Dans le brouillard à vélo

Deux X à l’assaut de la grande boucle

Dossier : TrajectoiresMagazine N°727 Septembre 2017
Par Pierre BIDET (08)
Par Clément GOUGET (07)

Effectuer le par­cours du Tour de France 2017. Une idée qui trotte, 6 mois de pré­pa­ra­tion en sol­lic­i­tant famille, amis et cama­rades de pro­mo­tion et enfin le départ une semaine après les pros. Mal­gré des con­di­tions cli­ma­tiques par­fois épou­vanta­bles, le pari est gag­né 3 semaines plus tard devant l’Arc de Triomphe. 

À l’aube de ce défi, un véri­ta­ble chantier organ­i­sa­tion­nel et logis­tique com­mence : sol­liciter la famille et les amis pour trou­ver des accom­pa­g­na­teurs, dénich­er des vélos un peu plus mod­ernes que nos vieilles bécanes en alu, chercher des spon­sors, com­mencer à faire vivre une page Face­book, réserv­er les héberge­ments, rédi­ger un car­net de route, plan­i­fi­er les séances d’entraînement…

Bref, six mois qui ne seront pas de tout repos, mais essen­tiels à la réus­site du projet. 

PREMIÈRE SEMAINE : UN BAPTÊME DU FEU TRÈS HUMIDE

Same­di 8 juil­let, 7 heures. Après le court pro­logue de la veille sur les rives du Rhin à Düs­sel­dorf, c’est LE jour du grand départ. Ce matin, on peut assuré­ment lire une pointe d’appréhension sur nos visages. 

Aus­si inavouable que cela puisse paraître, c’est aujourd’hui qu’aura lieu notre bap­tême des 200 bornes dans une même journée, au milieu des paysages indus­triels du bassin rhé­nan, nous menant déjà jusqu’en Belgique. 

“ La première épreuve de la journée consiste à chauffer nos tendons récalcitrants ”

Les étapes suiv­antes nous voient tra­vers­er une diver­sité incroy­able de paysages : collines boisées des Ardennes lux­em­bour­geois­es accom­pa­g­nés de Joana Arreguy et Adrien Arnoux (2007), routes nationales de Moselle infestées de camions, forêt s vos­gi­en­nes , coteaux cham­p­enois, lacs de la forêt d’Orient, ter­res bour­guignonnes avec Simon Leclair (Mines)…

Notre par­cours est jalon­né de vil­lages soigneuse­ment décorés pour le Tour, chefs‑d’œuvre de créa­tiv­ité, tan­dis que la pluie s’obstine à vouloir nous suiv­re mal­gré la vitesse for­mi­da­ble à laque­lle nous roulons. L’apogée est atteinte lors de l’étape entre Mon­dorf-les-Bains et Vit­tel, qui s’achève dans un déluge indescriptible. 

Après huit jours non-stop, c’est déjà l’étape reine de cette édi­tion 2017, pour laque­lle les organ­isa­teurs n’ont pas man­qué de cru­auté : 181 km entre Nan­tua et Cham­béry, 5 000 m de dénivelé posi­tif, sept ascen­sions dont trois cols hors catégorie. 

Comme tous les matins, la pre­mière épreuve de la journée con­siste à chauf­fer nos ten­dons récal­ci­trants, en ser­rant bien les dents. Le résul­tat peut-être de quelques nég­li­gences dans la pré­pa­ra­tion physique : nous sommes des ama­teurs avant tout ! 

L’ascension vers le sub­lime plateau de Retord ; le kilo­mètre à 20 % du Grand- Colom­bier, oblig­eant à faire des zigza­gs ; le partage de l’effort avec Hadrien Michaud et Thomas Moulin (2008) ; les ter­ri­bles pentes du Mont-du-Chat, épou­van­tail du cycliste… 

Suff­isam­ment d’ingrédients pour une journée riche en émo­tions. C’est donc avec un grand sourire que nous descen­dons enfin les lacets fraîche­ment bitumés vers la délivrance : le pre­mier jour de repos ! 

DEUXIÈME SEMAINE : DANS LE BROUILLARD, SUR LES TRACES DE ROMAIN BARDET

La reprise a lieu dans le Périg­ord : vil­lages troglodytes, grottes préhis­toriques, châteaux médié­vaux, Dor­dogne… L’ambiance est au cyclo­tourisme ! Le lende­main, ce sont 203 km d’interminables lignes droites au milieu des pins des Lan­des et du maïs du Gers, l’occasion de sor­tir nos meilleures playlists pour faire pass­er l’ennui.


Seuls sur la route, avec Quentin Libois (2007), plongés dans un brouil­lard total.

Arrive alors l’étape pyrénéenne, 215 km entre Pau et Peyragudes, accom­pa­g­nés par Quentin Libois (2007). Expéri­ence mys­tique : les cinq cols du jour sont plongés dans un brouil­lard total. Nous sommes absol­u­ment seuls, la route nous appar­tient, les voitures elles-mêmes n’osant plus s’y aventurer. 

À 20 heures, trem­pés jusqu’aux os, nous atteignons le grand final où Romain Bardet s’est imposé, sur la piste de l’altiport de Peyragudes, dans une purée de pois invraisem­blable : 500 m à plus de 16 %, de quoi nous faire rire tant la sit­u­a­tion est absurde après 10 h 30 sur le vélo ! 

En guise de récupéra­tion, l’étape du lende­main ne fait que 100 km, avec tout de même trois cols arié­geois majeurs, dont le bien-nom­mé mur de Péguère. L’organisation du Tour est décidé­ment friande de pentes assassines. 

