Droit science, clonage

Dossier : La santé en questionsMagazine N°599 Novembre 2004Par : Maxime TARDU, ancien directeur de la Recherche, Haut-Commissariat pour les Droits de l'Homme, ONU

” Un spec­tre hante le monde “, du moins celui de la nou­velle biolo­gie : le clon­age, ” Janus Bifrons “, ange et démon.

La dia­boli­sa­tion a pris les devants. Dès la nais­sance de Dol­ly, la peur des ” boys from Brazil ” a crim­i­nal­isé le clon­age repro­duc­tif en de nom­breux pays.

Le socle con­ceptuel de cet inter­dit est hétérogène : imi­ta­tion sac­rilège de Dieu, atteinte à la per­son­nal­ité, instru­men­tal­i­sa­tion, eugénisme, risques graves pour la san­té du clone. Cette dernière rai­son peut appa­raître comme la mieux jus­ti­fiée par les don­nées scientifiques.

Après 2000 se sont pré­cisés les bien­faits thérapeu­tiques poten­tiels de la créa­tion d’embryons par clon­age. Guérir l’Alzheimer, le dia­bète : l’en­t­hou­si­asme s’est répan­du, igno­rant sou­vent les obsta­cles expéri­men­taux. L’arse­nal nor­matif s’est alors diversifié.

Une pre­mière approche — appliquée par maints pays — ban­nit tout clon­age, même thérapeu­tique. L’Alle­magne1 et la Suisse2 font ici fig­ure d’arché­types. La nou­velle loi française de bioéthique3 admet la recherche sur les seuls embryons issus de la fécon­da­tion in vit­ro à des con­di­tions strictes, mais moins lim­i­ta­tives qu’en Allemagne.

Les États-Unis com­pléteront sans doute bien­tôt un virage à 180° de la lib­erté à l’in­ter­dic­tion. Durant plusieurs décen­nies, la Cour suprême avait proclamé en tant que droit con­sti­tu­tion­nel la lib­erté de repro­duc­tion humaine4. Les nou­velles ten­dances con­ser­va­tri­ces ont engen­dré un pro­jet de loi fédérale con­tre toutes les formes de clon­age, assor­ti de lour­des peines5. Face à cette loi, com­ment la Cour trancherait-elle : tra­di­tion libérale ou droit con­sti­tu­tion­nel de l’embryon à la ” vie ” ?

Par con­tre, le Roy­aume-Uni6, tout en reje­tant le clon­age repro­duc­tif, per­met les recherch­es thérapeu­tiques sur l’embryon. Si les buts licites de telles recherch­es sont for­mulés en ter­mes sou­ples, con­di­tions et procé­dures sont très encadrées. Ain­si, il est inter­dit d’in­ter­venir sur l’embryon cloné après le 14e jour depuis la fécon­da­tion. Chaque pro­to­cole est d’abord autorisé par un organ­isme pub­lic autonome d’ex­perts. Son pre­mier ” feu vert ” date seule­ment d’août 2004.

La Bel­gique7, la Corée du Sud8, les Pays-Bas9 Sin­gapour10 ont des lois sim­i­laires, sou­vent plus restric­tives. En d’autres pays — notam­ment asi­a­tiques, tels la Chine11 et l’Inde12 -, le clon­age thérapeu­tique sem­ble accep­té sur la base de direc­tives de comités d’éthique gou­verne­men­taux et — du moins pen­dant un cer­tain temps — sans lois formelles.

Ces sys­tèmes priv­ilégient la lib­erté de recherche, jugée indis­pens­able pour assur­er à tous le meilleur état de san­té pos­si­ble. Cepen­dant, face aux défenseurs du droit à la vie et à la dig­nité de l’embryon, restric­tions et con­trôles ont été multipliés.

Troisième voie : un mora­toire sur le clon­age repro­duc­tif — Israël13, Russie14 — ou thérapeu­tique — Pays-Bas15.

Cer­taines con­ven­tions de l’ONU sur les droits de l’homme éclairent implicite­ment quelques aspects de l’éthique du clon­age, sans dégager aucune norme dom­i­nante16. Deux traités récents du Con­seil de l’Eu­rope inter­dis­ent le clon­age repro­duc­tif sans s’op­pos­er néces­saire­ment aux recherch­es thérapeu­tiques17.

Que con­clure de cette analyse ?

Par crainte de réveiller des débats con­flictuels, les nou­velles lég­is­la­tions, y com­pris celles admet­tant le clon­age thérapeu­tique, tombent sou­vent dans le vague et l’am­biguïté. Face à l’in­cer­ti­tude juridique, la recherche demeure inhibée.

Soulignons enfin l’ex­is­tence de zones majori­taires de ” non-droit ” dans le monde, où le clon­age n’est pas régle­men­té du tout. La coex­is­tence de ces trois statuts — inter­dit glob­al, per­mis­sion à but thérapeu­tique et ” non-droit ” — risque d’en­cour­ager l’ex­ode des cerveaux, le tourisme du clon­age et l’ex­ploita­tion par des char­la­tans de la mal­adie et de la détresse humaines.

Ces dan­gereux blocages ne sauraient être sur­mon­tés par la reprise de guer­res idéologiques. Chercheurs et juristes doivent de con­cert cul­tiv­er une vision éclairée de la sci­ence, inter­face plutôt qu’en­ne­mie des droits de l’homme. 

__________________________________________
1. Lois du 13 décem­bre 1990 sur l’embryon et de 2002 sur les cel­lules souches.
2. Arti­cle 119 § 2 de la Con­sti­tu­tion fédérale suisse et loi du 1er jan­vi­er 2001.
3. Loi adop­tée en juil­let 2004, arti­cle 19.
4. Arrêts ” Roe c. Wade “, Eisen­stadt c. Baird, 405US438, 453 (1973) et Planned Par­ent­hood c. Casey, 500US833, 851 (1992).
5. Pro­jet de loi H. R. 534 adop­té par la Cham­bre des Représen­tants en févri­er 2003.
6. Loi de 1990 sur l’embryologie et la fécon­da­tion et loi sur le clon­age de décem­bre 2001, ain­si qu’ar­rêt de la Cour d’ap­pel de jan­vi­er 2002.
7. Loi du 11 mai 2003.
8. Loi du 20 décem­bre 2003.
9. Loi de juil­let 2002 sur l’embryon.
10. Recom­man­da­tions du Comité d’éthique approu­vées par le gou­verne­ment le 18 juil­let 2002.
11. Recom­man­da­tions du min­istre de la San­té chi­nois d’août 2003.
12. Doc­u­ment gou­verne­men­tal sur la poli­tique en matière de bioéthique et recom­man­da­tions du Con­seil de la recherche médi­cale de févri­er 2000.
13. Loi de 1999 sur les inter­ven­tions génétiques.
14. Loi sur l’in­ter­dic­tion tem­po­raire du clon­age d’avril 2002.
15. Loi préc­itée de juil­let 2002.
16. Voir par exem­ple l’ar­ti­cle 6 du Pacte des Nations Unies sur les droits civils et poli­tiques (1966) et le Préam­bule de la Con­ven­tion sur les droits de l’en­fant, et travaux préparatoires.
17. Con­ven­tion sur les droits de l’homme et la bio­médecine (1997), arti­cle 18, § 2, et Pro­to­cole de 1998 sur l’in­ter­dic­tion du clon­age d’êtres humains.

Poster un commentaire