Chaine de fabrication de pompes à vélo

Redonner du souffle à une entreprise de pompes à vélo

Dossier : TrajectoiresMagazine N°715 Mai 2016
Par Matthieu BRUNET (94)

Après une dizaine d’an­née dans les nou­velles tech­nolo­gies, Math­ieu reprend la PME famil­iale, spé­cial­isée et acteur majeur dans les acces­soires pour cycle depuis plus d’un siè­cle. Quant la mon­di­al­i­sa­tion arrive, elle résiste d’abord mieux que ses con­cur­rents, mais les dif­fi­cultés finis­sent par s’ac­cu­muler et il faut relancer l’af­faire. Ce que Math­ieu et son frère sem­blent avoir réus­si à faire en quelques longues années.

Après un début de car­rière dans les nou­velles tech­nolo­gies puis un MBA, j’entre à trente et un ans chez Zéfal, la PME famil­iale, en même temps que mon jeune frère.

Si nous nous inté­grons à l’équipe en place, les déci­sions à pren­dre dans un con­texte rude vont rapi­de­ment nous plonger dans les dif­fi­cultés d’un pilotage d’entreprise par gros temps.

LE TEMPS DE L’EUPHORIE

Les orig­ines de la société remon­tent à la fin du XIXe siè­cle : elle équipait les pre­mières bicy­clettes de porte-lanternes et de tim­bres. Mal­gré des dif­fi­cultés économiques avant et après la Sec­onde Guerre mon­di­ale, elle a su s’imposer comme l’acteur majeur des acces­soires pour cycles, plus par­ti­c­ulière­ment pour sa pompe à vélo ven­due sous la mar­que Zéfal.

Cette dom­i­na­tion con­naît son apogée dans les années 1970 et 1980 : des con­teneurs de pom­pes sont expédiés jusque dans la plu­part des pays en voie de développe­ment. La rentabil­ité de la société est excel­lente, ce qui lui vaut les hon­neurs réguliers de la presse économique, ent­hou­si­as­mée par cette PME qual­i­fiée de pépite.

LES AFFRES DE LA MONDIALISATION

Les années 1990 mar­quent un change­ment impor­tant, celui de la mon­tée en puis­sance de l’industrie en Chine et plus générale­ment en Asie. Les biens de con­som­ma­tion y sont pro­duits pour des coûts dérisoires, et bien­tôt avec une qual­ité convenable.

“ Il était important que la jeune génération chamboule ”

De nou­veaux con­cur­rents émer­gent : d’abord la mar­que taïwanaise Topeak, vite suiv­ie par un batail­lon de mar­ques de dis­trib­u­teurs qui ont com­pris à quel point il peut être prof­itable d’aller s’approvisionner en Chine sans avoir à faire d’effort d’investissement et de pilotage indus­triel. Décathlon et ses mar­ques « pas­sion » sont prob­a­ble­ment l’exemple le plus con­nu de ces dis­trib­u­teurs qui, de parte­naires, devi­en­nent concurrents.

Prof­i­tant de sa notoriété, Zéfal résiste mieux que d’autres équipemen­tiers français qui fer­ment bou­tique. Sûre de sa force, l’entreprise reprend plusieurs sociétés à la barre du tri­bunal de com­merce pour les remet­tre à flot.

Le groupe abor­de les années 2000 avec la fierté de pou­voir mon­tr­er sa force dans l’équipement du vélo. La réal­ité sera autre : les fil­iales, recap­i­tal­isées par mil­lions d’euros, con­tin­u­ent de boire la tasse et la société mère voit s’accélérer la diminu­tion de son chiffre d’affaires. Dès 2004, les comptes sont dans le rouge.

CHANGEMENT GÉNÉRATIONNEL

C’est dans ce con­texte que mon frère et moi rejoignons l’entreprise en 2006. Une année plus tard, notre père fait val­oir ses droits à la retraite et quitte l’entreprise dont il reste seule­ment admin­is­tra­teur non exécutif.

C’est une bonne chose tant il était impor­tant que la jeune généra­tion cham­boule plutôt que l’ancienne généra­tion transmette.

