Du monde académique au monde de l’entreprise

Dossier : Le tissu des PME françaisesMagazine N°522 Février 1997
Par Bernard BEAUZAMY (68)

Après mes études à l’X, j’ai fait une thèse d’É­tat au Centre de maths de l’É­cole, sous la direc­tion de Laurent Schwartz, et dans un domaine (l’A­na­lyse fonc­tion­nelle) bien loin de toute appli­ca­tion. Je suis deve­nu pro­fes­seur d’u­ni­ver­si­té à Lyon I, en 1979, parce que c’é­tait à l’é­poque la seule car­rière conce­vable pour un mathématicien.

L’i­dée de faire sor­tir les mathé­ma­tiques du monde aca­dé­mique pour en faire direc­te­ment usage était jugée incon­grue, et le pro­jet d’en faire un objet mar­chand n’é­tait pas avouable.

Il y avait pour­tant eu un pré­cé­dent, dans les années soixante, avec la vogue de la Recherche opé­ra­tion­nelle, qui avait per­mis à la Séma de faire son démar­rage. Mais le champ des appli­ca­tions mathé­ma­tiques était res­té limi­té (opti­mi­sa­tion des cir­cuits, des stocks, des livrai­sons, etc.) et s’é­tait tra­duit par des logi­ciels banalisés.

En fré­quen­tant des experts de la DGA, du CEA, du CNES, je n’ai pas eu de peine à décou­vrir d’autres champs où un algo­rithme affi­né per­met d’a­mé­lio­rer consi­dé­ra­ble­ment les per­for­mances et de réduire les coûts : par exemple, la consom­ma­tion d’éner­gie, pour faire chan­ger d’or­bite un satel­lite, peut être divi­sée par deux ou trois, si l’on choi­sit la route appropriée.

En 1987, avec quelques col­lègues, nous avons mon­té une asso­cia­tion « loi de 1901 », l’Ins­ti­tut de Cal­cul mathé­ma­tique. À la suite d’un petit article paru dans La Jaune et la Rouge, notre pre­mier client s’est mani­fes­té : la direc­tion des Construc­tions navales (DGA, Tou­lon), qui avait besoin d’al­go­rithmes per­met­tant de déter­mi­ner des routes opti­males pour des sous-marins. Nous avons fonc­tion­né ain­si pen­dant huit ans avec un petit cercle de clients qui trou­vaient chaque année de nou­veaux pro­blèmes à poser à l’ICM.

Au cours de cette période, l’ICM s’est enri­chi de nom­breux col­la­bo­ra­teurs, uni­ver­si­taires fran­çais et étran­gers, experts dans des domaines com­plé­men­taires (plus d’une tren­taine). Mais l’é­tat d’es­prit de cette col­la­bo­ra­tion était celui de la recherche dés­in­té­res­sée, et les exi­gences contrac­tuelles d’ap­pli­ca­bi­li­té et de délai ne pas­saient qu’au second rang. C’est pour­quoi je me suis déci­dé à embau­cher de jeunes thé­sards à plein temps, avec un cadre métho­do­lo­gique, des pro­grammes et des budgets.

L’Ins­ti­tut a ain­si évo­lué vers la culture d’en­tre­prise, et moi-même ai fait le saut en 1995 en quit­tant mes fonc­tions de pro­fes­seur d’u­ni­ver­si­té pour deve­nir P.-D.G. de la Socié­té de Cal­cul mathé­ma­tique (SCM SA), qui fait vivre aujourd’­hui une dizaine de per­sonnes, y com­pris moi-même. L’ICM vivait avec 4–5 contrats par an ; il nous en faut main­te­nant 8–10 et dans cinq ans nous visons 25 à 30.

La demande est de mieux en mieux com­prise (les appels spon­ta­nés se mul­ti­plient) ; les pro­duits à pro­po­ser (en termes de béné­fices pour le client) sont iden­ti­fiés, et nous avons une dizaine de clients fidèles pour les­quels tra­vaille avec moi une équipe de jeunes consul­tants qui pro­gressent de jour en jour.

Mais nous n’a­vons pas encore fran­chi toutes les étapes de la créa­tion d’une entre­prise struc­tu­rée, maî­tresse de sa com­mer­cia­li­sa­tion et de sa pro­duc­tion. Je ne vois cepen­dant aucun obs­tacle insur­mon­table. Il reste à :
1) élar­gir la demande par des publi­ca­tions dans la presse indus­trielle, des expo­sés, des démons­tra­tions, des visites métho­diques, car beau­coup de pro­blèmes ne sont pas encore per­çus comme rele­vant d’une approche mathé­ma­tique rentable ;
2) expli­ci­ter le cata­logue de pro­duits de la SCM, expri­més en termes de solu­tions pro­fi­tables pour des caté­go­ries de clients identifiées ;
3) incor­po­rer et for­mer de vrais chefs de pro­jets, qui parlent le lan­gage des clients et acquer­ront une noto­rié­té personnelle ;
4) dis­po­ser d’un bud­get équi­li­bré entre recherche, com­mer­cia­li­sa­tion et production.

C’est le point 3 qui com­mande notre croissance.

Les mathé­ma­ti­ciens for­més en France res­tent enfer­més dans le cycle uni­ver­si­taire : les pro­fes­seurs forment de futurs pro­fes­seurs. C’est ce que j’ai fait moi-même pen­dant seize ans, publiant 75 articles et 4 livres, tous des­ti­nés à des spé­cia­listes. Aujourd’­hui, je ne vends ni des mathé­ma­tiques ni des « recherches » (le mot fait peur), mais des solu­tions avec pro­fit garan­ti. Depuis deux ans, j’es­saie de diri­ger dans la même voie de jeunes mathé­ma­ti­ciens pro­met­teurs. À cet effet, avec de grandes entre­prises, nous avons ins­ti­tué des bourses de thèse qui per­mettent à des étu­diants sélec­tion­nés de se plon­ger dans les réa­li­tés concrètes et de se pré­pa­rer à un métier productif.

Je crois au déve­lop­pe­ment de cette entreprise.

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