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Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°633 Mars 2008Rédacteur : Jean SALMONA(56)

CORDE

CORDE

Sous le titre La Voce nel Vio­li­no, Enri­co Onofri et son ensem­ble Imag­i­nar­i­um ont enreg­istré des musiques de l’Italie des XIVe et XVIIe siè­cles1, époque où le vio­lon, jusque-là voué à l’accompagnement de la voix, a com­mencé à exis­ter par lui-même : à côté de pièces de Fres­cobal­di, Uccelli­ni, Fontana, Bas­sano et autres, écrites pour le vio­lon, fig­urent des tran­scrip­tions de pièces vocales de Mon­tever­di et Gesu­al­do, et l’on décou­vre l’extraordinaire prox­im­ité des tim­bres et des inflex­ions de la voix et du vio­lon baroque.

Quelques dizaines d’années à peine sépar­ent les dernières œuvres de Mon­tever­di des Suites pour vio­lon­celle seul de Bach, et pour­tant, quelle révo­lu­tion, dans le respect de la gamme tem­pérée et des canons de la suite ! Pablo Casals a révélé ces pièces, quin­tes­sence de l’art de Bach, dans les années 1930, et, depuis, tout vio­lon­cel­liste recon­nu rêve – et red­oute à la fois – de les enreg­istr­er. Anne Gastinel n’a pas dérogé à la règle2 et donne une inter­pré­ta­tion peu banale, que nous avons com­parée avec celles de Torte­lier, Yo-Yo Ma, et, bien sûr Casals. Torte­lier : sérénité, respect absolu de la mesure. Ma : jeu écla­tant, char­nu, une truffe noire. Gastinel : ruba­to, fougue, roman­tisme, et Casals : poignant, et, sim­ple­ment, humain.

Gau­ti­er Capuçon, l’autre grand vio­lon­cel­liste français d’aujourd’hui, a enreg­istré, avec la très médi­atisée pianiste Gabriela Mon­tero, deux Sonates peu jouées3 : celle de Rach­mani­nov (1901), roman­tique à souhait, de la même année que le 2e Con­cer­to ; et celle de Prokofiev (1949), clas­sique, chan­tante, pied de nez aux autorités sovié­tiques, l’une et l’autre enlevées avec brio par deux musi­ciens pleins de fougue et à la tech­nique irréprochable.

Les six Quatuors de Bar­tok con­stituent un tout com­plexe et un peu mys­térieux, inclass­able, d’un abord peu facile, mais qui ne vous lâche plus si vous y pénétrez, un des deux mon­u­ments du quatuor du XXe siè­cle avec ceux de Chostakovitch. À tra­vers l’histoire d’une vie, des amours de jeunesse en 1907 aux prémices de la Sec­onde Guerre mon­di­ale en 1938, c’est l’histoire de la musique européenne, et aus­si celle de l’Europe, notre his­toire. Le Quatuor Bel­cea (roumain), bien con­nu des afi­ciona­dos du fes­ti­val du Luberon, s’est appro­prié4 cette musique d’exception, qu’il joue « de l’intérieur » comme les Alban Berg les quatuors de Beethoven.

Claviers et percussions
On redé­cou­vre aujourd’hui Aldo Cic­col­i­ni, pas seule­ment celui des grands con­cer­tos roman­tiques, mais l’interprète intimiste et sub­til de Scar­lat­ti, Satie, Séver­ac et de la musique espag­nole. Ses Goyescas de Grana­dos datent de 19665. Bien au-delà d’un cer­tain his­panisme, les Goyescas sont des pièces uni­verselles, dont Cic­col­i­ni met superbe­ment en valeur les couleurs raf­finées, com­pa­ra­bles moins aux pein­tures de Goya qu’à celles des Fauves.
For­quer­ay le fils pub­lia sous Louis XV une « mise en pièces de clavecin » de pièces pour vio­le écrites par son père sous Louis XIV. Ce sont ces 32 pièces réu­nies en 6 Suites que Blan­dine Ran­nou a enreg­istrées6. Si vous aimez Couperin, et si vous recherchez une musique de clavecin qui se dis­tingue de celle de Couperin par sa pro­fondeur et sa sen­su­al­ité – comme Rav­el dif­fère de Debussy – écoutez ces pièces un peu som­bres qui vous rap­pelleront Marin Marais et un temps où l’insouciance ambiante se tein­tait d’une inquié­tude annon­ci­atrice du grand boule­verse­ment à venir.

Notre cama­rade Jean-Pierre Férey aime à éditer des enreg­istrements peu com­muns, courage rare qui se man­i­feste dans deux dis­ques récents : deux Sym­phonies pour orgue (7 et 9) de Widor, par Frédéric Ledroit7, et trois Sonates pour vio­lon de Bach jouées au marim­ba par Jean Geof­froy8. Les Sym­phonies de Widor sont d’une superbe archi­tec­ture, dans la lignée de Franck. Le marim­ba respecte à la let­tre le texte des Sonates de Bach et leur con­fère en out­re une magie et un exo­tisme que Bach, grand ama­teur de tran­scrip­tions, eût aimé.

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1. 1 CD Zig Zag. • 2. 2 CD Naïve. • 3. 1 CD Vir­gin. • 4. 2 CD EMI. • 5. 1 CD EMI. • 6. 2 CD Zig Zag. • 7. 1 CD Skar­bo. • 8. 1 CD Skarbo.

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