par­te­naires néces­saires pour consti­tuer les tours de table suc­ces­sifs qui accom­pagnent la crois­sance de l’entreprise.

La gazelle a besoin d’a­voir en face d’elle un homme (pas une struc­ture), seul capable de jouer tous ces rôles ; et ces hommes sont aujourd’­hui très peu nombreux.

Stade de développement des entreprisesLe capi­tal-ris­queur vient au stade de déve­lop­pe­ment ulté­rieur et à ce stade il y a beau­coup moins de pro­blèmes pour trou­ver de l’argent.

Ce n’est pas seule­ment les coûts de trai­te­ment des petits dos­siers (esti­més à 300 k€ par dos­sier rete­nu) qui empêchent le capi­tal-risque d’in­ves­tir en « ear­ly stage », mais il est « congé­ni­ta­le­ment » impos­sible pour lui d’in­ter­ve­nir de façon per­ti­nente et effi­cace à ce stade de déve­lop­pe­ment : il n’est pas armé pour prendre les bonnes déci­sions, dans le bon timing et pour appor­ter au chef d’en­tre­prise ce dont il a besoin et qui ne se résume pas à des capitaux.
Aux USA, on compte plus de 250 000 Busi­ness Angels inves­tis­sant cha­cun en moyenne envi­ron 100 000 $ par an soit plus de 25 mil­liards de dol­lars dans 55 000 entre­prises contre 8 mil­liards (chiffre 2004) pour le capi­tal-risque dans envi­ron 1 600 entre­prises avec plus de 3 mil­lions par entre­prise. Clai­re­ment, le capi­tal-risque ne tra­vaille pas sur le même plan que les Busi­ness Angels mais prend leur relais quand les besoins de capi­taux, en rai­son du suc­cès, deviennent trop importants.

Com­pa­ra­ti­ve­ment aux Busi­ness Angels, la Small Busi­ness Admi­nis­tra­tion (SBA), dont on a vou­lu faire en France la pana­cée, n’a joué qu’un rôle presque négli­geable dans la crois­sance éco­no­mique amé­ri­caine avec des apports de seule­ment quelques mil­liards à la créa­tion et au déve­lop­pe­ment des gazelles, au point que le Pré­sident Rea­gan avait vou­lu la supprimer.

La dis­po­si­tion prin­ci­pale der­rière l’é­mer­gence des Busi­ness Angels aux USA est en effet la créa­tion, par le Small Busi­ness Invest­ment Act de 1958 (à ne pas confondre avec le Small Busi­ness Act créant la SBA en 1953), des socié­tés dites « Sub­chap­ter S » du nom du cha­pitre du code les créant ; socié­tés qui limitent le risque des action­naires à leur apport, mais sont dotées de la trans­pa­rence fis­cale comme les socié­tés de per­sonnes en France ; cela leur per­met de trans­fé­rer leurs pertes d’ex­ploi­ta­tion sur leurs action­naires et ceux-ci en récu­pèrent envi­ron la moi­tié au tra­vers des réduc­tions d’im­pôts sur le reve­nu. Ce dis­po­si­tif extrê­me­ment simple et qui ne demande aucune admi­nis­tra­tion ou fonc­tion­naire sup­plé­men­taire per­met de faire sup­por­ter par l’É­tat envi­ron la moi­tié du risque finan­cier pris par le Busi­ness Angel.

Il faut noter que les Sub S coûtent au Tré­sor public US de l’ordre de 18 mil­liards de dol­lars par an mais lui en rap­portent de l’ordre de 68 (chiffres 2001 à par­tir de don­nées IRS). Ce qui fait de ce type de dis­po­si­tion une dis­po­si­tion gagnante-gagnante pour l’emploi comme pour le Trésor.

Qu’il sera plus facile d’in­tro­duire en France le jour où Ber­cy sera capable de pré­voir les effets induits sur les recettes d’une baisse d’im­pôts et ne se conten­te­ra pas d’un bud­get sta­tique comme c’est le cas actuel­le­ment où une réduc­tion d’im­pôts est comp­tée comme entraî­nant une baisse pro­por­tion­nelle des recettes, le jour où le bud­get de l’É­tat devien­dra un bud­get dyna­mique comme il est en voie de le deve­nir aux USA.

2 Commentaires

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Patrick Han­ne­doucherépondre
6 novembre 2011 à 15 h 33 min

Les busi­ness angels en France
Bon­jour,
C’est vrai que la France a pris beau­coup de retard sur les USA et l’An­gle­terre au niveau des busi­ness angels.
Main­te­nant, ter­mi­nons sur une note d’es­poir avec la mon­tée en puis­sance des réseaux de BA et le gros tra­vail de France Angels.
Sinon, je ne pense pas qu’une poli­tique fis­cale plus avan­ta­geuse résou­dra la ques­tion du finan­ce­ment des entre­prises. De toute façon, ne rêvons pas, la rigueur a venir pour com­pen­ser la gabe­gie de l’en­det­te­ment ne per­met­tra pas à nos poli­tiques de la faire.
Angéliquement.
Patrick Hannedouche

Charlesrépondre
16 février 2012 à 16 h 18 min

Quel rôle de France Angels ?
En France, 50% des BA se réunissent en asso­cia­tions (85 réseaux régio­naux il me semble, tous regrou­pés dans France Angels).
En France, les BA inves­tissent en moyenne à 13 ou 14 dans un même pro­jet, alors que Grande-Bre­tagne ils ne sont que 3 ou 4. 

Le prin­cipe d’une asso­cia­tion de BA est, fina­le­ment, de mutua­li­ser le risque.
L’ac­ti­vi­té de France Angels, acteur prin­ci­pal du déve­lop­pe­ment des BA en France, n’est-elle pas par nature contra­dic­toire avec l’es­prit Busi­ness Angel ?

Je trouve donc inquié­tant que le déve­lop­pe­ment des BA en France repose essen­tiel­le­ment sur France Angels, qui, selon moi, ne dif­fuse pas l’é­tat d’es­prit néces­saire pour refaire notre retard, notam­ment sur nos concur­rents anglo-saxons. 

Charles, jeune entrepreneur

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