La semaine se ter­mine par deux étapes acci­den­tées entre cam­pagne avey­ron­naise et plateau de l’Aubrac, ryth­mées par l’humeur blagueuse de Boris Pan­loup (2008).

TROISIÈME SEMAINE : LA CRYOTHÉRAPIE DYNAMIQUE, VOUS CONNAISSEZ ?

En ce matin de reprise, nous par­tons du Puy sans savoir que l’étape du jour va se trans­former en une véri­ta­ble séance de « cryothérapie dynamique ». Bien­tôt, une tem­péra­ture de févri­er, une pluie glaciale et un vent latéral à vous givr­er sur place nous saisissent. 

Chaque descente est une ago­nie, nous sommes devenus vio­lets et n’arrivons même plus à ouvrir nos bar­res de céréales ni à pass­er nos vitesses. Il fau­dra atten­dre l’Ardèche, après 80 kilo­mètres par­cou­rus à l’état de glaçons, pour le retour sal­va­teur du soleil. 

L’ascension du col de la Croix-de-Fer.à vélo
L’ascension du col de la Croix-de-Fer.

Arrivèrent enfin les Alpes, accom­pa­g­nés de Xavier Mau­rin (Supélec) et Rémi Burlet (Ponts). Après une pre­mière belle journée sur la route des cols de la Croix-de-Fer et du Gal­i­bier, notre deux­ième étape alpestre com­mence par ce qui devait bien finir par arriv­er : crevaison ! 

Puis, dans l’ascension du col de Vars s’invite alors le pire enne­mi du cycliste : le vent de face. Cour­bés sur nos vélos, nous ten­tons d’optimiser l’aérodynamisme de notre posi­tion mais le ren­de­ment de nos efforts est proche de zéro. 

Devant nous, des cyclistes met­tent pied à terre pour marcher à côté de leur vélo, et au som­met tout le monde arrive exténué. 

À 18 h 30, nous sommes au pied du géant du Queyras, le col de l’Izoard. Les mots « casse-pipe » et « abat­toir » sont pronon­cés au moment où nous nous lançons dans la bataille. Les cyclistes qui descen­dent nous regar­dent avec un air de com­pas­sion : ce n’est plus une heure pour grimper là-haut ! À 3 km du som­met, nous entrons dans la Casse Déserte, roy­aume de deux légen­des du cyclisme, Loui­son Bobet et Faus­to Coppi. 

Et ce n’est pas sans émo­tion que nous arrivons, les bras ten­dus vers le ciel, au som­met du plus beau col qu’il soit don­né de grimper à vélo, avec le sen­ti­ment qu’un grand pas a été franchi en direc­tion des Champs-Élysées. 

ARRIVÉE EN PELOTON SUR LES CHAMPS-ÉLYSÉES

Dimanche 30 juil­let, 9 h 50, c’est un pelo­ton d’une dizaine de coureurs, comp­tant de nom­breux cama­rades de pro­mo, qui part sur 50 km ral­li­er la plus belle avenue du monde. Les pan­neaux d’entrée des villes et les som­mets des côtes sont âpre­ment dis­putés, dans un esprit de franche camaraderie. 

“ L’organisation du Tour est friande de pentes assassines ”

Rejoints au pont Alexan­dre-III par un pelo­ton de proches équipés de Vélibs, nous fonçons droit vers l’arrivée. Déjà l’entrée du dernier virage, l’émotion monte. Les images de ces trois dernières semaines défi­lent devant nos yeux. Et soudain l’immense avenue est là, majestueuse, en léger faux plat mon­tant, parce que tout de même, ça se mérite ! 

Notre longue épopée touche à sa fin. Encore trois tours d’honneur de la place de l’Étoile, qui devient un véri­ta­ble vélo­drome, et c’est mis­sion accom­plie : on a fait le Tour de France !
 

Clé­ment Gouget et Pierre Bidet, sur Face­book : qui a dit que le Tour de France était réservé aux pros ? 

La dernière étape à vélo

Arrivée en vélo à l'Arc de triomphe

2 Commentaires

Ajouter un commentaire

Ludovic LHUISSIERrépondre
17 septembre 2017 à 14 h 18 min

Bra­vo pour cet exploit
Votre aven­ture me fait rêver !
Je suis moi-même cycliste ama­teur, à Tarbes aux pieds des Pyrénées : les cols, j’en mange chaque semaine pen­dant l’été.
Je me suis con­tenté cette année de l’é­tape Saint-Giron — Foix, réor­gan­isée par l’as­so­ci­a­tion “La Casatel­li” en hom­mage au cycliste du même nom.
C’é­tait déjà beau­coup et j’ad­mire l’en­chaîne­ment des efforts que vous avez réalisés.
Encore bra­vo et au plaisir de vous crois­er un de ces jours sur les pentes du Tour­malet par exemple.
Ludovic

Pierre Bidetrépondre
4 octobre 2017 à 19 h 57 min

Mer­ci Ludovic !
Je suis moi-même orig­i­naire de Pau, et nous sommes passés par Tarbes le jour de l’é­tape Pau -> Peyragudes (une bien longue mais belle journée!). Il m’ar­rive par­fois de rouler dans les Pyrénées quand je reviens au pays (mon ancien ter­rain de jeu!), alors peut-être au plaisir de se crois­er un jour sur les routes de Béarn ou de Bigorre !
Pierre

Répondre