Avec des fonds pro­pres et un chiffre d’affaires divisés tous les deux par 2,5 en dix ans, avec des dif­fi­cultés régulières à boucler les fins de mois et avec des ban­quiers qui ne veu­lent plus se ris­quer au-delà de l’escompte sur les traites des clients sûrs, la marge de manœu­vre était étroite.

La sor­tie du tun­nel s’est artic­ulée autour de trois axes.

DÉPARTS NÉGOCIÉS ET LICENCIEMENTS ÉCONOMIQUES

Le pre­mier axe a été la réduc­tion des charges de per­son­nel, qui a com­mencé au niveau de la direc­tion avec des départs négo­ciés, for­cés ou même volontaires.

“ Coller aux évolutions du marché et sortir les innovations des cartons ”

Mais le plus gros effort a été con­sen­ti par les ouvri­ers et agents de maîtrise qui ont con­nu vingt-trois licen­ciements secs à l’issue d’un « plan de sauve­g­arde de l’emploi » (PSE) entamé début 2009, puis à nou­veau qua­tre licen­ciements économiques quinze mois plus tard.

Dans cette péri­ode sociale­ment dif­fi­cile, je dois recon­naître avoir été aidé par l’attitude glob­ale des salariés et de leurs représen­tants. Tous étant con­scients que l’entreprise jouait sa survie, le dia­logue fut sou­vent ten­du mais jamais rompu et le départ des salariés licen­ciés s’est fait dans des con­di­tions que beau­coup de chefs d’entreprise pour­raient m’envier.

RECENTRAGE AUTOUR DU CŒUR DE MÉTIER

Il s’agissait d’élaguer les branch­es qui étaient en train de tuer l’arbre. Ce qu’il restait des fil­iales repris­es quand elles étaient en ces­sa­tion de paiement a été liquidé.

Cette fin d’activité a même pu don­ner un peu d’air à la société par la vente de cer­tains act­ifs immo­biliers devenus inutiles.

RAJEUNIR LA MARQUE ET LA GAMME DE PRODUITS


60 % de notre chiffre d’affaires est pro­duit sur notre site dans le Loiret.
© ZÉFAL

Les efforts de la société pour s’étendre avaient entraîné une apathie du renou­velle­ment du cat­a­logue de la marque.

Nos efforts ont visé à raje­u­nir la mar­que, faire coller ses pro­duits aux évo­lu­tions du marché et sor­tir les inno­va­tions des car­tons. Nous avons prin­ci­pale­ment misé sur le sourc­ing auprès de parte­naires asiatiques.

Ces efforts se sont con­crétisés par la hausse du chiffre d’affaires de 34 % entre les exer­ci­ces 2009 et 2014.

RELANCER

Zéfal a touché le fond au cours des exer­ci­ces 2008 et 2009. Depuis 2010, l’excédent brut d’exploitation est dans le vert et, après deux années proches de l’équilibre, le résul­tat net l’est depuis 2012. Nous con­tin­uons, chose rare, à avoir une vraie pro­duc­tion en France : 60 % de notre chiffre d’affaires est pro­duit sur notre site dans le Loiret.

La tré­sorerie est plutôt bonne et a per­mis une reprise sub­stantielle des investissements.

Pour­tant, l’équilibre est pré­caire. Quels que soient le sérieux de notre tra­vail et l’excellence de nos opéra­tions, nos pro­duits sont men­acés de banal­i­sa­tion par une con­cur­rence à la féroc­ité décu­plée et qui maîtrise de mieux en mieux son sujet.

Après ces dernières années de ratio­nal­i­sa­tion, il va fal­loir don­ner un nou­v­el élan pour faire de Zéfal la mar­que phare qu’elle était il y a trente ans.

Pour par­o­di­er une célèbre phrase d’Einstein, l’entreprise c’est comme une course de vélo : il faut savoir relancer pour ne pas finir dans le grup­pet­to.
 

SEPT BONNES PRATIQUES POUR CONDUIRE UN PLAN DE SAUVEGARDE DE L’EMPLOI

FAITES-VOUS ACCOMPAGNER PAR UN AVOCAT

Même si vous ou votre DRH avez déjà eu à men­er un PSE dans le passé, méfiez-vous. C’est un sujet que la loi et la jurispru­dence aiment bien revis­iter. Faites-vous con­seiller par un avo­cat et pré­parez-vous à ce qu’il y passe un cer­tain nom­bre d’heures. Certes, cela aura un coût à un moment où la tré­sorerie de votre entre­prise n’est pas son point fort.

