Déterminer la vulnérabilité des structures aux séismes

Dossier : La gestion des incertitudesMagazine N°632 Février 2008
Par Pierre SOLLOGOUB

REPÈRES
On appelle « aléa sis­mique » la prob­a­bil­ité d’apparition d’un séisme. On appelle « vul­néra­bil­ité » la plus ou moins grande résis­tance du bâti. Le « risque » est alors la con­vo­lu­tion de l’aléa et de la vulnérabilité.

Le phénomène des séismes est bien con­nu, de même que les zones ” à risque “. Mais com­ment se pro­téger à l’a­vance lorsqu’il s’ag­it d’éd­i­fi­er des con­struc­tions, en par­ti­c­uli­er des cen­trales nucléaires ? Jusqu’à quel niveau de séisme veut-on se pro­téger ? Que va-t-on con­sid­ér­er comme état admis­si­ble après un séisme ? 

Magnitude et intensité

Les séismes résul­tent le plus sou­vent du déplace­ment et de la fric­tion de plaques de la croûte ter­restre et se localisent sur des failles dont l’emplacement est bien con­nu. La mesure de leur ” mag­ni­tude “, à par­tir des obser­va­tions des sis­mo­graphes, est courante depuis les travaux menés en 1935 par Charles Fran­cis Richter. Chaque change­ment de niveau sur ” l’échelle de Richter ” cor­re­spond à une mul­ti­pli­ca­tion par dix de l’én­ergie libérée. En pra­tique, les séismes observés (plus de 100 000 chaque année) sont com­pris entre les niveaux 1 et 10. Tout autre est la notion ” d’in­ten­sité “, qui se fonde sur l’ob­ser­va­tion des effets et des con­séquences du séisme. L’in­ten­sité dépend évidem­ment de la dis­tance du lieu d’ob­ser­va­tion à l’épi­cen­tre du séisme et de la nature des constructions. 

Un scénario de séisme


Sis­mic­ité dans le monde

Vraisem­blance et sécurité
En France, on a déter­miné les zones sis­mogènes à par­tir des zones de sis­mic­ité observées dans le passé. L’hypothèse est que des séismes ana­logues aux séismes his­toriques peu­vent se pro­duire à nou­veau, en tout point de la zone. On définit alors un « séisme max­i­mal his­torique­ment vraisem­blable » (SMHV), d’où l’on déduit un « séisme majoré de sécu­rité » (SMS) en ajoutant un degré sur l’échelle de mag­ni­tude (énergie décu­plée). À par­tir d’une « sis­moth­èque » (enreg­istrements his­toriques) on déduit les con­séquences sur le site con­sid­éré, en par­ti­c­uli­er en ter­mes de mou­ve­ments de terrain.

La pre­mière approche, dite ” déter­min­iste “, part de la con­nais­sance his­torique des zones de sis­mic­ité. Le prob­lème, pour chaque site con­sid­éré où l’on se pro­pose d’éd­i­fi­er des bâti­ments, est d’es­say­er d’ap­préci­er les con­séquences d’un séisme don­né, autrement dit des scé­nar­ios de séismes. Ceux-ci sont défi­nis en ter­mes de mag­ni­tude et de posi­tion par rap­port au site. Reste alors à établir la loi d’at­ténu­a­tion qui per­me­t­tra d’en déduire les réper­cus­sions sur le site, en par­ti­c­uli­er en ter­mes de mou­ve­ments de ter­rain et de pics d’ac­céléra­tion. On en déduit alors des zones dites ” sis­mogènes “, où les con­séquences d’un séisme sont homogènes. Cette déduc­tion s’ap­puie sur des don­nées géologiques, géo­physiques et sis­mologiques. Par exem­ple, l’é­pais­seur de la croûte ter­restre, l’é­pais­seur de la cou­ver­ture sédi­men­taire, les défor­ma­tions récentes. Sont pris­es en compte des mesures de con­traintes in situ ou à par­tir d’ob­ser­va­tions par GPS.


Sis­mic­ité en France
Source : Réseau nation­al de sur­veil­lance sismique.