Mais ce qui serait dra­ma­tique serait de voir son PSE annulé pour un cour­ri­er envoyé le mau­vais jour ou pour une jus­ti­fi­ca­tion insuffisante.

ÉVITEZ LES DEMI-MESURES

Pour éviter la lour­deur et les coûts liés à un PSE, vous serez peut-être ten­té d’organiser des char­rettes régulières de neuf licen­ciements. Mau­vaise idée : out­re le risque légal, la suc­ces­sion de ces vagues vous fera courir le risque d’une rup­ture avec vos salariés qui ne pour­ront pas tra­vailler sans se deman­der quand vien­dra leur tour.

BUDGÉTISEZ

C’est prob­a­ble­ment une évi­dence, mais atten­dez-vous à ce que les licen­ciements et les mesures d’accompagnement vous coû­tent cher. Votre entre­prise devrait faire son plus mau­vais exer­ci­ce l’année du PSE (même s’il a lieu en début d’exercice).

Prévoyez son coût en vous gar­dant de tout opti­misme, regardez vos solu­tions de tré­sorerie, et par­lez-en à vos parte­naires (expert-compt­able, banquier).


Prenez le temps de voir avec les représen­tants du per­son­nel les meilleures solu­tions pos­si­bles pour les sit­u­a­tions per­son­nelles par­ti­c­ulière­ment difficiles. 
© FOTODO / FOTOLIA.COM

SOIGNEZ VOS RELATIONS AVEC L’INSPECTION DU TRAVAIL

D’une péri­ode à l’autre, d’un départe­ment à l’autre, les inspec­tions du tra­vail ne se ressem­blent pas, gar­dons-nous donc de généralis­er. Veillez à bien respecter vos oblig­a­tions légales. Avec votre inspecteur du tra­vail, restez à la fois ouvert et lucide car, dans ce genre de sit­u­a­tion, il aura ten­dance à tir­er la cou­ver­ture vers les salariés.

C’est ain­si que mon inspec­trice du tra­vail est venue à une réu­nion de con­sul­ta­tion pen­dant laque­lle elle a fait val­oir aux représen­tants du per­son­nel des mesures d’accompagnement à ajouter au PSE, mesures coû­teuses pour l’entreprise mais dont les pou­voirs publics pou­vaient pren­dre en charge jusqu’à 75 %. À l’arrivée, l’aide était trois fois moins impor­tante qu’annoncé.

SOYEZ CONVAINCU

Dans une négo­ci­a­tion (car c’est une négo­ci­a­tion), ne mon­trez pas de faib­lesse psy­chologique. Pour désolé que vous êtes des sit­u­a­tions de détresse que le PSE va créer, ne mon­trez pas de doute sur le car­ac­tère inévitable de celui-ci.

SOYEZ SENSIBLE AUX CAS PARTICULIERS MAIS FERME SUR LES CONDITIONS GÉNÉRALES

Quand les représen­tants du per­son­nel point­eront du doigt une sit­u­a­tion per­son­nelle par­ti­c­ulière­ment dif­fi­cile, prenez le temps de voir avec eux la meilleure solu­tion possible.

En plus de vous faire agir pour le bien, cela vous met­tra dans une posi­tion plus con­fort­able pour refuser une aug­men­ta­tion des mesures d’ accom­pa­g­ne­ment collectives.

OPTIMISEZ

Lorsque plusieurs salariés parta­gent un poste dont vous réduisez l’effectif et qu’il fau­dra déter­min­er qui sera licen­cié, la loi, ren­for­cée par cer­taines con­ven­tions col­lec­tives, vous per­met de met­tre en avant un critère d’évaluation pro­fes­sion­nelle qui vient com­pléter les critères d’ancienneté et de sit­u­a­tion sociale. Servez-vous-en.

Par ailleurs, lorsque votre PSE aura été pré­paré, prenez le temps de le relire avec un oeil cal­cu­la­teur : n’allez pas licenci­er un salarié senior qui devrait faire val­oir ses droits à la retraite sous quelques mois ; le cal­cul financier serait en votre défaveur.

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