Calculer l’occurrence

Approches déter­min­istes et prob­a­bilistes sont complémentaires

La deux­ième approche, dite ” prob­a­biliste “, est apparue il y a une ving­taine d’an­nées. Elle con­siste à con­sid­ér­er tous les séismes qui peu­vent affecter le site et à cal­culer leur pos­si­ble occur­rence, c’est-à-dire leur taux de récur­rence. L’ap­pli­ca­tion de lois d’at­ténu­a­tion per­met de déter­min­er les mou­ve­ments atten­dus sur le site avec leur taux d’ap­pari­tion. ? En pra­tique, on admet que les séismes peu­vent se pro­duire de façon uni­forme et l’on applique une loi d’oc­cur­rence (dite Guten­berg-Richter) et des lois d’at­ténu­a­tion. Bien sûr, de nom­breuses ” incer­ti­tudes ” affectent le proces­sus : l’emplacement des sources de séisme (failles, aspérités) n’est pas con­nu avec pré­ci­sion, de même que les lois de prop­a­ga­tion ou les car­ac­téris­tiques pro­pres au site ; les cat­a­logues sis­miques sont incom­plets (lim­ités dans le temps) ou même prê­tent à con­tes­ta­tion, en France en par­ti­c­uli­er ; les lois d’at­ténu­a­tion ne font pas l’u­na­nim­ité. En pra­tique, les ten­ants de la méthode prob­a­biliste admet­tent deux types d’in­cer­ti­tudes : celles qui sont aléa­toires et celles qui relèvent d’une con­nais­sance impar­faite des phénomènes, sans qu’il soit tou­jours pos­si­ble de bien dis­tinguer les uns des autres. Ils ne man­quent pas de méth­odes pour ten­ter d’y remédi­er (Monte-Car­lo, arbres logiques).

Des résultats controversé

Des études prob­a­bilistes com­plètes ont été menées aux États-Unis dans les années qua­tre-vingt pour la réé­val­u­a­tion des réac­teurs nucléaires implan­tés à l’est des mon­tagnes Rocheuses. À par­tir de don­nées com­pa­ra­bles ont été con­duites deux études indépen­dantes par deux organ­ismes dif­férents. Les résul­tats ont été sig­ni­fica­tive­ment dif­férents, sans que les raisons de ces écarts aient été con­ven­able­ment éclair­cies. La déf­i­ni­tion d’une méthodolo­gie dite SSHAC (Senior Seis­mic Haz­ard Analy­sis Com­mit­tee) a été alors con­fiée à un Comité de sages. Une étude réal­isée en Suisse sur les trois sites nucléaires de ce pays, selon la méthode SSHAC, a con­duit à des résul­tats égale­ment très dis­cutés. En France, un ” zon­age ” sis­mique est en cours de mise à jour. Des méth­odes en cours d’élab­o­ra­tion définiront la durée des obser­va­tions et l’indépen­dance des obser­va­tions. La com­para­i­son des déclenche­ments prédits par dif­férents mod­èles aux déclenche­ments effec­tive­ment observés sur les sites d’EDF et de RAP (Réseau accélérométrique per­ma­nent) mon­tre une assez bonne cor­réla­tion. Il est tou­jours bon de se rac­crocher aux ” retours d’ex­péri­ence “, mal­gré la durée lim­itée des observations.

Évaluer la réponse des structures


Com­ment déter­min­er la réponse des struc­tures ? Séisme de Kocaeli (Turquie) en 1999.

Estimer les pos­si­bles mou­ve­ments de ter­rain est une chose, savoir com­ment les struc­tures vont effec­tive­ment réa­gir en est une autre. De même, com­ment décrire et définir les ” risques accept­a­bles ” et com­ment en déduire la ” vul­néra­bil­ité ” des struc­tures en ques­tion. Autant de ques­tions qui méri­tent de nou­veaux efforts de recherche, des com­para­isons avec des pays davan­tage soumis que la France aux risques sis­miques, des échanges plus nom­breux entre spé­cial­istes. Approches déter­min­istes et prob­a­bilistes sont com­plé­men­taires. Mais avant tout, restons modestes.

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